La robe et le tailleur

Patrick Roegiers,

Stagiaire ignare, minette manipulée ou midinette qui veut se faire mousser, cantonnée dans l’emploi subalterne et pistonné d’accorte soubrette, de nymphette béate, de niaise nénette ou Cendrillon comme on disait autrefois, Monica Lewinsky restera moins dans l’Histoire pour son nom que pour son rôle (sans voix) d’égérie mutine, qui ébranla un temps la Maison Blanche après avoir, au sens propre, branlé son hôte. Fille de parents divorcés, plutôt nature, émancipée, pulpeuse et bien roulée, trop confiante et sans doute assez ingénue, cette jeune femme cyclothymique de vingt-cinq ans est d’abord une bouche HILARE, couvrant publiquement de bécots son prince charmant, dardant à tour de bras ses mimiques de coquette en herbe, repassées en boucles (noires, comme ses cheveux), à satiété, par les télés du monde entier. Culottée au sens premier, parée de son béret, bardée d’une broche de pacotille, elle est à jamais celle qui souilla la robe de Blanche-Neige, princesse de fable, souillon de la Reine ou Première Dame, qui par malheur perd sa mère et arbore une parure maculée non par une tache de sang seyant aux jeunes filles, mais une trace de sperme tel qu’il sied à une tailleuse aguerrie, parente de l’ouvrière couturière, second hand ou « petite main », rouage ou levier de la machine broyeuse qui crée des engrenages.

Pièce à conviction Q3243 du rapport Starr (3394 pages) – annexes incluses – dotée après expertise du F.B.I. 29 D-OIC-LR-35063-, effectuée par le laboratoire 98707300002 SBO, de la mention « du sperme a été trouvé sur cet objet », sa fameuse robe bleu marine est une preuve légale irréfutable qui, par le miracle de la génétique, permet mieux qu’un témoignage visuel de tracer le portrait-robot d’un tueur inconnu. À moins qu’elle ne désigne tout bonnement le boyau qui revêt une andouille (sobriquet désormais familier de Clinton), l’épiderme d’un cigare (suivez mon regard), la pointe renflée d’un pain de sucre (comparaison anatomique flatteuse) et conviant à sortir en un éclair (comme la tirette) et à tenir en main le robinet qui implique de « pouvoir disposer et user d’une chose à volonté ». Cette analogie de plomberie par tuyau (jargon journalistique et politique autant que policier) interposé conduit à penser qu’il ne s’agit pas du « petit robinet », zizi rikiki d’un garçonnet, mais de la pièce montée, membre très viril, missile ou mortier pointé, de l’homme le plus puissant de la planète.

Victime de délation sexuelle, impayable héros d’une risible caleçonnade, pantalonnade ou guignolade, qui le ravale au rang des tristes et piteux pitres du cinéma burlesque ou des poilants comiques des films muets dont il rallie à son corps défendant la désopilante troupe, il mérite bien le surnom de Buster Clinton. Sa panoplie de comique d’accessoires s’éploie avec un brio hors pair sur trois éléments irrésistibles de drôlerie qui sont dans l’ordre : 1) la cravate — signe de connivence et substitut phallique notoire, au nœud coulant, sémaphore orgastique, altération (politicienne) de l’adjectif « croate », qui supporte le rabat et vient de la « crabate », d’où sans doute la position d’acrobate où il se débat dans l’antichambre de l’antre présidentiel mué du coup, dare-dare, en baisodrome. Signalons en passant que collectionner les belles cravates et en changer à volonté est à lire comme un antidote à l’angoisse de castration que pallie l’accessoire ; 2) le cigare mexicain Macondo, bâton de chaise, attribut prépotent, prélude d’un état qui part en fumée, symptôme de puissance, gros comme un péché capital, emblème masculin du « big creep » (gros dégueulasse), qui pompe la vie par les deux bouts, et surtout gadget hilarant, tordant, torboyautant, comme celui que tète Groucho Marx dans Love happy (tourné avec Marilyn). Tête de pipe, le comique troupier assène l’efficacité de sa trivelinade par la chute de l’accessoire ; 3) le pantalon tassé sur les mollets qui le laisse à demi désapé, dos au mur, la zigounette à l’air, astiquée, branlée, « sucée » selon la technique en vigueur par la bandante gonzesse au cœur chaviré, à genoux ou en tailleur, comme il sied à l’égard d’une personne haut placée. Car la fellation est par sa position même un acte de domination qui assure d’avoir non pas un rapport sexuel à risques (« J’ai les boules ! »), mais à la fois un rapport sexuel complet (veston, pantalon, cravate) et incomplet (sans les atouts cités), et donc sans préservatif !

Il n’échappe à personne que le comique de situation naît du fait que l’acte fellateur a lieu à deux pas du bureau ovale, dont le synonyme est « avale », ou encore « ovule » dont l’échantillon sur le corps du délit scelle la trace organique (sperme, cheveux, sang). Materné, trait, biberonné sur un mode incestueux par sa fille, puisqu’il est entendu qu’aux É.-U., le président est considéré moins comme le père de la nation que comme un père par toutes les femmes américaines, le comique au poil qu’est Clinton commet ainsi un irrémissible crime de lèse-majesté qui est moins d’entacher la parure de la boulimique pépée que de couvrir de ridicule le symbole phare de la démocratie yankee qu’incarne la Maison Blanche. À cette sacro-sainte demeure, censée rester sans tare, fait écho la mythique robe blanche d’une immarcescible pureté, intactile et intachable, d’une virginité sans pareille, tourbillonnante comme celle d’un derviche tourneur, qu’arbore Marilyn Monroe dans la célébrissime scène de The Seven Year Itch (Sept ans de réflexion) tournée au-dessus d’une bouche de métro, tôt le matin du 15 septembre 1954, devant quelque quatre mille fans, sous la direction de Billy Wilder, à côté de Tom Ewell, qui la guigne en souriant (Manhattan, coin Lexington Avenue, 52nd Street).

D’un érotisme masturbatoire littéralement soufflant, accru par de géants engins à air qui font bouffer jusqu’aux épaules sa toilette immaculée qui la mue le temps d’une prise en ange lévitant, la scène fut refaite plus de quinze fois avant que le réalisateur n’en soit ravi. Cette robe absolument sensationnelle qui dénude le buste, épouse la rondeur des seins, galbe la taille, s’évase en amont des cuisses tout à fait désirables, cariatides bandées du pubis, séduisit comme on sait cet invétéré coureur de jupons qu’était John Fitzgerald Kennedy. La rencontre eut lieu à… Santa Monica et la passion que nourrit J.F.K. pour l’appétissante star, « sex-symbol » aux cheveux platinés, aussi blonds que sont d’ébène ceux de Monica Lewinsky, n’empêcha pas l’actrice adulée d’être zigouillée selon de récentes hypothèses par la C.I.A., le dimanche 5 août 1962, à trente-six ans. Cette fin moins apparente que celle de Blanche-Neige met crûment en parallèle la robe blanche (J.F.K., C.I.A.) et celle bleue de Monica (A.D.N., C.N.N.), « Souris » avant d’être boudin, qui se prêta du reste à une série de photos « glamour », sorte de clin d’œil funèbre à Marilyn, pour Vanity Fair, sous l’objectif de Herb Ritts.

Il faut dès lors se repasser le film amateur tourné par Abraham Zapruder qui vendit sa copie à Time-Life contre 150 000 dollars pour tâcher de voir ce que tout cela veut dire. À la mise des vamps ou starlettes correspond en effet le tailleur, attribut requis, tenue officielle, uniforme informe des présidentes ou premières dames des États-Unis. Composé d’une jaquette (Jackie) et d’une jupe de même tissu, d’allure classique, tweed ou bien Chanel, assorti d’un petit chapeau (toque ou bibi relayant le béret), celui que portait Jackie Kennedy, on s’en souvient, était rose, teinte à mi-chemin du blanc (lilial) et du sang (rouge coquelicot), en ce 22 novembre 1963, à Dallas, où le monde est ébranlé en sept secondes. De même qu’on taille une pipe, un diamant ou une bavette, on peut aussi tailler en pièces, ce qui rapproche d’office la pose apeurée de l’épouse à quatre pattes sur le capot de la limousine noire (décapotée) ou de la brunette accroupie dans les boyaux tortus de la Maison Blanche et celle vautrée du président tiré tel un lapin, la tête littéralement décalottée. « Mon Dieu, j’ai sa cervelle dans la main », s’écrie le gouverneur du Texas John Connally, transpercé par les balles qui font éclater l’arrière-crâne de J.F.K., la matière cérébrale giclant, jutant, éjaculée, sur l’ensemble rose de Jackie qui le porta vingt-quatre heures durant, à l’instar de ses gants innocents rougis de sang. Quand on lui demanda dans la nuit du lendemain, à l’aube du 23 novembre, au retour de Dallas, si elle désirait en changer, elle répliqua : « Je veux qu’ils voient ce qu’ils ont fait à John ». Trente-cinq ans plus tard aux U.S.A., les mœurs n’ont pas changé. Entre la marque de sérum qui ne tache pas l’intacte tenue de Marilyn, la tache de sperme de Monica, l’éclat de cervelle jaillie sous l’impact qui arrose l’élégant tailleur de Jackie, se détache, de présidence en présidence, le rôle primordial voué à la toilette des novices, maîtresses ou gouvernantes et à celui des dames de premier rang telle Hillary, qu’il faut lire à la lettre et sans rire « Il a ri » (et elle ?), ce que, bon vivant, pour ne pas perdre la face, atteint d’hilarité, confirme d’un formidable éclat de rire son pantin de mari, le bien nommé Bill CLEANTON, sorti indemne jusqu’à nouvel ordre, la conscience sereine et les mains presque propres de cette sale histoire.

Partager