Les dents en or

Corinne Hoex,

Madame Verbist, l’autre jour, m’a montré son or. Oui, dans sa commode, entre ses bas et ses gaines, Madame Verbist a des pièces d’or, emballées dans de petits papiers de soie. Et aussi dans sa salle de bains, à l’intérieur d’une boîte vide d’aspirines, encore des pièces d’or.

— Des fois, Madame Stoefs, qu’il m’arriverait quelque chose, elle a dit, j’aime mieux qu’une personne honnête comme vous, une personne foncièrement honnête et désintéressée, sache où ça se trouve. Personne d’autre que vous, Madame Stoefs, car je sais que vous êtes communiste et que vous ne me prendrez rien.

Alors, voilà, Madame Verbist m’a montré son or.

— Ce n’est pas pour me vanter, vous savez, Madame Stoefs, elle a dit, ce n’est pas pour faire de l’esbroufe, mais c’est par précaution, pour qu’une personne foncièrement honnête et désintéressée sache où ça se trouve.

Oui, Madame Verbist a de l’or chez elle un peu partout dans des boîtes et dans des pots et aussi dans sa table de nuit, mais là ce ne sont pas des pièces mais des bijoux, des bagues et des bagues et des bagues et des chaînes et des broches et des croix, il y en a tant qu’on ne peut presque plus refermer le tiroir, et un bracelet tellement lourd qu’elle ne peut plus le supporter et tellement large qu’il ne tiendrait d’ailleurs plus à son bras et qu’elle irait le perdre.

— Vous, Madame Stoefs, elle a dit, vous qui êtes communiste, ça doit vous impressionner. Vous n’avez peut-être jamais vu tant d’or. Évidemment, par principe, ça ne vous intéresse pas, vous seriez dégoûtée d’accumuler des richesses. Mais moi, Madame Stoefs, elle a dit, je ne suis pas dégoûtée, j’accumule sans problème, sans mauvaise conscience, je suis une capitaliste, je place, je spécule. D’ailleurs, vous savez, Madame Stoefs, elle a dit, les montures de mes lunettes, c’est de l’or aussi. Et mes bougeoirs là-bas. Et le fermoir de mon missel. Et même la cage de mon canari empaillé. C’est un oiseau de luxe, mon canari, Madame Stoefs. Un capitaliste, lui aussi. Et mes dents, vous avez vu mes dents, Madame Stoefs, vous avez vu tout cet or que j’ai en bouche. Une fortune, Madame Stoefs. Une fortune. Chaque fois que j’avale ma salive, cette salive en passant caresse une fortune. Tout le monde ne peut pas être communiste avec un dentier en plastique, hein, Madame Stoefs.

Maintenant que je sais tout ça et que Madame Verbist m’a montré tout cet or qui brillait dans ses tiroirs et dans sa bouche, chaque fois qu’elle mange, je regarde sa tête qui mâche et son cou qui avale et je pense à cette fortune mêlée à ses frites et à ses épinards. Son cou est d’ailleurs tellement maigre qu’on voit passer par sa gorge tous les morceaux. Souvent, même, ça se coince. Alors Madame Verbist recrache. Et, j’ai beau être communiste, mes yeux ne peuvent s’empêcher de se précipiter dans son assiette, des fois qu’une petite dent se serait détachée. Madame Verbist alors me regarde par en dessous, avec un malin sourire, et ses dents en or lancent des éclairs.

— Ne craignez rien, Madame Stoefs, elle dit, elles sont bien attachées. Ce n’est pas encore aujourd’hui que vous pourrez arrêter d’être communiste.

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