La grande boucle de Line Renaud

Claude Javeau,

En 1949, j’avais près de neuf ans alors, mes parents et mes frères habitions une assez vaste maison sise à Wavre, au chemin des Flamands, devenu, allez savoir pourquoi, chaussée des Gaulois, une voie au revêtement encore fort rudimentaire. Cette année-là, qui vit la victoire de Fausto Coppi, le Tour de France traversa la petite ville du Brabant wallon, où il remonta la chaussée de Bruxelles. J’allai le voir passer à hauteur du passage à niveau sur la ligne Louvain-Charleroi (elle passait à l’arrière de notre jardin, et je ne me lassais jamais du spectacle des trains, en ces temps de locomotion à vapeur). Dans la caravane se trouvait une fourgonnette surmontée de haut-parleurs diffusant une chanson de Line Renaud fort à la mode cet été-là : Ma cabane au Canada. L’on disait dans le public que la chanteuse était présente dans le véhicule. Je ne l’ai pas vue mais j’ai cru la rumeur, toutefois pas jusqu’au point d’imaginer qu’elle remettait elle-même la chanson, en continu, tout au long du parcours de l’étape.

Pour moi, le Tour de France (le « four de transe », disais-je précoce en contrepèteries, pour désigner l’enthousiasme qui en ces temps où l’honnêteté sportive était encore plausible, s’emparait des foules) est resté associé à Line Renaud, artiste qu’au demeurant je n’ai jamais spécialement prisée. Certes, Luc Varenne rassemblait la petite famille tous les soirs pour la transmission (ou la retransmission ?) de l’arrivée de l’étape du jour, et je cherchais déjà à accorder mon soutien à un coureur wallon (ce fut Jean Brankart, de Momalle, deuxième au classement général en 1956, si je ne me trompe). À cette époque, les équipes étaient nationales et les Belges portaient un maillot bleu nattier entouré d’une bande tricolore. Les Flahutes y étaient majoritaires, et je me souviens du « Nom de Dieu » que Varenne laissa échapper quand dans une étape de montagne, la victoire revint à l’un d’entre eux, bien oublié depuis, Léopold Rosseels. Mais mon plus vivace souvenir, j’y reviens, est lié à la présence réelle ou seulement phonographique, de Line Renaud.

C’était en 1949, quatre ans seulement après la fin de la guerre, la Belgique dévaluait son franc, on fusillait les derniers inciviques, les femmes allaient voter aux législatives pour la première fois, le prix Nobel de littérature fut attribué à William Faulkner, incontestablement un bon choix, et celui de la Paix à un certain Lord Boyd-Orr, inconnu dans mon panthéon personnel.

Depuis lors, je me suis souvent rendu au Canada. J’y ai en vain cherché à dénicher une cabane. En revanche, Line Renaud, inusable, je continue à la voir de temps en temps dans le poste. Il m’arrive de zapper, je n’ai pas le culte des artistes ou des acteurs, ni de rien d’autre en général.

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