Le lion et le moucheron

Patrick Virelles,

Jamais sans doute depuis belle lurette septembre ne fut-il à la fois si frais et si chaud qu’en cette année.

Et l’on glosera longtemps sur l’incident historique qui, monté en neige par une presse coupable, nous a valu un feuilleton de bien mauvais aloi.

Certes, le régime des talibans, qui se recommandent d’Allah en pervertissant son enseignement, est à combattre. Mais en refusant de signer le Protocole de Kyoto, Bush Jr., au nom du sacro-saint Dollar, n’est-il pas l’artificier fou qui bat le briquet sous l’amadou d’une bombe chimique dont les retombées risquent de mettre toute l’humanité en péril ?

En l’occurrence il n’est qu’une certitude : c’est qu’en cette affaire, le lion et le moucheron sont des milliardaires qui se foutent comme de l’an quarante des fourmis que nous sommes.

Et moi, qui n’ai pas le sou, dans mon heureuse campagne, de relire La Fontaine :

Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !

C’est en ces mots que le lion Parlait un jour au moucheron.

L’autre lui déclara la guerre.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi Me fasse peur, ni me soucie ?

Un bœuf est plus puissant que toi,

Je le mène à ma fantaisie.

À peine il achevait ces mots Que lui-même il sonna la charge,

Fut la trompette et le héros.

Dans l’abord il se met au large ;

Puis prend son temps, fond sur le cou Du lion, qu’il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;

Il rugit, on se cache, on tremble à l’environ ;

Et cette alarme universelle Est l’ouvrage d’un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle,

Tantôt pique l’échine et tantôt le museau,

Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.

L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.

Le malheureux lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,

Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.

L’insecte du combat se retire avec gloire ;

Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,

Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin L’embuscade d’une araignée :

Il y rencontre aussi sa fin.

Quant aux pisse-copie qui, profitant de cet incident historique, ont titré à tire-d’encre : « Rien en sera plus jamais comme avant », qu’ils méditent cette phrase de Jacques Chardonne :

« Regardons le monde dans la perspective des millénaires. On ne voit rien ; c’est un bon point de vue. »

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