Le jour de l’évasion de Dutroux, je traînais à la maison. C’était un jour de congé. Pendant cinq jours, nous avions fait la « longue » à l’usine, emballage et expédition des porcelaines vers la Tchéquie, comme chaque mois. Après la faillite, notre usine a été reprise par un groupe d’Europe centrale ou d’Allemagne, je ne sais pas au juste. Nos porcelaines sont désormais estampillées made in Czechia même si elles sont fabriquées entre Marche et Neufchâteau. Qui s’en plaindra ? À côté, dans les installations des anciens établissements Plissotier, on fabrique des T-shirts made in Korea. Grâce aux subventions européennes, la main-d’œuvre coûte moins dans notre zoning industriel qu’en Corée, mais les acheteurs n’ont confiance que dans l’Asie. Made in Wallonia sur un T-shirt ? Paraît que c’est invendable. La radio a annoncé vers 16h que Marc Dutroux s’est fait la malle et qu’il erre dans la région. Je suis allée dans le jardin jeter un coup d’œil, il n’y avait personne. Comme il faisait doux, je me suis installée dans la chaise longue. Mon mari m’a apporté une boîte d‘ice-tea. Et il s’est assis dans l’herbe, à côté de moi. « Qu’est-ce qu’on fait avec Dutroux au cas où… ? » il a demandé en regardant à la ronde avec un air inquiet.

— Ce que je sais, c’est qu’en tout cas, on n’appelle pas les gendarmes ! Tu les connais, on est sûr de se faire abattre !

Mon mari a pris un air soucieux. J’ai essayé de le rassurer. Depuis qu’on l’a obligé à prendre sa prépension – il avait trente-huit ans seulement – il est devenu vieux. « T’en fais pas, Jean, tu penses bien qu’il est pas aussi bête que nous. Il va se tirer ailleurs, en Corée ou en Tchéquie. Le patron dit toujours, c’est là que ça se passe pour les winners.

— C’est pas ça qui m’embête, c’est ton histoire de gendarmes. Quand le ministre va présenter ses excuses à la famille, j’aurais bien aimé être là !

— T’as déjà serré la pince d’un minis’, je lui ai rappelé. Le jour où ils t’ont foutu à la porte, il était venu accueillir les nouveaux investisseurs comme il disait.

Jean a enfin souri. Le souvenir de cette histoire met toujours un peu de baume sur son cœur de chômeur.

— C’est vrai. On s’est croisé sur le parking. Moi, je venais d’être licencié et lui, il arrivait. En me voyant dans mon beau costume, il a couru vers moi la main tendue. Il m’a pris pour un des Allemands à qui il offrait les installations ! Je lui ai demandé s’il avait une place dans son administration. Il a ri, croyant que je plaisantais…

La radio, restée ouverte, annonçait que Marc Dutroux venait d’être repris. « Je l’ai même remercié. Avec son argent, les Allemands allaient me payer une indemnité complète alors qu’avec une faillite, j’aurais été bon pour le Fonds d’indemnisation. » La radio démentit la nouvelle de l’arrestation. Dutroux errait toujours dans la nature.

— Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? a demandé mon mari.

— Des côtes de porc, si tu veux.

— On devrait pas arrêter la viande ? Vaches folles, poulets grippés, peste porcine, veaux aux hormones… ça ne te fait pas peur toutes ces informations ?

J’ai réfléchi. Il avait raison.

— C’est pas la viande, je lui ai dit. C’est la radio. Ferme-la, elle n’annonce jamais que des mauvaises nouvelles ; ça allait tellement mieux en Belgique avant.

Puis, j’ai été cherché dans le frigo une autre boîte d‘ice-tea. La publicité a raison, je ne peux plus m’en passer.

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