Le rédacteur en chef du « Sacré peuple » semble guilleret ce matin ; il a trouvé le beau sujet à développer, Il appelle la bécasse et lui demande d’écrire « quelque chose » sur les enfants, ces fétus balancés au gré des événements. Car ils grouillent ces petits dont on parle à peine et au-dessus desquels se battent et se déchirent les adultes, tous papas et mamans la plupart, mais absorbés par leurs importantes fonctions. Ces petits aux figures barbouillées et aux sourires éclatants sont pourtant l’avenir de l’humanité. Cet avenir serait-il menacé ? « Vous qui aimez tant marcher, allez au cœur des conflits et dites-moi ce qu’il en est de ces sauvageries qui n’épargnent pas les innocents. La source de cette loi quasi universelle qui provoque les conflits. Y a-t-il même une loi ? Je pense à celle que définit la théorie des catastrophes, peut-être ? Toutefois, je ne vous demande pas un article de mathématicienne, mais du ressenti, du senti, du pensé, il me faut de la pâte humaine tant qu’elle existe encore. Allez ! »

Et la bécasse s’en va là où ça se passe.

Elle emmène son ami photographe, gentil, compétent, qui lui servira de jour comme de nuit de garde du corps.

Des pans d’images traversent l’esprit de la bécasse ; une petite fille de trois ans perdue dans une forêt de Sibérie, retrouvée grâce à son chiot… en Irak, ce petit garçon en pleur qui ne peut plus suivre ses parents fuyant les djihadistes vers le Kurdistan. Il s’immobilise au milieu de la poussière que soulèvent les pas des fuyards. Aveuglé, il n’aperçoit même plus ses parents déjà loin. Sa mère l’a abandonné, il s’effondre et sa joue rencontre une pierre ronde aussi douce que les lèvres maternelles. L’esprit de la bécasse abandonne à son tour ce petit garçon et suit les pères et les mères qui n’en peuvent plus de trimballer leur marmaille, à des kilomètres de leurs villages dont ils sont chassés parce que catholiques Chaldéens, ils ont refusé de se convertir à l’Islam. On se croirait au temps de Néron, au temps des saints martyrisés au nom de leur foi. Ces chrétiens d’Irak n’ont pas de catacombes où se cacher, ils ont le sommet des montagnes à prendre d’assaut vers leurs frères kurdes. Et là dans l’attente des secours que promet l’Occident, les enfants meurent déshydratés…

Parmi cette foule harassée, la bécasse signale au photographe un petit garçon debout, les bras croisés sur la poitrine. Par gestes, elle lui demande ce qu’il cache là. Elle lui sourit. En confiance, il découvre un bout de tissu qui enveloppe un objet précieux : une hostie. Un prêtre peshmerga s’approche du petit Tarcisius moderne et délivre l’enfant de son trésor. D’un geste ample des bras, il élève et montre l’hostie à la foule qui se tait et prie. Les secours tardent et la bécasse Vitupère : qu’attend le monde pour réagir plus vite ? Qu’ils meurent tous dans cet enfer de soif et de faim ? Car l’Europe et les USA semblent en torpeur. L’invraisemblable inertie devant les événements d’Ukraine, a donné à Poutine de l’élasticité diplomatique et politique. La bécasse lui avait soufflé la patience : un pas en avant, un pas en arrière, et le monde s’interroge quant aux motivations profondes de Poutine ? Aux diplomates médusés, il propose l’idée d’un statut étatique pour la région de l’est de l’Ukraine. Dans le même temps, il se donne le luxe de traverser la frontière sous prétexte d’amener des convois humanitaires aux combattants pro russes. Entre l’Otan et Poutine, c’est la guerre des mots. On dirait des gamins se disputant dans une cour de récréation L’Occident laisse faire comme si le problème ukrainien était virtuellement une affaire classée.

Malgré toutes ces stagnations des volontés, quelque chose bouge dans le monde : Les États-Unis et l’Europe déclarent la guerre à l’État islamique, cette nébuleuse qui étend ses tentacules en Irak, en Syrie et jusqu’au cœur des jeunes de France et de Belgique.

Les islamistes modérés se rangent du côté des Juifs, et des chrétiens dans la lutte contre les djihadistes et leurs excès. L’Iran n’est pas en reste. Une conférence internationale que dirige la France décidera des mesures à suivre : bloquer les frontières aux djihadistes, bloquer les réseaux internet qui appellent au djihad. L’Angleterre refuse de payer une rançon à ceux qui menacent de décapiter leurs otages. Et les têtes tombent.

En Syrie justement, près de la frontière irakienne :

La terre est aride, caillouteuse, blanche. Des hommes attaches, l’un à l’autre, courent en tous sens. Certains trébuchent et sont traînés au milieu de cris qui rythment cette sarabande insensée. Enfin ça s’arrête, Des militaires s’approchent et d’un coup de Kalachnikov dans le dos ils les forcent à s’agenouiller. Certains lèvent les yeux au ciel blême, d’autres abaissent les paupières sur la peur et l’ultime prière,

Ça va très vite soudain, avec des cris et des soupirs qui accompagnent l’effort, les bras se dressent et décapitent les suppliciés. Les têtes roulent. Un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants a tout vu. Ils savent que ce spectacle est quasi normal. Juste avant, ils voyaient des hommes attachés l’un à l’autre, courir en rond, ils pensaient à un jeu. Maintenant, oui, c’est un jeu ; un des tueurs ramasse par les cheveux une tête et la brandit : « elle est à vous » les spectateurs hésitent, un père de famille se détache, et la passation se fait : il saisit la tête par les cheveux et l’apporte à son petit garçon « prends-la ». L’enfant refuse. Le père le menace de toutes les punitions et même de mort, alors l’enfant prend la tête si lourde et la laisse tomber. D’un coup de pied, il l’envoie bouler. Les autres enfants rient, et se bousculent à qui l’aura. Avec des cris joyeux, ils se mettent à jouer au foot, Les adultes se sentent soulagés, ils reviennent à la norme dans le désert blanc, troué de rires. Leurs progénitures ont retrouvé leur âme d’enfant.

Que deviendront ces enfants marqués au fer rouge du sang ? Des monstres ? La bécasse quitte le village, elle s’appuie sur son ami photographe, c’est plus qu’elle ne peut supporter.

Ces rires, ce foot macabre, c’est la mort annoncée de l’enfant en tant qu’enfant.

Pendant ce temps-là, l’infiniment petit trafique dans les chairs, Des milliards de virus fourmillent, que les hommes combattent de vaccins en sérums Mais ils sont intraitables ces virus, ils meurent et disparaissent pour ressusciter métamorphosés et plus forts, prêts à l’attaque, prêts à obéir à une loi souterraine et souveraine, celle de la sélection naturelle. Trop d’homme sur terre ? Le virus Ebola en Guinée, au Bénin, au Togo, au Liberia s’active à tuer des milliers de gens. Le temps presse, mais il faut du temps à l’humain pour se mettre à décider d’agir. Qu’est-ce donc cette torpeur, cette anesthésie des volontés ? L’instinct de mort ? la bécasse n’est pas loin de le penser. Et comme les hommes portent en eux leur propre destruction, ils aiment la guerre et la font.

Bombes en Syrie, en Irak, sur Gaza. Sous les décombres des petits corps déchiquetés. Enfants arrachés à leurs parents pour en faire des enfants soldats ; Enfant des rues à Manille, au Brésil, enfants qu’on vend, qu’on prostitue, enfants qu’on emporte dans leur sommeil pour leur enlever les yeux, le foie, les reins qui seront vendus à prix d’or pour sauver un enfant de riche.

Comment préserver les enfants des ogres qui les convoitent de leurs gros yeux gourmands ? Comment les extraire de ce tas d’adultes qui les tiennent par la main ? Les enfants tenaient la main de leur mère conduite à la chambre à gaz d’Auschwitz. D’aucuns ont pensé qu’ils auraient pu lâcher la main et fuir… c’est vite dit « après coup ». La bécasse fulmine à ces « après coup » qui remplissent les journaux de leurs certitudes fallacieuses. C’est avant qu’il faut agir afin d’empêcher l’inéluctable. Mais tétanisée, l’Europe n’agit pas, ou si peu.

Comment s’indigner contre quelque chose d’aussi vague que la mort annoncée de l’enfant en tant qu’enfant ? En France et en Belgique, les ministres de l’Éducation qui ont pour tâche d’élever l’enfant vers les valeurs hautes, les entraînent vers le bas où s’élaborent les différences sexuelles. Au nom de l’égalité des sexes, il leur faut déconstruire les idées reçues sur le rôle des filles et des garçons. Hé oui, il s’agit du genre ! The gender, notion du célèbre Steiner qui agite frénétiquement les éducateurs et dont l’enseignement est obligatoire dans toutes les écoles, dès la maternelle. Ces chers petits, sacrés à la naissance fille ou garçon, il leur est offert d’en douter : « Ton papa et ta maman ont dit que tu es un petit garçon. Peut-être es-tu une petite fille ? Si tu te sens une petite fille, c’est normal. Tu peux porter des robes. As-tu demandé une robe à ta maman ? Non ? » Les parents deviennent fous. Les hétérosexuels seraient-ils, eux, des anormaux ? À l’école, on apprend discrètement aux petites filles à s’embrasser sur la bouche, aux petits garçons idem. Oh, ça se fait mine de rien, doucettement à travers les contes de Perrault travestis…

Dans ces petits êtres en état de latence, alors qu’ils ne sont pas encore fixés sexuellement, pourquoi semer le doute ? Pourquoi induire en eux quelque chose à quoi ils ne pensent même pas ? Qu’est-ce qui pousse les enseignants à cette dérive ? La destruction ? Encore et toujours ?

Voilà que je deviens bien-pensante songe la bécasse soudain fatiguée des turpitudes entrevues. Elle dit à son ami photographe : rentrons.

Ils rentrent.

Ils dorment enlacés.

Le lendemain elle frappe à la porte du « Sacré peuple ». Son rédacteur en chef la regarde, les mains sous le menton : « Hé bien ? »

Vous avez raison, l’enfant est en danger. Ça se passe même près de chez nous. À la sortie des écoles, nous croisons des petits enfants que des adultes bien intentionnés ont abîmés.

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