L’éternelle nuit du 4

Claude Javeau,

C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grands-mères, De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps. Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Les Châtiments, Livre II, III

 

Mais il n’est pas fini le temps de ces grands-mères,

Cousant dans leurs linceuls les victimes des guerres.

Grands-mères de Kaboul, Gaza ou Kigali,

Ou de tant d’autres lieux dont le nom a pâli.

L’histoire vous contraint de peupler ses poubelles,

La cause important peu, résistante ou rebelle !

Partout la mort attend sa récolte d’enfants,

Aux Ponants nuageux comme aux brillants levants,

Et vous stériles vieilles ayant perdu leurs larmes

Dans les âpres sillons qu’ont creusés les alarmes,

Sans vous lasser pourtant vous bordez ces gamins

Que le délire humain coucha sur les chemins,

Dans quelque gris coupon de malheureuse toile.

Car ils n’étaient pas nés sous une bonne étoile,

Ces Gavroches inconnus fauchés dans un faubourg.

Par les ivres bourreaux d’une histoire à rebours.

Et nous, béats voyeurs de lointaines images,

Nous n’allons pas pleurer la mort des gosses sages,

Que la gent politique, avide de pouvoirs,

Amasse dans l’hideux bilan de ses avoirs.

La guerre se répand telle une épidémie,

Où chaque nation fait sa voisine ennemie,

Le soldat, pas le sage, est modèle encensé,

Et réclamer la paix, c’est paraître insensé.

Dans la rue, sans frein, dans l’humble Tchétchénie,

Des bandits vont tuant, liquidateurs d’ethnie,

Et vers le ciel plombé du terroir algérois,

Montent les cris d’horreur du peuple en désarroi.

Le reître va partout, dans les pauvres chaumières,

Par les champs et les prés, les fossés, les ornières,

Égorgeant celui-ci, décollant celui-là,

Au nom du seul vrai Dieu, l’ogre qu’il nomme Allah.

Mais on le croise aussi sur la terre d’Irlande,

Dans les quartiers brumeux tout comme sur la lande,

Le sabre qu’à sa main lui mit le Créateur,

Faisant couler le sang dont II est amateur,

Dit-il ; mais ce Dieu qu’il honore en séide

Porte le même nom chez les siens qu’il trucide.

Dieu, Cause ou Saint Drapeau, qu’importe à cet enfant

Que le crime infini tue à peine naissant.

Mais qu’importe aux nantis que sans honneur nous sommes,

Puisque sous nos regards meurent les petits d’hommes,

Et que dans nos salons, l’on ne parlera d’eux

Que comme d’un soupir, d’un pauvre oubli des cieux.

Protéger les enfants, c’est chérir des chimères,

Et c’est encor pourquoi tant de vieilles grands-mères,

De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps

Cousent dans le linceul des enfants de sept ans !

Partager