Raymond choisit la table la plus proche de l’entrée du bar, de telle sorte qu’il ne puisse la manquer quand elle y pénétrera. De toute façon, il ne peut pas la manquer : depuis plusieurs mois, chaque jour, dès que son ordinateur est en marche, c’est vers ses photos qu’il se dirige, rapidement, presque sans réfléchir. En quelques clics, il s’écarte des millions d’autres pages disponibles sur la grande Toile, tourne rapidement celles du site de rencontre auquel il est abonné et s’arrête sur le profil de Rowena. Trois photos en noir et blanc se présentent alors à lui, splendides et artistiques. Rowena tournant la tête, un foulard dans les cheveux, le regard dur, conquérant, résolu. Rowena épanouie, printanière, adressant un sourire désarmant à l’objectif. Rowena – ou plutôt devrait-il dire Arobase – photographiée en contre-plongée, en contre-décolleté-plongeant, le ruitoel d’amour bien marqué, ligne noire se détachant sur un fond blanc, et, tournés vers le haut comme vers un ciel inaccessible, des yeux vagues, difficiles à décrire – car la photo est, à vrai dire, plutôt floue. Pourtant, c’est sur celle-là que se dessine le mieux la tendre fossette qui orne son menton. Lire la suite