L’affolement du poisson qui mord

Éva Kavian,

Chapitre premier

Quand Mimi rencontre Popol

Mimi en avait déjà vu des petits, des moyens ou des grands, des rabougris temporaires, des joufflus énigmatiques, des petits futés et des grandes molles, elle pensait avoir tout vu, tout tout tout, des durs de durs qui ne savent pas comment s’y prendre, des gros tristes ou des longs dépressifs qui se croient romantiques, des faméliques joyeux, des distraits qui s’égarent, des intellos qui s’oublient mais aussi des tout doux qui s’enfuient, des malotrus qui tentent de s’imposer, des soldats cavalant au garde-à-vous, oui, elle en avait vu, des verges et des pas mûrs, à tel point pensait-elle, que tout ce qu’il y avait à voir était vu, tout ce qui pouvait grandir avait rapetissé et tout ce qui pouvait la faire rêver, c’était de trouver le temps de lire Henry Miller. Avait-elle réellement tout essayé ? Avait-elle été jusqu’à mouiller de larmes son âme pour y faire coulisser un espoir ? Non. Il restait le petit clic, allons-y se dit-elle, merci Steve et son Mac, et que le grand clic me claque mais je ne lirai pas Miller sans avoir tenté ma chance du bout des doigts. Du léger clique-t-elle, je ne veux rien, je n’attends rien. Mais qui fait clic clic sans l’espoir du grand clac ? Eh bien, pas Mimi. Elle y va légère car elle veut du léger. Clic clic, tic tic, vous avez un message, en voilà un déjà, qui dit oui, voyons-nous, je suis intelligent par distraction clique-t-il mais en dehors de cela je réponds aux critères. Ben voyons, se dit Mimi, clic clic tic tic cela se confirme, voyons-nous, et puis non et puis si, croisons-nous sous un porche, mais sait-il seulement monsieur clic clic qu’à deux pas du porche le cœur de Don Juan est conservé, il s’en fiche, il arrive, voyons-nous cinq minutes et puis je pars, vous voir et je m’en vais, d’accord d’accord se dit et lui dit Mimi émoustillée, allons-y voir clic clic, et elle a vu. Des grands pas devant le porche sous lequel personne d’autre ne passe, c’est forcément clic clic et clac, il se retourne, c’est vous ? C’est moi. Moi aussi, vous, c’est moi. Ça commençait fort. Mimi perdait la tête. Vous vous appelez comment, moi c’est Mimi. Mimi ? Mimi Clito et vous ? Moi c’est Popol. Popol comment ? Ben, le grand Popol, quoi. Cinq minutes et l’affaire était dans le bac des grands clac, Mimi n’avait jamais vu ça. Elle qui en avait vu de toutes les sortes. Après quelques clic clic, quelques tic tac, Mimi a mis la main dans le sac. Ben ça alors, elle a dit au grand Popol. Toutes les billes y sont.

Chapitre deux

Où Mimi et le Grand Popol découvrent le dernier gadget de Steve

Allô Mimi ? Allô Mimi, c’est moi pas mou, pas mou du tout, je pense à nous, et zou. Allô Popol c’est Mimi, Mimi Clito, c’est fou c’est fou, rien que ta voix et je bourgeonne, écoute Popol, écoute je chansonne, tu es là ? Je suis là, allô, allô, tu entends ? Allô Popol, je deviens folle, je vais, je viens, allô allô, plus vite encore plus fort alors, tu es là ? Au téléphone, tu te rends compte ? Et toi Popol, ma chanson te fait quoi ? Pareil que toi Mimi, tu devrais voir, je deviens gland, mais en attendant écoute, plus vite et plus fort, Mimi, je dois te voir je dois te boire. Je te garde un flacon, Popol, je veux te voir tout gland et te boire moi itou, je nous veux nus, je veux nous nus, Popol, Popol, j’arrive Mimi, j’arrive aussi, allons-y. Allô Mimi c’est Popol, le grand Popol qui glandit à voir ton nom mignon sur le petit écran. Allô Popol, c’est Mimi, y a Clito qui clignote dans ma petite culotte. Ça alors Mimi je pensais à toi, j’ai dû me prendre en mains, tu comprends, allô tu m’entends ? Y a plus de réseau. Allô Popol ? Allô Mimi, je suis là, tout à toi, contre toi, par-devant par-derrière, je te lèche et je te colle au mur, je t’ouvre d’une main et je me tiens de l’autre, pince-moi et je grandis encore, allô Mimi t’es là ? Là et mouillée ouioui Popol, rien que ta voix déjà, mais t’es où ? Là ? Moi je suis ici, pas là, mais ta voix, ta voix ta voix, c’est dingue ce qui nous arrive, tu ne trouves pas ? J’allais te le dire Mimi, les mêmes mots, c’est fou, allô ? C’est le réseau ? Non Popol, je suis là mais tes mots et tout ça. Tout ça ? Toi, moi. Tu peux dire nous, dis nous, j’en suis là, moi itou tralalou, j’en suis fol, Clito, j’oublie tout, je pense à nous, à toi, et moi, je granpopole de plus belle, c’est si doux, et ta voix, moi aussi Mimi, ta voix, et c’est quoi ça, ce truc-là, ce nœud en moi depuis que nous ? J’en peux plus, j’en veux plus, Mimi, Mimi, Mimi, allons-y ! Où ? Là ! J’arrive et toi ? J’y vais et nous ? Nous, Mimi, on verra ça, on se voit, on se boit, Grand Popol a besoin de toi, je te veux dans mes bras, allô allô ? Je te vois, j’y suis et je te vois, nos peaux, Mimi Clito, nos peaux, zut alors pas de réseau. Allô ? Si j’y vais t’y vas ? Allons-y Mimi, viens et j’arrive, une rive de route, pas une aire d’autoroute. Je viens, Popol, ta voix c’est bien ta peau c’est mieux, mais ce sera faramineux, tu m’entends ? Je t’entends, mais je veux. Allons-y, moi aussi, je le feu.

Chapitre trois

Bord de route, parking et compagnie

Ils y vont, ils y sont. L’iPhone c’est bien mais on rêve de foin. On se voit un soir, on se plaît on s’embrasse on stripote en pleine ville noëllement illuminée, tout étourdis d’imprévu. Dans l’urgence du peut-être plus ? Non non, dans l’évidence du ce qui arrive ne peut pas ne pas être. Dans la grâce de l’instant, place du tribunal, juge qui veut. Puis on s’iPhone on s’iMac, on s’illusionne à qui mieux mieux, on est surpris on se manque et on se planque, entre chez toi et chez moi, ça fait la sortie neuf. Un baiser deux baisers qui dit mieux ? Popol, bien sûr, qui défait la ceinture et, dans sa grande voiture, dessine, sous la jupe de Mimi, une rivière blanche, un fleuve pas tranquille, des torrents des cascades, voilà le printemps se dit Mimi. À mon tour, à mon tour. Voilà qu’elle déboutonne, débraguette et tout ce qu’il faut, tout ce qu’elle sait que l’on fait sur les banquettes arrière des voitures en bordure, car elle a eu seize ans un jour et voilà que ça revient, les seize ans et les bordures, les banquettes étroites et sa peau et ma peau et nos lèvres et puis zou chacun fouille et trouve, chacun se sert et tout le monde est content, faut qu’on rentre, à bientôt. Bientôt Mimi se pointe, on descend quelques marches on s’embrasse, on refait le coup du premier baiser et du deuxième et plus puisqu’affinités, c’est Popol qui régale, il offre la tournée, il sort le grand mât, partons en voyage Mimi, ça alors, se dit Mimi, ce que je vois c’est du jamais vu, mais faut remballer la marchandise dès après l’apéritif. On se revoit, on se retrouve, on s’attend, toi là-bas, moi ici, allons dans ma voiture, dit Popol. Ils y vont, mais la voiture est froide, voyageons, faisons chauffer, et ils voyagent, Grand Popol et Mimi Clito, une main sur le genou de l’autre, comme s’ils s’aimaient depuis toujours, ça finit sur un parking, forcément, je veux encore voir ce que j’ai vu dit Mimi, c’est tout vu, elle revoit, mince alors, et tes seins et ta bouche et nos mains et nos peaux, pas trop pas trop gardons-en pour notre première nuit, ils gardent ce qu’ils peuvent et tant mieux, voilà les flics on se rhabille, on rentre chez soi, on s’iMac on s’iPhone, je t’écris, tu veux quoi, d’accord je ferai un poème, j’ai aimé nos mains croisées sur nos genoux, comme au retour d’un long voyage, dit Popol, mais qui des deux se souvient d’un long voyage dont on revient tenant d’une main un autre genou que le sien ? Qui ? Mystère et boule de gomme, se disent Mimi et Popol et ils s’en foutent, ils l’ont, leur beau voyage, il est là et il est devant, ils n’ont qu’à en faire un poème, une nuit, une histoire. Commençons par une nuit, à l’unisson, notre première nuit, parce qu’ils savent déjà, qu’il y en aura d’autres.

Chapitre quatre

La tirade du vit

Oh mon Dieu c’est si grand, bel homme !

Je pourrais y écrire au moins trois quatre tomes.

En variant le ton, par exemple, essayons :

Dubitatif : « si j’avais Monsieur un tel pieu en mon con

Croyez-vous un instant que je puisse respirer ? »

Prévenant : « ne craignez-vous mon chou cet été

Que si verts les bois ne fleurissent en hiver ? »

Gracieux : « aimez-vous à ce point les Berbères

Que généreusement vous vous préoccupâtes

De tendre un mât si haut à leurs lentes frégates ? »

Tendre : « mon gland mon doux n’aie pas peur d’être mou

Entre mes mains je crois tu redeviendras fou. »

Admiratif : « que dire devant un tel prodige,

À quoi rêver après une si haute tige ? »

Amoureux : « mon Dieu mon Dieu, acceptez monsieur

Que de ma langue rose j’aille jusqu’à vos cieux. »

Cow-boy : « baisons chéri tant que ce vit ici

Est dressé, est tendu vers ta petite Mimi ! »

Et je pourrais encore si la page n’était pleine

Aligner quelques vers et faire la vilaine

Jusqu’à vous tarauder en cette fin de journée

Et puis vous réclamer de mon sexe mouillé

Quelques petites choses dont vous savez jouer

Quand mon cul affamé unit nos destinées

Jusqu’à vous réjouir de m’avoir rencontrée.

Chapitre cinq

Trois nuits comme trois siècles

En quelques jours Mimi en a déjà vu plus qu’en dix ans, en quelques jours il y en a un (Grand Popol !) qui l’invite au restau, réserve une chambre dans un château, lui offre des fleurs, vient chez elle et l’invite chez lui (qui avait dit que plus jamais chez lui). Le kit complet du jamais vu, full options, all inclusive, on évite le buzz : on ne file pas l’adresse aux copines, qu’elles s’achètent un iPad, qu’elles fassent clic clic, chacun son tour, il y en a pour tout le monde ou presque, ça dépend du rapport poids-taille et de la qualité de la photo, il y en a pour tous les goûts, Mimi a reçu le gros lot et on le sait, tous ceux qui ont gagné ont joué. Mimi a joué et gagné, C.Q.F.D. En quelques jours il y a eu trois nuits. Là-bas, chez elle, chez lui, allons-y, faisons connaissance. Facile à dire. On se connaît. On se connaît ? Ben oui, sinon comment expliquer ça ? Et pourtant, Grand Popol surprend tout ce qui peut être surpris. A-t-on déjà vu, par exemple, sortir Mimi d’un bain qu’elle n’a pas fait couler ? Non ! Et, sortie dudit bain, se faire enrober d’une serviette, sans autre raison que de la protéger du froid ? Eh bien, non ! Du jamais vu sur mesure. Et Mimi qui jouit qui jouit ? Eh bien, oui, on a déjà vu. Suffit de pousser sur le bouton. On pousse, l’ascenseur arrive, il monte ou il descend, avec ou sans Mimi. Mais Mimi qui jouit qui jouit qui jouit qui jouit et j’en passe, qui a vu ça ? Grand Popol, toujours le même. Le borgne qui se trémousse au chaudet, la craquette et la bistouquette qui jouent au biribi, le berlingot qui se prend pour un drakkar ou sa majesté qui ose l’entrée des artistes, tout y passe avec ou sans paroles, plutôt sans, mais évitons le cinéma muet, il est des langues que tous comprennent, on se passera des sous-titres. À trépigner devant rosette en taquinant noisette du bout des doigts tout en reluquant les deux sœurs, Popol s’est pris un trip, il rêve et bande et glande, il pense à Mimi, mais revenons à elle, passons ce qu’elle a vu ou pas, elle a vu ce qu’elle devait voir, y a pas photo, le tout c’est de le revoir, faut pas croire que l’iPhone et les poèmes sont oubliés, tout ce qui peut servir servira, mais comment font les chiens, les chiennes, et les autres, les girafes par exemple, se dit Mimi qui ne sait déjà plus vivre sans un écran, petit ou grand, sur lequel lire que Popol, petit ou grand, pense à elle et à nous, dit-il, après trois nuit. Il a dit nous, il a dit nous, mais il a dit aussi des choses qui trottent et trottent, dans le corps et/ou l’âme de Mimi. Elle en avait vu et elle se met à en voir, mais avait-elle déjà entendu pareilles choses ? Bien sûr que non. Faut pas pousser. Sinon elle serait restée. Les avait-elle imaginées ? Nooooooooooon ! Il n’y a que Grand Popol qui soit capable de faire trembler Mimi en racontant des histoires, ou peut-être Henry Miller, mais elle n’a pas encore eu le temps, avec tout ça, de lire Henry, elle écoute Popol, elle écoute son corps après les histoires de Popol, elle n’entend plus rien d’autre, elle devient ce que Popol raconte, ça alors, se dit Mimi, mais qui es-tu Popol ? Noreply, elle ne sait toujours pas qui il est, il n’a pas eu le temps pendant le bain parfumé et après, après, il avait prévu de l’huile (Mimi n’avait jamais vu ça non plus, un gars qui prévoit de l’huile pour un massage, la première nuit), et puis la deuxième nuit, pas le temps, forcément, elle lui faisait visiter sa maison de plat sucré en plat salé et la suivante, de nuit, impossible de parler de ça, ils mangeaient nus. Mimi a vu la situation en toute lucidité : on ne demande pas qui il est à un homme qui mange nu devant soi nue. Dans ces cas-là, on mange. Elle a mangé et a oublié sa question, laquelle d’ailleurs ? On est bien, se sont-ils pensé, on est bien, se sont-ils dit quand lui en elle ou elle en lui, on ne sait plus ; qui peut savoir, quand tout est emmêlé, quoi est à qui, de cette jambe ou de ce bras, de ces mains qui cherchent ou de celles-là qui trouvent, de cette langue qui fait la loi ou de ces lèvres qui caressent ce que les ongles en pinçant font grandir. En pinçant quoi ? Devinez ! Mimi le sait, Grand Popol lui a tout expliqué, à gauche à droite, allez-y les filles, pincez, griffez, tâtez, ne me laissez pas tomber, t’inquiète Popol, j’ai pigé, et allons-y les amis, ce soir c’est la fête au village, il y en a pour tout le monde et s’il n’y a que Mimi pour en profiter, elle aura la floche, tournez manèges, que la meilleure gagne. En quelques jours on change d’année, tu es mon plus beau cadeau de Noël, Mimi, je défais le ruban, bonne année Popol, je suis ton cadeau si tu es le mien, et c’est reparti pour un tour, viens Mimi, je connais un parking, j’arrive Popol, dis-moi où et j’y passe, le temps d’embuer les vitres et je pars, tu te rends compte Mimi, on peut déjà dire cette année et l’an dernier, après quelques jours, c’est normal, Popol, répond Mimi, les vraies histoires d’amour, ça dure trois siècles, mais faut faire gaffe, Popol, trois siècles, ça passe très vite. Faut profiter de chaque instant. Mimi dit ça mais elle sait que Popol connaît ces choses, elle s’endort heureuse, comme on peut être heureuse dans les bras de Popol, et elle commence à rêver des histoires qu’il lui a racontées en lui claquant les fesses, en lui contant fleurette, en s’astiquant la zigounette ou en tripotant ce qu’il sait si bien tripoter. Pour les histoires, faudra attendre le chapitre six, celui-ci est déjà assez long. Ou le sept, allez savoir.

Chapitre six

Le coup classique du moi aussi

Mimi Clito n’est pas née de la dernière giclée. Elle connaît le phénomène, le processus et la menace du tréponème, on roulera bâché, mais tout de même. Tout de même, s’est dit Mimi le premier soir, c’est dingue, j’ai eu envie qu’il me prenne la main et il l’a fait, j’ai envie d’un baiser et zou, le désirer c’est l’avoir, vous n’aimez pas les Barbies et je n’en suis pas une, ce mot que vous dites est le mien, cette idée je l’ai pensée, ce geste, moi aussi et sapristi, les mots que vous alignez sont ceux que j’allais dire, ah bon, vous aussi, et moi donc. Le coup classique du moi aussi, et tout à la fois les corps qui flambent, le plus jamais et le jamais encore, la première fois qui oublie les mille autres, l’éblouissement du matin originel, le sommeil impossible des vingt nuits sous adrénaline, les phéromones et le bombardement des hormones (voir endorphines et compagnie sur iPad, iPod, iPhone ou iMac, merci Wiki !), Mimi connaît. À force, elle est devenue une spécialiste. Il y en a qui calculent le nombre d’éjaculations recommandées pour ne pas nuire à sa santé (messieurs qui me lisez, sachez qu’il vaut mieux éviter de dépasser les sept fois par jour et pas plus tard qu’hier il en est un qui en est mort, c’est sur le net, après quarante-deux rasades au coton saturé de sa chambre adolescente, priez pour sa mère, car comment peut-on savoir qu’il l’a fait quarante-deux fois, hein ?), Mimi, elle, elle a analysé les phases. Sa connaissance empirique de l’état amoureux dépasse toutes les bornes et pourtant, pourtant, avec Grand Popol tout est nouveau, différent, surprenant, et tellement. Lui reviennent quelques concepts, comme celui du moizaussi, lequel tombe très vite, in fine, car s’il est de fil blanc dans les premiers émois, il en est autrement quand on sort de chez soi : quoiquoiquoi toi aussi, la Traviata ? Quiquiqui ? Comme moi cet aria ! Quoi encore ? Comme moi tu aimes ça et bon sang quel sort a pu nous tirer si haut ? Mais s’il est des complicités que Mimi n’a jamais visitées, il en est une qui n’est répertoriée dans aucune statistique, la cerise sur le gâteau, la preuve par neuf et la règle de trois, le théorème bâclé de l’élève Tréponème lui-même, et il fallait que lui chez elle et elle chez lui pour que tombe le franc, l’évidence et la première fois des premières fois : ils ont le même poêle (on dit pwal, on écrit poêle, et on évite de confondre avec poil et d’y casser un œuf !) Toujours est-il que devant le poêle de l’un ou celui de l’autre, ni lui ni elle (comme quoi) ne s’est dit ça alors, c’est un signe. Ils se sont emmêlé les frisettes sans plus penser au reste. C’est après, après seulement que Mimi, dans cet étrange moment où plus une jambe ne répond à ce qui lui est demandé, s’est dit ça alors lui aussi, lui comme moi, nous le même, oubliant que le soir du lui chez elle il l’a dit : ça alors, j’ai le même. Le même quoi ? Le même poêle, pardi. A-t-il dit. Avant de plonger sur Mimi en visant Clito qui n’avait rien suivi de la conversation et aurait tout oublié, de toute façon, le temps que Mimi reprenne ses esprits.

Chapitre sept

Les histoires de Popol

Ce qu’elle connaît Mimi, c’est les histoires qu’on lui racontait avant de lui dire bonne nuit et de lui filer un bisou et une croix sur le front, ou bien les histoires qu’elle s’invente quand elle se demande où sont les bisous, les baisers, les choses qu’on dit du bout des lèvres et parfois à pleine bouche. Ce qu’elle ne connaissait pas, avant de rencontrer Grand Popol, c’est les baisers qui racontent des histoires. Pour être exhaustif, il faudrait ajouter qu’elle connaît les histoires qu’elle raconte avant de dire bonne nuit et filer un bisou sans croix sur le front, et celles qu’elle lit. Oui, Mimi lit, au lit et dans les wagons-non-lits, dans un divan et sur des fauteuils verts ou rouges, dans les salles d’attente dont elle n’attend finalement plus grand-chose, dans les bistrots où elle attend quelqu’un et les restos où elle n’attend personne, mais elle lit. Des histoires à rire ou à pleurer, des histoires qui mouillent et où certains dérouillent, des histoires qui font rêver ou d’autres qui rappellent qu’on trinque, dans cette vie, mine de rien, des histoires nulles et d’autres si belles qu’on voudrait les avoir écrites, surtout Mimi, mais aussi de belles histoires mal écrites, des histoires bien écrites mais bon, c’est pas ça qu’on cherche ou pas seulement ça. Bref, elle lit. Mais qui raconte des histoires à Mimi ? Nobody. My name is Popol, lui dit le Grand avant de l’embrasser. Un baiser ? eût dit Edmond, mais à tout prendre, qu’est-ce ? À quoi Rostand eût répondu : Un serment fait d’un peu plus près, une promesse, plus précise, un aveu qui veut se confirmer, un point rose sur l’i du verbe aimer ; c’est un secret qui prend la bouche pour l’oreille, un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille, une communion ayant un goût de fleur, une façon d’un peu se respirer le cœur, et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme ! Rostand oui, Mimi aussi. Ils eussent répondu pareil à pareille question. Popol non. Pour Popol, Mimi le découvre, chaque baiser est une histoire qu’il lui raconte. Il touche ses lèvres doucement ou les prend goulûment, embrasse-moi fort, Mimi, embrasse-moi doucement, Mimi, embrassons-nous, belle Mimi, je veux vos lèvres douces, Mimi. Allons-y pour décliner les attentes lippées de Popol, il aura toujours une histoire à raconter à Mimi l’embrassée. Rien à voir avec les histoires qui se terminent sur le front. Évidemment. Les histoires de Popol ne se terminent pas, ça commence par un baiser et vaut mieux pas savoir dans quelle case de l’esprit ou du corps de Mimi ça finit, laissons cela pour le chapitre qui suit ou un autre. À l’heure qu’il est, Popol a déjà embrassé Mimi suffisamment pour faire un recueil ; dans deux mois, s’il l’embrasse à ce rythme, on lui offre une place à la Pléiade et, s’il continue, plus personne n’aura le temps de lire les histoires de Mimi, tant pis, elle s’en fiche, tant qu’il l’embrasse. Un baiser, deux baisers, qui dit mieux ? Tu auras le suivant quand tu auras écrit les histoires entendues pendant les premiers ! Parce que Popol n’écrit pas ses histoires, il les raconte à Mimi du bout des lèvres en l’embrassant, en lui croquant la nuque ou en soufflant dans ses cheveux comme un vent insidieux, jusqu’à ce qu’elle prenne du bout de sa plume l’encre de vérité sur son désir tendu, et pose sur la page, comme un baiser mouillé, chaque histoire embrassée. Un baiser, une histoire : vas-y Popol, Mimi t’écoute. Vas-y Mimi, Popol te lit.

Chapitre huit

On oublie Edmond, on se penche sur Henry, ah oui ?

Je lis ce que tu écris, Mimi, alors écoute ce que je raconte, écoute-moi quand je t’embrasse, embrasse-moi quand je te lis, allons au lit ma mie, laisse-moi croquer ta nuque pour une histoire chaque semaine, laisse-moi baiser tes seins et je reviens te susurrer le plan du lendemain, je deviendrai visionnaire si tu m’ouvres tes reins, laisse-moi claquer tes fesses et j’irai à confesse, faisons de chaque baiser une histoire à croquer, à la une à la deux à la trois. Un baiser une histoire c’est pas compliqué à compter. Fais pas le con, Edmond, avec tes plans romantiques quand Popol a la trique ! Compte tes sous, Steve, sans dessous Mimi n’a plus besoin de toi ! Fais pas le mort, Henry, c’est pas sur ton corps qu’elle se penchera quand elle aura entendu les histoires de Popol qui déjà pointe sa langue dans l’oreille de Mimi, la mouille, la chatouille, elle n’est plus qu’un grand frisson, Mimi, mais il raconte : j’achèterai un petit quelque chose et je le glisserai entre tes jambes, belle Mimi, je garderai la télé commande et nous irons dans les rues d’une ville, tu avanceras, devant moi, un peu plus loin encore, et j’appuierai sur le bouton, selon mon bon vouloir, je te regarderai. Une autre fois Popol l’embrasse du bout des lèvres, glisse la langue, fouille et caresse (ce qu’il fait de ses mains vous n’en saurez rien) et dépose quelques bribes : il y aura du monde, un cocktail, un vernissage, quelque chose comme ça. Tu iras seule. Un homme, une femme ou un couple, des inconnus, à un moment te diront quelque chose. De loin, je te regarderai entendre ça. Leur obéir, qui sait. Puis Popol farfouille dans les cheveux de Mimi, y souffle des murmures : quatre femmes, et tu en es, Mimi, sont attachées sur une grande table, les yeux bandés. Les convives les entourent, reluquent, se rincent l’œil, ils ne peuvent pas toucher, doivent se contenter de regarder. Quatre hommes arrivent, touchent les femmes, et plus encore, ils mordent, lèchent, ils glissent les doigts, enfourchent et s’enfournent, boivent, sucent et osent tout ; les femmes attachées, regardées, gémissent, crient ou chantent, toi aussi Mimi, sous le regard de tous et chacun, pour le dessert, aura le droit du bout des doigts de s’attarder un instant sur un corps ou un autre. Popol s’occupe ensuite de Clito qu’il asticote, c’est sa mascotte, sa marotte, en quelques jours déjà, un hobby, une passion obsédante, en quelques semaines, n’ayons pas peur des mots, une véritable vocation et, entre deux gorgées douces de cyprine, entre deux lapées brûlantes de plaisir, il serine : je t’attacherai, tu seras debout, les bras écartés, les jambes aussi, attachée, rebelle et consentante, tu ne pourras te soustraire, je serai le maître absolu de ton plaisir, le stratège des assauts les plus délicieusement insupportables et celui des gestes les plus obscènes, des audaces dont tu ne peux même pas imaginer l’amorce, j’userai des objets de mon choix à ma guise, belle marquise, tu ne verras rien, tu n’entendras rien, seules ta peau et tes muqueuses liquoreuses seront le siège de mon grand piège, plus que tout tu voudras que j’assume le désir éveillé, le corps en cri, le sexe béant, tu supplieras, je veux t’entendre réclamer ma queue en toi, je veux que tu gémisses en suppliant, que tu supplies gémissante, géante d’une telle absence, je veux que tu sois prête à toutes les humiliations, pour qu’un instant mon gland, qu’un moment ma verge et que cesse, enfin, cette attente hurlante. Cette histoire soufflée dans les cheveux s’est terminée dans le cou frémissant de Mimi troublée, ouiouioui, c’est le mot, et la suivante a commencé quand Mimi était bien occupée avec Popol, impossible de parler, de répliquer, de donner son avis, il était si grand dans sa bouche amoureuse qu’aucun mot n’eût pu s’y articuler, et c’est cet instant qu’il choisit, le Grand : tu seras comme cela, Mimi, penchée sur moi, me prenant grand jusqu’à ta gorge, coulissant sur mon sexe juteux, le cul monté en neige, offert aux vents et à tout va, et un homme viendra que tu ne verras pas, il se glissera en toi, je le regarderai se faufiler, aller et venir et je saurai par tes lèvres quand il aura atteint mon but, je te regarderai jouir d’un autre et là, là, je t’inonderai de ma semence, tu entendras mon cri rauque, mon animal enfoui, il déchirera les murs en même temps que ton chant naissant soulèvera les tentures, et l’homme partira, que tu ne verras pas, il ne restera que nous, dans une honte sublime, un désir absolu, invaincu, et ce sera mon tour, Mimi, mon tour, de labourer tes champs rouges, de chevaucher l’alezane, de déchirer les parois ardentes, puis ce sera ton tour, Mimi, ton tour, de me faire bander, en m’écrivant une histoire osée, un conte à cacher, un fantasme inavoué. À ce stade, Mimi oublie Henry, Steve, Edmond et compagnie, elle ne veut plus que les histoires de Grand Popol, pardi, et on la comprend, ça oui.

Chapitre neuf

La vérité sur les nuits

On aura déjà bien compris aussi qu’avec Popol, la belle au bois ne dormira pas cent ans. Dans une chambre ou dans une autre, même topo : par-devant ou par-derrière, marche avant ou marche arrière, le clou du spectacle c’est Grand Popol dans le chapiteau rouge, Grand Popol qui fraie la sombre allée, se faufile dans les buissons humides ou lui encore, toujours le même, qui ouvre les fontaines en écoutant chanter Mimi, buvons un coup, buvons en deux, à la santé des amoureux, à la santé de ceux qui dansent et merde au roi d’Angleterre, ils ont bien autre chose à faire. L’un dans l’autre, et c’est peu de l’écrire, après quelques nuits, Mimi se dit qu’à ce rythme, faudra bientôt penser à recycler le silicone si on veut préserver la planète. Inutile d’ajouter qu’elle ne pense pas pour autant aux millions de petits Popol qui auraient pu repeupler le Groenland si elle ne les avait pas accueillis dans sa gorge ou ailleurs. (Le Groenland est cité à titre d’exemple, mais il y en a pour tout le monde, passez la commande sur www.ledemandercestlavoir.com). On ne peut pas penser à tout. À vrai dire, ils ne pensent plus à grand-chose, ils le font comme les chiens et les chiennes, comme les chevaux et les juments, les zébus et zé encore soif, ils réinventent le bestiaire originel, et si on appelait Noé sur la lancée ? Le jardin d’Éden fait un mètre quarante de large, pas de place pour un pommier mais on veut bien se serrer et, après les banquettes de voiture, une telle largeur décuple les ardeurs des quéquettes bien mûres, siphonne les liqueurs les plus obscures, levons les écluses, sortez les canoës, suce qui peut. Après la première nuit, Mimi s’est dit c’est lui, après la deuxième elle s’est dit que si un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, elle a bien fait d’attendre tout de même, tant à lui seul il a l’air d’être deux sur son corps étonné, après la troisième elle comprenait enfin à quel point elle portait bien son nom et après la quatrième elle a fait le bilan : elle a trouvé son maître, son guide, son Marco Popolo, le monde est un village, elle est un univers et Grand Popol l’explore, découvre tous les continents, dresse les cartographies Mimiennes et les genèses Clitoridiennes. Elle veut bien perdre son âme pour une nuit de plus, une nuit encore, elle veut bien tout et elle l’a su, dès la première nuit : son âme était perdue devant la proue grandpopolienne, son âme serait nue dès la première note du grand chant, son âme serait fendue, à jamais. À la fin du spectacle, personne ne se lève pour applaudir, les jambes sont coupées, on finit par dormir, une heure ou deux, le syndicat des gens heureux n’a pas prévu de longue pause pour les ouvriers obsédés. Deux heures pour Popol, une heure pour Mimi qui l’écoute ronfloter (mais elle n’ira pas comploter au bureau des réclamations) et en profite pour le humer de-ci, de-là, comme une femelle qui cherche son nid, et c’est reparti. V’là Popol qui se réveille, du coup Mimi ravie revit, soufflée du vis-à-vis avec un vit comme jamais elle n’en vit, et allons-y, on remonte sur le carrousel, Popol ahane, susurre et pire, et Mimi recommence à chanter.

Chapitre dix

Le bonheur à portée de main, aurait dit Steve

Entre deux chants et après quelques films muets Mimi finit tout de même par se dire c’est qui ce Popol qui ne parle que gland ? T’es là et t’es pas sur Wiki, tu pars et t’es pas sur Google, je t’iPhone et tu es en instance, je t’iPad et pas d’image, je t’iMac et pas de réponse, quand t’es pas là t’es qui t’es où ? Chez Mumu ou Mima, chez Mona ou Minou, ça dépend, répond le Grand. Pour protéger mon cœur, je biscotte, je tartiflotte et j’asticote par-ci par-là, mais je suis là Mimi, c’est ton soir, c’est ton tour. Ah ça non, répond l’ahurie, t’avais qu’à mieux lire mon profil, salut, bye bye, restons-en là. Merci Steve, se dit Mimi, je ne suis pas seule au monde. Et c’est vrai, depuis qu’elle a rencontré Popol, des dizaines encore ont rejoint le cliclic.com des aventureux du sexe, des blessés de l’amour, des mal baisés remplis d’espoir, des utopistes coachés par leurs ados ou des sceptiques qui tentent le Lotto. Selon. Mimi se sent bien, une nouvelle vie s’offre à elle. Y a qu’à cliquer. Déjà, son petit cœur tremble. Et elle a pris de la graine, avec Popol, pas de précipitation cette fois : commençons par un smiley. Léger, clair, sans engagement. Mais déjà, impossible de s’éloigner de l’écran. C’est un signe, se dit Mimi. Comment expliquer autrement que par le destin ce nœud dans le ventre, cette étrange attente, alors qu’elle vient à peine de lire le profil de cet inconnu ?

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