La grande petite évasion

Jacques De Decker,

Lorsqu’il y a sept ans, la revue Marginales a cessé de paraître, cette disparition a été unanimement regrettée. C’est qu’elle avait joué un rôle primordial dans les lettres françaises de Belgique, en donnant leur chance à d’innombrables jeunes écrivains, en reflétant les courants les plus divers de notre littérature, dans un esprit d’ouverture qui lui avait été insufflé par son fondateur, Albert Ayguesparse, qui continua à l’animer jusqu’à l’épuisement de ses forces. Lorsqu’il déclara forfait, il avait atteint un âge où d’autres auraient déjà renoncé depuis longtemps

Je fus l’un de ces jeunes épris de littérature auxquels Ayguesparse ouvrit généreusement les pages de sa revue, j’y ai œuvré sous son amicale férule durant quelques années, j’y ai appris beaucoup, depuis la technique de la correction des épreuves jusqu’à l’éthique qui doit présider à la gestion de cette aventure de l’esprit qu’est la conduite d’une publication littéraire.

Lorsque les hasards de la vie ont fait qu’après la mort d’Ayguesparse, les académiciens belges m’ont appelé à lui succéder, il m’est rapidement apparu que je me devais de prolonger au moins le volet de son activité dont il était possible de prendre le relais : l’animation de Marginales. C’est la raison intime, personnelle, de ce nouveau départ.

Il en est une autre, plus importante sans doute : il devenait urgent qu’une revue dote les auteurs belges d’une tribune. Pas seulement pour y donner la primeur de leurs travaux en cours, mais pour y faire entendre leur voix dans le concert social. Notre pays est, depuis deux ans, ébranlé par des débats fondamentaux qui l’obligent à s’adapter aux nécessité d’une société moderne, appelée à répondre aux défis d’un avenir hypothétique. Dans le tohu-bohu médiatique qui accompagne cette grande mutation, les écrivains se sont peu fait entendre. C’est qu’ils n’émettent pas sur les mêmes longueurs d’ondes que les discours dominants.

Il est cependant précieux que, par les moyens qui sont les leurs, et qui relèvent de la fiction, de la poésie, de la méditation non utilitariste, ils puissent apporter leur point de vue. Un événement marquant, mi-feuilletonesque, mi-tragique, l’évasion du principal prévenu actuelle détenu en Belgique, a accéléré notre mis à feu du projet. Prévu pour l’automne 98, le nouveau Marginales devait sortir le plus vite possible après cet événement, à propos duquel, comme on le verra, des écrivains se sont vraiment sentis tenus de réagir, dans le foulée en quelque sorte.

Dans chacune de ses livraisons à venir, Marginales mettra ainsi des auteurs au pied du mur de l’actualité, pour qu’ils l’éclairent sous un autre angle. On n’y lira pas de comptes rendus critiques, la priorité étant délibérément donnée à la création. Mais on aura l’occasion d’y découvrir des inédits d’écrivains confirmés ou de débutants complets. Et la porte y sera aussi toujours ouverte aux étrangers de passage, auxquels nos traducteurs auront prêté leur talent.

Marginales entame sa seconde vie. Ceci n’est pas qu’une amorce : les auteurs qui rallieront la revue, les lecteurs qu’elle fidélisera vont écrire à présent la suite de son histoire.

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