Ligne d’effort

Christo Datso,

Pour Laurent Buntinx, qui aurait aimé je crois.

La victoire revient à celui qui tient le dernier quart d’heure.

Carl von Clausewitz (1780-1831)

Vesper – 07:15:00

J’aurais voulu être le nouveau Denis Robert, le journaliste d’investigation qui révéla les dessous des chambres de compensation basées aux Luxembourg et à Bruxelles et des circuits du blanchiment d’argent. Je suis ingénieure en informatique et je vais poursuivre le travail entamé par Denis Robert. De l’enquête on passe aujourd’hui à l’action, le système financier mondial va exploser, ou plutôt il va imploser, il va s’effondrer sous son propre poids et je serai le déclencheur.

J’ai la haine, une puissance de destruction pure est en moi depuis toujours, je suis née avec ça en héritage. J’ai été câblée avec ce logiciel au plus profond de mes tripes, il est imprimé dans le réseau de mon cortex, en dur. Ineffaçable, le temps n’a aucune prise sur ma volonté. L’évolution biologique et le monde humain ont fait de moi un artefact parfait : j’ai été fabriquée pour que je devienne une arme de combat ; plate-forme sophistiquée, mon éducation a coûté cher et mon travail n’a eu qu’un but, devenir la mère porteuse de la munition absolue. Une pointe de rouge à lèvres, un peu de mascara sur les paupières, je souris à mon reflet dans la glace. Tu plais encore et tu le sais, n’en abuse pas, pas aujourd’hui. Sur la table de nuit, la grosse brique rouge de Denis Robert « Tout Clearstream » que je lis et relis : cet homme a bataillé dix ans et subi une soixantaine de procédures judiciaires par des banques ; la Cour de Cassation a fini par lui donner raison. Il a tenu bon et ses ouvrages interdits à la vente ont pu être republiés. J’étais parmi les premières à faire les liens entre les révélations de Denis Robert sur l’opacité du système financier niché au Luxembourg et ses ramifications internationales, le scandale d’Enron et du cabinet d’audit Arthur Andersen aux États-Unis et l’éclatement de la bulle spéculative d’Internet un peu partout. Puis le 11 septembre est arrivé la même année et le monde a basculé dans la surveillance de masse et encore plus d’outrages sans nom, sans fin et cette prolifération a créé le monstre global, le « système » qui a aujourd’hui des centaines ou des milliers de têtes reliées entre elles par d’ingénieux et complexes mécanismes juridiques, financiers, technologiques, avec la complicité des états et d’organisations supranationales. En couper une ou deux ne sert à rien, elles repoussent et avec le temps d’autres têtes surgissent. Longtemps j’ai rêvé d’une nuit impossible où avec l’aide des dieux je trouverais la tête immortelle de la bête, la trancherais et tout serait réglé, nous trouverions enfin la paix.

Je me prépare un nouveau café, l’heure qui vient sera rude. Il fait très calme ce matin dans ce joli coin de Boitsfort. L’heure de donner un coup de balai.

 

Ayesha – 07 :15 :05

« Schumann, direction airport line et chemin de fer. » La voix débite son message. De nombreux usagers s’apprêtent à descendre. Non, la station est fermée, des militaires en treillis sur les quais nous observent, l’arme au poing. Quelques usagers s’étonnent, ce n’est pas le jour d’un sommet européen. La rame de métro continue sans s’arrêter. Nouveau message à Merode, la station suivante : « changement de direction, cette ligne continue vers Stockel ». Flottement parmi les usagers, il y a encore des militaires sur les quais, plus nombreux ici. Les usagers hésitent, la plupart sortent et longent rapidement les murs couverts d’une mosaïque bleue et rouge. Un homme âgé en costume à carreaux, nerveux, se tourne vers moi et me regarde dans les yeux : « je reste, je sortirai à la station suivante, à Montgomery. Je marcherai un peu, voilà tout » puis, surpris par son audace et glacé par mon regard, il baisse la tête et observe consciencieusement le bout de ses chaussures.

À l’arrêt à Montgomery, j’attends que quelque chose se passe. La rame de la ligne numéro 5, déviée sur la branche du réseau qu’emprunte la ligne numéro 1 est à l’arrêt depuis au moins quinze minutes, portes fermées. C’est long avec des portes fermées. Sur le quai, personne. Où sont passés les militaires ? Que fait le dispatching d’information aux voyageurs ? Les quelques usagers qui n’étaient pas sortis à Merode sont engoncés dans leur solitude, la plupart sur leurs téléphones à la recherche d’informations, d’autres en train de texter, fébriles, des messages qu’ils postent sur des réseaux. Le costume s’est éloigné, il ouvre sa mallette en cuir brun à la recherche de documents. Personne n’ose parler aux autres. Personne n’existe. Il y a juste moi et ma voix intérieure, une rumeur qui monte lentement. La voix automatique débite son boniment : « cette rame repartira dans quelques minutes, nous nous excusons pour cet inconvénient » puis sans transition, la chanson de France Gall « Débranche » envahit l’espace de la station, pénètre l’habitacle, se diffuse à travers les haut-parleurs du dispatching. J’apprécie la rupture. « Coupe la lumière, coupe le son. Débranche. Débranche tout. Revenons à nous. » Le costume se met à sourire en tournant la tête dans ma direction. France Gall, je t’ai aimée dans ma jeunesse yuppie. London Stock Exchange. Dérégulation. Falkland. Je ferme les yeux, savoure la voix chaude de cette amie. Dis, Webana, tu fais le dispatching ? Passe-moi encore du France Gall, passe en boucle s’il te plaît.

 

Andartika – 07 :30 :00

Bouchon a envoyé le signal d’activation de notre cellule. Il miaulait derrière la porte vitrée du jardin, encore une nuit passée dehors à courir la belle ou à se mesurer aux matous. De la cellule je ne connais que mon n +1. J’ai des objectifs. J’ignore si mon action sera sans effet, une diversion ou une opération du plan principal ou encore une sous-séquence brutale et inefficace. Nous travaillons de manière agile : observer, orienter, décider, agir. Bouchon m’informe via la puce RFID implantée sous la peau du cou : l’application Chat-huant de mon téléphone a reçu une notification. Le message dit « donner pâté Minou au petit chat, ne pas oublier le lait pour Bouchon ». Ce matin. de nombreux chats à Bruxelles recevront du pâté Minou, mais le lait est réservé à Bouchon. Je serai donc chargée de la mission en deux temps. Principe de l’arme binaire : chaque élément isolé est inoffensif, combinés, ils révèlent leur puissance létale.

Bouchon est content, il agite la queue, me regarde de ses bons yeux ronds. Que veux-tu faire petit animal ? Tu sors, tu ne sors pas ? J’ouvre la porte du jardin. Les moustaches vibrent. Il est reparti. C’est l’heure aussi pour moi de partir. Je ne reviendrai sans doute plus ici, demain je serai morte peut-être. Demain je serai morte, oui. J’allume la radio. Sur la Première, la voix de François Kirsch : « les contrôleurs du ciel allemand ont remplacé cette nuit les Belges de… » est remplacée brutalement par une chanson de France Gall : « Babacar, où es-tu ? où es-tu ? ». Oui, ça commence. Dans mon métier il y a quelques règles simples à respecter, qui tiennent en un mot « invisible ». Furtivité, anonymat, discrétion. Se fondre dans la masse, tendre vers la moyenne. Le soldat aime et entretient son matériel, je vérifie mon équipement : mon badge, mon laptop, mon portable. La base. Mon arme secrète est enfermée dans un dé à coudre que je porte autour du cou. C’est une petite boîte qui vient de la Lune. Un coffre-fort portatif, minuscule. Qu’est-ce qui est plus précieux que l’or de Fort Worth aujourd’hui ? La clé qui permet de signer des millions de transactions financières. Elle est autour de mon cou. Elle vient de la Lune. Mon n +1 est très fort. Comment a-t-elle fait ? Je l’ignore. Disons que je dispose de la moitié de la clé. L’autre moitié est au bureau. Où je vais me rendre sans tarder pour une journée de travail en apparence tout à fait normale. Évidemment, sans rassembler les deux moitiés, l’arme ne fonctionne pas. Seul problème, je vais devoir tuer quelqu’un.

Je m’observe sur pied dans le miroir du couloir. Je dis à celle qui m’observe : « Andartika, tu fais une grosse connerie. Pourquoi tu fais ça ? Répète le une fois encore. »

Après quelques secondes de réflexion, mon reflet répond :

— Souviens-toi du Mémorandum of Understanding, de l’humiliation de la Grèce, ton pays.

— C’est une excellente raison. Aujourd’hui ils vont tous payer pour ce qu’ils nous ont fait.

Je claque la porte en sortant. La moto est sur le trottoir, rue Royale. Je tourne la tête à gauche vers l’église Royale Sainte-Marie, me signe et démarre en trombe vers le Quartier Européen.

 

Vesper – 07 :30 :05

Les « Cinq de Cambridge » avaient été recrutés par les Soviétiques pendant leurs études. Ils constituaient une magnifique cellule dormante. De nos jours, ni l’ami ni l’ennemi n’ont de visage ; tous font partie du « système », il faudrait un parfait étranger pour contrôler le jeu, autant dire, personne ; par conséquent vous et moi. C’est ce que j’ai commencé à comprendre alors que je grimpais petit à petit les paliers de l’administration : il n’y avait plus ni base ni sommet dans l’échelle des décisions, seules comptaient des interactions faibles ou fortes entre nœuds des réseaux et les champs d’influence, les institutions verticales n’avaient plus fonction d’appareil mais d’apparat, symbolique et souvent richement doté pour celles et ceux qui y poursuivaient leurs luttes vaines, persuadés que les autres tournaient autour d’eux. La plupart de mes collègues moins bien pourvus que moi en neurones se sont vautrés et complu dans cette crasse dorée. J’avais mieux à faire de mon énergie. J’ai beaucoup appris en étudiant l’électrodynamique quantique et quelques autres disciplines pointues, en dilettante bien sûr ; enfin, j’élaborais une méthode et des outils que je testais sur des cibles éloignées sans importance stratégique et j’en profitais pour constituer mon réseau d’intermédiaires. Au début ce n’était pas difficile. Par contre, lorsque les plates-formes sociales se sont généralisées et que les algorithmes ont mouliné les data, croisé les informations, réalisé des inférences de plus en plus pertinentes, que la méfiance s’est installée parmi les experts du chiffrement sur les portes dérobées des applications et que mêmes les médias généralistes les plus bêtes ont fini par admettre que l’information était devenue une arme de guerre, j’ai laissé tomber toutes les communications électroniques, même cryptées, sauf celles qui me servaient de couverture, car il y a toujours des fuites, un joint peu étanche aurait suffi à compromettre ma toile. Logique, puisque cela fonctionnait aussi dans l’autre sens. J’ai appris l’art opératif aux meilleures sources et je conserve toujours une longueur d’avance.

Nous avons recréé un réseau épistolaire à travers toute l’Europe. Je dis « nous » car l’idée était dans l’air. Nous nous sommes rencontrés au bon moment, de la manière qui convenait. Le courrier n’est plus acheminé à cheval ou en malle-poste, cela reste lent mais avec du bon papier et des codes empruntés à la littérature savante du siècle des Lumières, de l’habitude et de la créativité nous arrivons à nous comprendre toutes et tous à demi-mot, par allusions et notes et à nous organiser. Notre lenteur relative est même devenue un avantage compétitif. Les algorithmes nourris avec des photos de vacances d’internautes et des mots-clés à la mode manquent de finesse, sont incapables de repérer des corrélations complexes aussi ténues qu’un fil d’araignée. Nous avons construit le champ d’une influence qui survivra aux data center. Chacun d’entre nous dispose de la Correspondance complète de Voltaire et de quelques autres. Mon préféré est Leibniz ; chacun signe d’un nom illustre. De l’extérieur nous sommes un groupe d’érudits qui imite la Société des Gens de Lettres de l’Ancien Régime, discute d’idées obsolètes et se gargarise de la dotation de sa bibliothèque, commentant sans fin éditions, reliures et notes de bas de page. J’ignore combien nous sommes aujourd’hui, le réseau s’étend autour de chaque membre et les mises en correspondance requièrent patience et ténacité. Nous avons appris à tenir notre ligne. Nous avons repris l’idée d’une résilience globale du réseau internet et de la base de données distribuée des blockchains, un de ses nœuds viendrait-il à disparaître, d’autres acheminent le courrier vers leurs destinataires : Diderot, Fichte, Locke, Montesquieu ou Leibniz par exemple. Cela fonctionne très bien. Nous avons testé avec succès des scénarios de continuité sur désastre, de recouvrement ou de compromission d’informations, sans jamais nous voir, nous rencontrer ni échanger sur les plates-formes électroniques. Nous n’alimentons aucune théorie du complot.

 

Ayesha – 07 :35 :00

« Poupée de cire, poupée de son » donne le signal de la deuxième phase de l’attaque. Les portes de la rame immobilisée dans la station Montgomery se libèrent et les usagers en proie à la confusion ne demandent pas mieux que de sortir. J’ouvre les yeux, prends mon téléphone et lance l’application Chat-Huant. J’envoie un message à tous les chats de Bruxelles porteurs d’une puce électronique et facilement piratés par notre application. Les portes se referment et le métro repart mais en sens inverse, à toute vitesse. Il dépasse Merode devant les militaires ahuris, ralentit à l’approche de Schumann, s’arrête. Je comprends alors que le costume n’est pas sorti à Montgomery. Il me regarde à nouveau avec franchise, il a les épaules redressées, le buste droit.

— Cela ne vous dérange pas que je reste avec vous ? Il se passe enfin quelque chose d’intéressant et vous n’êtes pas surprise. Vous m’excuserez si je vous parle, mais vous êtes sans doute la seule personne à laquelle j’ai vraiment envie de dire quelques mots aujourd’hui.

— C’est bon, vous aimez France Gall, cela me suffit.

Je sors, jette le téléphone dans une poubelle. Le costume me suit. Sans me tourner vers lui je demande :

— Vous travaillez ici ?

— Oui, je m’occupe du service de traduction. Ce n’est plus un travail qui demande beaucoup d’effort alors je m’occupe.

— Vous vous occupez à draguer vos collègues ou des inconnues dans le métro ?

— Oh non, pas du tout. À vrai dire… j’ai honte à l’avouer… mais bon, je vais vous expliquer… vous ne le répéterez pas sur les réseaux n’est-ce pas ?

J’éclate de rire.

— Mon bon monsieur, vous vous méprenez sérieusement sur mon compte.

— Fort bien, fort bien, alors voilà…

L’alerte à la bombe a produit ses effets, la station est vide, les soldats sont partis et les caméras sont neutralisées. Le métro, toujours en sens inverse, repart vers Maelbeek. Si tout a bien fonctionné, le métro en aval est à l’arrêt, à la station très dense d’Arts-Loi. Si par contre cette rame ou une autre déjà engagée dans le boyau roule vers Schumann, il y aura collision. Difficile d’éviter tous les dommages collatéraux. Cela occupera les forces de police. Les diversions pour être crédibles portent hélas leur charge de drames humains, de morts parfois. Nous essayons de l’éviter autant que possible.

Mon voisin et moi arrivons aux portillons de contrôle, du côté de la gare ferroviaire Schumann. En face de nous un escalier débouche sur la rue de la Loi, à côté, un couloir part vers un local technique. Je l’interromps et me tourne alors vers lui :

— Vous me raconterez votre vie plus tard, peut-être, car ici se produit une bifurcation. Vous sortez ?

— Et vous ? Il prend son téléphone et le jette sur la voie. Je vous suis, cela me paraît passionnant. Si vous voulez de moi, naturellement.

— Il y a toujours des imprévus. Vous me serez peut-être utile, qui sait ?

Nous disparaissons dans le couloir. Via le local technique nous empruntons un escalier situé sous l’entrée du Berlaimont, le siège de la Commission européenne. J’ai le plan dans ma tête, nous montons d’autres escaliers, en descendons, j’ouvre des portes, je ferme des portes. Nous débouchons quelque part dans le bâtiment. En face, un bloc d’ascenseurs. La plupart sont bloqués. J’en profite pour griller une cigarette et regarder ma montre. Pendant que celui qui fonctionne nous élève jusqu’au dernier étage, je songe qu’il y a des portes dérobées ailleurs que dans les programmes informatiques. Le costume à carreaux ne me quitte pas des yeux. Il tient sa mallette serrée sur la poitrine. Je demande :

— Tu t’appelles comment ?

— Arthur… Arthur, Madame… Heu… et vous ? Si je puis me permettre…

— Bah ! Cela devait arriver tôt ou tard. Appelez-moi Ayesha.

— Oh ! « She » ! Comme dans « Celle-qui-doit-être-obéie » ?

— Qu’est-ce que tu me racontes là ?

 

Andartika – 07 :36 :44

La rue de la Loi est à l’arrêt. Les feux de signalisation déréglés ajoutés aux rumeurs qui agitent forces de l’ordre et usagers des transports produisent leur effet, les files de voitures encerclent déjà la petite ceinture de Bruxelles et les tunnels vers le Cinquantenaire. Un méga-boxon où les véhicules de police n’arrivent même plus à se frayer un passage et dans lequel seuls les piétons ou les deux roues parviennent à se faufiler. Klaxons, sirènes, automobilistes en nage, fenêtres ouvertes avec la radio tonitruante et des bulletins d’infos constamment interrompus par des chansons de France Gall, c’est l’enfer urbain presque ordinaire dans lequel j’engage la moto, souple, à contre-courant du flux ; l’exquise liberté de descendre cette longue rue maudite et de narguer tous ces robots, visage crispé, mains agrippées au volant, soucieux de leur confort étriqué et coincés par des petits chefs ou des employés aigris dans des bureaux sans fenêtre ou des open spaces derniers cris, mais tous souffrant du vide, du rien de leur existence. Mon casque ne laisse rien voir de mon sourire carnassier, seule une mèche blonde rebelle en sort et mon corps moulé dans la combinaison de cuir laisse deviner ma physionomie toute en rondeur et en pointes de diamant. Un mâle plus agressif que les autres mollusques tente de forcer le passage. J’évite en frontal sa BM noire d’un cheveu mais l’arrière de la moto, érafle sa portière et je me retrouve bloquée un peu plus loin. Drame absolu ! Le mec sort comme un boulet et me rattrape. Je lui dis : « Ce n’est pas une bonne idée ce que tu fais là. » Il hurle : « De quoi ! Ma BM, putain de s… ! »

Je crois qu’il a besoin d’une leçon de savoir-vivre. « Ta BM ? Ouais, elle est vraiment amochée, je compatis. Regarde. » Tranquillement, je remonte les quelques mètres qui nous séparent de sa voiture, portière ouverte. J’ouvre ma sacoche. « Je ne pensais pas l’utiliser si vite mais tu me donnes une idée. » On trouve de tout dans ma musette, la base de mon matériel de guerre (laptop et autres équipements technologiques du parfait hackeur) et l’accessoire (arme de poing, bâtons incendiaires, couteau). Je prends un bâton et en arrache l’embout. Un jet de flamme en sort, instantané et très beau. « Phosphore quasi pur. Tu connais ? » Les couilles du gars doivent être en train de se ratatiner. Je balance le bâton de feu dans l’habitacle de la voiture et reviens sur mes pas. Je ne me retourne pas.

 

Vesper – 07 :37 :00

Les « Cinq de Cambridge » existent, je les ai créés à l’état de bits and bytes, ils sont en veille active et silencieuse depuis des années dans la profondeur des infrastructures digitales de nos cibles. Ce sont des sous-marins indétectables. Je ne vous l’avais pas encore dit ? J’ai conçu cinq logiciels d’infiltration et d’exfiltration et avec l’aide de la Société des Gens de Lettres, ils ont été programmés, testés, assemblés et infiltrés. Dans le jargon des cyber-cerbères, on identifie ces gros virus comme des « Menaces Persistantes Avancées ». Admirez le manque total d’imagination des spécialistes de la cyber-sécurité. Mes cinq programmes ont chacun leur personnalité, leurs qualités. Pour le moment ils se contentent de ramasser des informations sans se faire remarquer et de les exfiltrer là où nous les exploitons tranquillement, entre les pages de la Monadologie de Leibniz ou du Traité des sentiments moraux d’Adam Smith. Je les ai baptisés d’après les noms de code des « Cinq de Cambridge » : il y a Stanley, Hicks, Homer, Johnson et Liszt. Petite merveille, ils se connaissent et communiquent mutuellement et toujours avec du doigté et de la furtivité. Grâce à eux, la topologie du réseau interne, les serveurs critiques et les bases de données de la Banque Centrale Européenne et de trois autres grosses institutions n’ont plus de secret, ni pour les « Cinq », ni pour nous. C’est Stanley, le plus doué, qui va ouvrir le bal. Dans mes nuits agitées je rêve d’être au bras de Kim Philby en exil à Moscou, au terme de sa mission, accomplie avec le douloureux et ambigu privilège d’avoir gagné la célébrité dans la trahison. Nous marchons sur la Place Rouge enneigée. Il m’enlace. « Et toi, Vesper, serpent aux yeux verts, me dit-il, n’es-tu pas mon propre songe ? »

 

Ayesha – 07 :40 :00

— Dites Madame Ayesha, on arrive chez les grands patrons là… c’est qu’il faut des autorisations spéciales pour aller plus loin.

— Je suis ta clé, j’ouvre les portes et tu me suis. C’est bien cela que tu voulais voir non ?

— Mon directeur ne pas être content quand il va l’apprendre. Cela va même peut-être remonter jusqu’au Président.

— Mon cher Arthur, à partir d’ici c’est vous qui allez m’aider.

Nous sommes arrivés au dernier étage de l’édifice en étoile qui symbolise le cœur du pouvoir européen, le siège de la Commission et le bureau de son Président. Jusque-là, nous n’avons croisé personne, les multiples fausses alertes à l’explosif dans le métro et les bâtiments de la Commission ont fonctionné. Et nous avons fait ce qu’il fallait. Attirer l’adversaire loin de la cible principale. Des fenêtres du Berlaimont on voit d’épaisses fumées noires monter depuis le parc du Cinquantenaire et plus loin autour du square Montgomery où d’habiles incendies ont été déclenchés, car il n’y a pas que des fausses alertes ce matin qui mettent Bruxelles sens dessus dessous. J’indique de la tête la porte épaisse qui protège l’accès au bureau du Président.

— Il y a sûrement des gardes là derrière. Arthur, c’est le moment de montrer de quoi tu es capable. Tu vas sonner et faire venir le gardien.

— Ce n’est pas difficile. Et ensuite ?

— Tu me laisses faire.

 

Andartika – 07 :42 :00

Je ne sais pas qui je vais devoir tuer. C’est un peu ennuyeux. Les messages du Chat-Huant m’ont fait comprendre qu’il s’agira de la personne que je rencontrerai au bureau et qui me demandera des nouvelles de ma famille. Étrange. Je devrai la tuer et m’emparer de sa clé.

Ce connard à la BM ne m’a pas fait perdre trop de temps, le bâtiment est toujours vide mais cela ne devrait plus trop tarder avant que les pompiers et les artificiers du génie n’entament son inspection. Voilà, j’emprunte cette bretelle interdite à la circulation, j’entre dans le parking en catimini. Que dit le plan ? OK, j’ai tout mémorisé. C’est trop facile jusqu’ici.

J’arrive à l’ascenseur privé qui mène directement aux bureaux de la Présidence. Il débouche dans le salon confidentiel où tant de complots ont été ourdis contre les peuples. Un splendide fauteuil rouge semble m’attendre. Je m’y installe.

 

Vesper – 07 :42 :05

Il faut attendre. La neige tombe lentement sur la Place Rouge. Dans mon rêve, Philby m’entraîne au mausolée de Lénine. « Regarde » dit-il, voilà l’image du futur. Son étreinte me serre de plus en plus, j’ai l’impression que quelqu’un me passe un lacet au cou. Je me débats. Philby m’embrasse. « C’est meilleur à la limite de la mort » ajoute-t-il avant de se laisser couler dans ma gorge.

Les Cinq vont bientôt se réveiller. Stanley en premier. Les deux morceaux de la clé doivent être réunis. Ai-je agi selon ce qui est juste ? Est-ce que je vais hésiter et annuler l’opération au dernier moment ?

« Le plus difficile, dit encore Philby avant de m’étouffer, c’est de tenir le plus longtemps possible cette duplicité, cette schizophrénie de l’âme entre qui nous sommes et ce que nous prétendons être. Cela en a rendu fou ou criminel plus d’un. Tenir jusqu’à l’extrême limite. Vient alors le moment de la libération. » Alors que je me regarde mourir, j’ai soudain la compréhension de ce qui m’arrive. Le charme maléfique est rompu d’un coup et sur la Place Rouge le printemps est arrivé. Philby m’offre une cigarette.

« Regarde, les préparatifs pour le défilé du Jour de la Victoire avancent bon train ». Il exhale sa bouffée en tendant la gorge vers le ciel. Des ouvriers travaillent en chantant.

— Tu sais Vesper, au début je me suis engagé par conviction idéologique, j’étais jeune et malléable, brillant et stupide en même temps, ne connaissant du monde que mon milieu social et ses préjugés et si j’ai embrassé la Cause, c’était plus par posture intellectuelle et anticonformisme que par conviction profonde, vécue. J’ai failli lâcher plus d’une fois mon rôle d’agent double, mais finalement j’ai trouvé avec la guerre d’authentiques raisons de me battre. Lorsque j’étais au MI-6, j’avais connaissance des atrocités commises par les nazis dans les Balkans et en Union Soviétique. Je voyais qui était l’ennemi, cela ne faisait aucun doute, et notre complicité qui avait engendré et nourri ce monstre me remplissait de dégoût envers mon pays, sa bonne conscience et ses intérêts marchands bien compris.

— Et si tu as tenu bon, c’est parce que tu étais prêt à mourir à chaque instant n’est-ce pas ? Ma cigarette s’était consumée.

— C’est cela, il faut tenir la ligne petite fille.

 

Ayesha – 07 :43 :00

Arthur a sonné, la porte à double battant s’ouvre toute seule. Un fauteuil rouge pivote au milieu du salon. Une femme se lève et vient à ma rencontre. Je n’aurais pas imaginé leur gardien sous les traits d’une blonde bodybuildée, bottée et recouverte de cuir noir. Je dois respecter le protocole.

 

Andartika – 07 :43 :01

Je suis surprise. Il y a deux personnes devant moi, la première est une femme noire en tailleur, grande et svelte, l’autre un petit bonhomme vêtu d’un costume à carreaux ridicule. Qui est mon contact ? Je dois respecter le protocole. Je m’avance vers ce couple incongru, tout sourire :

— Bienvenue. Je m’appelle Andartika. Heureuse de vous rencontrer.

La femme répond :

— Heureuse d’être accueillie chez vous. Je m’appelle Ayesha.

— Et vous Monsieur ? Je m’adresse au petit bonhomme qui se tient à l’écart.

— Arthur, Madame, Arthur, pour vous servir.

Je reprends m’adressant à celle qui s’est présentée sous le nom d’Ayesha :

— Vous vous connaissez depuis longtemps ?

— En vérité, depuis moins d’une demi-heure. N’est-ce pas Arthur ?

— C’est tout à fait exact. Je vis une vie passionnante en ce moment. Madame Ayesha a promis qu’elle n’en parlerait pas à mon Directeur. Et vous Madame, heu… Andartika ? Voilà un étrange prénom, je ne connaissais pas, êtes-vous l’adjointe du Président ?

J’éclate de rire. Ce protocole est vraiment surprenant. Je me rapproche d’Arthur.

« Je serais plutôt son cauchemar s’il venait à nous entendre ici même. » Arthur s’écarte légèrement de moi, il y a un trouble dans son regard. Gêné, il retire ses lunettes qu’il se met à nettoyer tout en me souriant bêtement. Ayesha reprend la conversation :

— Andartika, je crois pouvoir répondre à la question d’Arthur, cela signifie « Résistance » en grec.

— Oui, les andartès étaient les partisans qui luttèrent d’abord contre les Allemands, ensuite contre les royalistes pendant la guerre civile.

— C’est terrible ! Seriez-vous grecque ? Vous ne ressemblez pas au portrait type que je me fais des habitantes de la Grèce. Et cette guerre civile, elle a continué sous d’autres formes de nos jours n’est-il pas vrai ? Dire que c’est ici même que furent conçus ces Mémorandums iniques.

— Je suis grecque, mon père était américain. C’est une autre histoire.

— Je pense souvent que tout ce qui nous est arrivé ces dernières années est le résultat d’une faute originelle, que nous devons payer le prix fort pour ce que nous avons fait subir à la Grèce, et à d’autres pays. J’espère que les vôtres vont bien. Avez-vous eu récemment des nouvelles de votre famille ?

 

Vesper – 07 :43 :10

Ce sont deux de mes plus belles pièces. Dommage qu’il faille en passer par leur sacrifice. Je hais Philby et sa morale à la con. J’ai la haine en moi, cela me suffit. Tout le reste est de la littérature. Les deux moitiés de la clé vont être réunies, c’est ce qui compte. Et les traces seront effacées.

 

Ayesha – 07 :44 :00

Il se passe ensuite les choses suivantes, plus ou moins en même temps : Andartika dégaine un couteau qu’elle lance dans ma direction. J’entends un coup de feu. Je ressens une vive douleur au bras. Andartika s’écroule.

« Votre blessure est légère. Cela va passer. » C’est Arthur qui parle, il tient un revolver encore fumant dans la main droite. Je ne suis plus tout à fait surprise par la tournure des événements. La lame n’a fait qu’entailler le bras, à l’articulation de l’épaule. « Merci Arthur, il me faut maintenant terminer le travail. Pendant que je fouille Andartika vous allez me raconter ce que vous aviez commencé à dire tout à l’heure. Cela semblait intéressant. »

L’objet que je cherche n’est pas difficile à trouver. Andartika le porte en pendentif autour du cou. La balle tirée par Arthur a fait un trou net à la place du cœur. Un excellent tireur ce costume à carreaux. Andartika n’a pas eu de chance mais c’était elle ou moi. Je retire délicatement le bijou en platine du cou de la morte. Il y a une petite fiche USB à l’arrière, un Luna portatif, ce qu’on fait de mieux en miniaturisation d’équipement sécurisé. Mon n + 1 va être contente. Faut-il encore que je le rassemble à l’autre moitié. Cela ne va plus tarder, je touche du doigt mon propre Luna lui aussi porté en pendentif autour de mon cou. Ce pour quoi j’ai été entraînée me semble brumeux : faut-il en arriver à cela ? Je me retourne. Arthur est là, tout près.

« Pour passer le temps dit-il, je lis des romans d’aventures, de la science-fiction ancienne, ce genre de choses. Ayesha est le nom d’une héroïne d’un roman fantastique, avec ce surnom que vous avez entendu tout à l’heure, je pense que vous aimeriez le lire. Mais j’ai compris que « Celle-qui-doit-être-obéie », ce n’est pas vous. J’aimerais consacrer plus de temps à ma collection ; malheureusement il faut d’abord finir le travail. C’est dommage. »

J’entends un deuxième coup de feu.

Vesper – 08 :15 :00

J’aurais voulu être le nouveau Denis Robert, le journaliste d’investigation qui révéla les dessous des chambres de compensation basées aux Luxembourg et à Bruxelles et des circuits du blanchiment d’argent. Je suis ingénieure en informatique et je vais poursuivre le travail entamé par Denis Robert. De l’enquête on passe aujourd’hui à l’action, le système financier mondial va exploser, ou plutôt il va imploser, il va s’effondrer sous son propre poids et je serai le déclencheur.

Quel gâchis ! Ayesha et Andartika étaient deux de mes plus belles pièces. Il fallait bien les réunir au même moment, chacune porteuse de la moitié de la clé pour qu’Arthur active l’arme suprême à partir du terminal du Président, en ligne directe avec l’Eurosystème. Après, il m’a passé la main et j’ai lancé le festival. Il ne fallait pas que les limiers puissent remonter jusqu’à moi. C’est ce que je me dis en écoutant la radio et en suivant les fils d’actualité sur un des écrans de ma war room, pour le coup, elle porte bien son nom, d’où je viens de déclarer la guerre totale au système économique. Les Cinq s’activent les uns après les autres. De logiciels espions ils se transforment en bombes logiques et lancent des requêtes de destruction massive des données et des infrastructures dans les cibles où ils sont implantés. Au fil des minutes et des heures, j’observe les résultats des actes de cette guerre électronique qui produit ses effets bien réels, tangibles. Première cible touchée : Francfort et la Banque Centrale Européenne, puis par contagion la plupart des banques nationales affiliées à l’Eurosystème et par effet domino la plupart des banques commerciales du Tier One, le réseau des plus grosses réserves de capitaux bancaires. La toute-puissance de la monnaie repose sur la confiance de ses usagers et la croyance en la solvabilité des institutions qui en garantissent l’existence. Mais que se passe-t-il lorsque les dépôts des petits épargnants se remplissent de zéros et que ni leurs banques, ni les banques de leurs banques ne sont plus en mesure de recouvrir leurs pertes, parce que leurs propres comptes se remplissent eux aussi de zéros ? L’argent disparaît. Mais sa virtualité est aussi la garantie de sa prompte résurrection. C’est ce que le mythe de l’hydre aux têtes innombrables m’avait appris. J’en coupais une, elle repoussait. Une opération d’écriture peut faire ou défaire une autre opération d’écriture. Évidemment, tous les comptes étant vidés, cela n’allait pas se faire sans mal ni par un claquement de doigts. Voilà pourquoi Stanley, ayant bien identifié les redondances des bases de données centrales et les sites de recouvrement après désastre, s’attaquait à l’ensemble des infrastructures physiques des centres de données, l’un inondé ou nappé de fréon, l’autre incendié, un troisième en panne d’électricité, voire les trois causes interagissant les unes avec les autres dans la plupart des cas.

Voilà qui débarrasserait les peuples de leur addiction à la monnaie centrale pour un petit temps. Mon espoir était que le chaos économique force les peuples à demander des comptes à leurs gouvernants, puis, une chose venant à la suite, se mettent enfin à se gouverner eux-mêmes.

Mais Stanley n’est que le premier des Cinq. Les trois suivants, Hicks, Homer et Johnson, ont attaqué leurs cibles, moins connues du grand public mais combien importantes pour la gestion des flux financiers et des paiements entre banques à l’échelle mondiale ; deux d’entre elles sont situées à la périphérie de Bruxelles, la troisième au Luxembourg. Il s’agit d’Euroclear et de SWIFT et bien sûr de Clearstream. Denis Robert doit être content. J’apprends d’ailleurs qu’il est nommé directeur du Média, une web télé indépendante. Là, c’est un grand coup frappé en direction du commerce international, licite et illicite. Difficile de faire la part des choses puisque le blanchiment de l’argent du crime revient dans l’économie légale et que l’évasion fiscale vers les places offshore sert à alimenter les trafics les plus douteux.

Quant à Liszt, le dernier des Cinq, il va maintenant frapper le cœur secret du monstre. Il n’y a plus ni amis ni ennemis, il y a le pouvoir que chacun détient sur ce qu’il fait. J’ai la haine depuis toujours. Dans ce métier que je viens de porter à sa plus haute expression, il est un principe fondamental à respecter : discrétion, invisibilité, effacement des traces. Cette puissance de destruction que j’ai déclenchée va à présent pouvoir se retourner contre sa source et moi j’aurai enfin trouvé la paix.

Dans mon dernier rêve, je me trouve à Berlin en ruine, face à la Porte de Brandebourg, des fantômes errent à la recherche d’un souvenir ou de quoi manger. Kim Philby est triste, il lève la tête vers le drapeau rouge planté au sommet du Reichstag, il parle en mélangeant l’allemand au russe et à l’anglais. « O mort, où est ta victoire ? » me dit-il, me tendant un Luger Parabellum ramassé sur le cadavre d’un jeune officier allemand : « Bienvenue à la maison Vesper ».

 

Berlaimont – 08 :30 :00

Arthur savoure sa victoire. Confortablement installé dans le fauteuil rouge du salon privé du Président, un verre de vieux whiskey à la main, un cigare dans l’autre, piochés dans les réserves personnelles du Président, « qui ne présidera bientôt plus rien du tout » pense-t-il, Arthur entend les bruits qui se rapprochent. Sirènes en bas du Berlaimont, ordres lancés à une foule inquiète massée au rond-point Robert Schumann, bruits de pas de l’autre côté de la porte à double battant. Il fait un petit signe de la main à un hélicoptère qui tourne autour du dernier étage. Enfin, les portes s’ouvrent et une troupe de pompiers, de policiers, de militaires surarmés, déboule en trombe dans le salon. Arthur se lève avec dignité, il passe le pouce dans la doublure de son veston à carreaux et de l’autre tient son cigare, « pour la photo » se dit-il. Devant la troupe médusée, le petit homme âgé se contente de dire :

— Fort bien, Messieurs, mais vous en avez mis du temps. Vous allez d’abord enlever les cadavres encore tièdes de ces deux belles dames qui ont réglé quelque vieille querelle autour du Président. Ensuite, j’aurai à vous raconter une longue histoire. Puis, je pourrai enfin m’occuper de mes collections.

Il s’avance.

Je suis à vous.

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