passants qui regardez passer

dans la rue fatigante

ces gens qui n’ont pas bu assez

et toujours vous demandent

encor de quoi calmer leur soif

vous n’aurez jamais de quoi sat-

isfaire leur demande

ils sont groupés sur le trottoir

arrêtant ceux qui passent

et qui s’en vont à leur devoir

en se voilant la face

devant ces pauvres déchéants

lesquels sur pied ou sur séant

vont droit à leur crevasse

leurs joues rongées par la boisson

que sans cesse ils absorbent

leur front sali par la moisson

d’injures qu’ils se donnent

leurs dents pourries de ricaner

la morve encroûtée à leur nez

tout en eux est désordre

et hier allant faire mes courses

j’ai vu sur le pavé

l’un d’eux dont le sang éclabousse

le visage crevé

d’avoir tant chancelé sur place

il est tombé et sur sa face

le sang est arrivé

et ses compagnons d’infortune

qui tenaient à la main

le bock dont ils font leur coutume

restaient sans faire rien

alors que ce pauvre gisait

dans son sang eux ils ne faisaient

que boire leur venin

et quand j’ai vu ce malheureux

qui hoquetait sa vie

et que les gens d’un air peureux

fuyaient je me suis dit

ils ont raison de le laisser

dans ce sang dont il a taché

la gloire du pays

pourquoi doivent-ils au grand jour

tuer leur temps à boire

ces gens qui nous jettent toujours

leur déchéance noire ?

pourquoi faut-il que dans la ville

nous voyions leur tare incivile

nous remettre en mémoire

la tristesse de l’âme humaine

qui en nous tous est une

et qu’il faut voir et prendre même

si elle est importune

affreux ivrognes vous montrez

comment peut notre humanité

tomber dans le bitume

et quand je rentrai dans ma taule

je songeai tristement

à ces ivrognes dont le rôle

est de montrer comment

la déchéance nous harponne

si nous n’avons ici personne

pour soigner nos tourments

alors rêvant comme un poète

je me demandai sous

le ciel y a-t-il un remède

lequel pourrait nous sou-

lager de la soif obsédante

qui sur la terre nous tourmente

et fait de nous des saouls ?

et vous passants qui regardez

ces gens gisant à terre

et qui passez sans demander

ce qu’il faudrait leur faire

peut-être fuyez-vous parce

que vous voyez en eux le se-

cret mortel qui vous désespère

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