Les fleurs sont des femmes qui ne pensent pas

Et les femmes…

Jamais ne disent un mot plus haut que l’autre

Jamais ne blessent autrui

Vie dans leur ventre amour aux lèvres

Chaleur des yeux plumes d’hirondelles

Elles sont comme le joli mois de mai joli

Et comme la tendre lumière d’octobre

En elles la paix entre les batailles

Les champs de blé avant le passage de la faux

Le fruit qui se dore au soleil

Les femmes écoutent

Les femmes aiment

Fleurs incapables de frapper une fleur même avec une fleur

Paradis de l’âme

Verte vallée moussue ondoyante et ronde

Où il fait bon dormir rêver mourir

Elles sont le dévouement et le courage

Le mariage de l’intuition et de la raison

Si elles sont douces elles sont fortes aussi

Fortes de la vraie force

Pas celle des muscles celle du cœur

Du cœur en fleur

De la germination souveraine

De la musique musicale

Et de la poésie céleste.

 

Hommes écoutez la femme en vous

Et déposez les armes

Rangez vos biceps au vestiaire

Et ne craignez plus vos larmes…

 

C’était l’été durant lequel Bertrand Cantat, le chanteur de Noir Désir — pas de jeu de mots —, avait battu à mort sa compagne, l’actrice Marie Trintignant. Dans les journaux, la mère de Marie laissait parler sa juste colère. Elle ne disait pas : Je veux que Cantat meure. Ni : Je veux qu’il passe le reste de sa vie en prison. Que jamais plus il ne frappe une femme. Elle ne disait pas : Quand je pense que tôt ou tard une autre femme se pendra à son cou, cela m’insupporte. Non, elle a fait une étrange déclaration : Je n’arrive pas à vivre avec l’idée qu’un jour cette brute reprendra un enfant dans ses bras. Comme dans l’Iliade, lorsque les héros provoquaient un adversaire en duel et s’écriaient : Jamais plus tu ne verras tes enfants monter sur tes genoux et t’appeler par le doux nom de père.

C’était cet été-là. Je l’avais rencontrée chez une amie commune. Elle avait des cheveux très noirs — teints, m’a-t-elle avoué — et l’air si douce qu’à être simplement assis à côté d’elle, je goûtais déjà à une langoureuse félicité. Je l’avais abordée dans la rue (je ne suis plus timide), lui avais adressé la parole lors d’un colloque international sur les incunables, ma sœur me l’avait présentée, ou une amie commune. Elle était rousse, les cheveux tirés vers l’arrière, et sa voix était si douce, une caresse à l’oreille, qu’on aurait dit le chant d’un oiseau qui recouvre la rosée du matin de sa note native, naïve et naturelle. Elle me plaisait, j’aurais voulu passer le reste de mon âge à ses côtés, l’épouser, faire l’amour avec elle seulement une fois, en silence, très lentement, patience et longueur de temps, et puis disparaître comme un ange — elle aurait douté de mon existence même et de l’extase ineffable que, grâce à notre amour, pour la première fois, il lui avait été donné de connaître.

C’était notre premier rendez-vous. On venait d’apprendre que, finalement, Marie Trintignant avait succombé à ses blessures. Il faisait chaud, je crois. Elle m’a regardé et elle a chuchoté, en approchant timidement sa main de la mienne :

— J’aime les hommes comme toi. Sensibles et féminins.

Féminin, moi ? Je me suis levé. Et je suis parti sans même lui dire adieu.

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