Marginales 290 – Les calepins de Jean-Pol Baras

Jean-Pol Baras,

Samedi 16 mai – Les deux jeunes cinéastes israéliens Sharon Maymon et Tal Granit ont à leur tour réalisé un film consacré à l’euthanasie, notamment liée à l’irrémédiable développement de la maladie d’Alzheimer. L’histoire se déroule dans une maison de retraite des faubourgs de Tel Aviv et les décisions d’en finir sont prises par des résidents, les actes d’euthanasie restant interdits dans le pays. Bien menée, la narration est parsemée de clins d’œil humoristiques comme les juifs savent en bâtir, dans le cynisme, la moquerie et l’autodérision. Il n’empêche que l’on sort de la salle secoué, en pensant inévitablement à son propre destin.

Dimanche 17 mai – « Les loups sont entrés dans Paris » chantait Serge Reggiani à la charmante Elvire. Il faudrait reprendre le texte de Vidalie en l’adaptant selon les rimes : en effet, les islamistes sont entrés dans Palmyre. Et l’Unesco, impuissante, craint le pire, charmante Elvire…

Lundi 18 mai – Les relations entre Alain Juppé et Montesquieu paraissent un chouïa plus intéressantes que celles entretenues par Nicolas Sarkozy avec Madame de La Fayette ou Victor Hugo. Juppé vient d’ailleurs de publier une édition augmentée du livre qu’il avait consacré au seigneur franc-maçon de La Brède. (Alain Juppé. Montesquieu le moderne, éd. Perrin-Mollat). Il serait bon aussi que François Hollande s’y plongeât, le cas échéant…

Mardi 19 maiLa Tête haute permet à Catherine Deneuve de soutenir une cinéaste, Emmanuelle Bercot et de révéler un jeune talent, Rod Paradot, absolument prodigieux dans le rôle d’un enfant du juge, plus brutal que turbulent, plus désaxé que dévoyé. Dans un cadre Dunkerquois misérable, le gamin sort de sa camisole cérébrale très lentement et cette lenteur est le sel de l’histoire. Si celle-ci est inspirée – comme on dit – de faits réels (méthode fort courante ces temps-ci au cinéma), il y a de quoi prendre conscience des plaies sociétales avec angoisse. Cela dit, il ne faudrait pas non plus croire que le fait de se découvrir une paternité à 17 ans permet à un jeune délinquant d’exorciser ses déviances.

Mercredi 20 mai – On n’a pas oublié Une merveilleuse histoire du Temps, le film de James Marsh retraçant la vie de physicien Stephen Hawking sorti sur les écrans l’an dernier. Plus prosaïquement, Cannes a eu son moment proustien. À la manière de Georges Perec, qui avait mis le cher Marcel en application par l’élaboration d’un répertoire aux souvenirs (Je me souviens, 1978)

Jeudi 21 mai – Le 5 décembre 1969, interrogé par l’hebdomadaire Germinal, le ministre belge Leo Tindemans, qui deviendrait Premier moins de dix ans plus tard, se demandait : « Pourquoi les Marocains qui conduisent les trams bruxellois ne connaissent-ils pas le néerlandais ? »

Vendredi 22 mai – Dans Le Soir, Jean-Paul Marthoz apporte sa contribution aux débats sur la situation de l’islam aujourd’hui et ses dérives. Dans ses développements, il s’appuie sur la position sévère de Bernanos relayée par Mauriac à propos des horreurs du franquisme soutenues et justifiées par l’Église espagnole, elle-même approuvée par le Vatican. Cette phrase, bien connue, extraite des Grands cimetières sous la lune, sans doute l’une des plus puissantes et des plus emblématiques du XXe siècle infernal : « Il vaut mieux être en règle avec sa conscience qu’avec sa foi ».

*

Trois visions de la ville au Musée de la photographie de Charleroi, dont celle de Stephan Vanfleteren (Courtrai, 1969), qui explore les concentrations urbaines sans concession, en y décelant des traces de vie. Bien que l’on ait cessé d’en extraire du charbon, cette région que l’on appelait Le Pays Noir reste un pays noir. Il convient d’essayer de lui trouver un charme, dans la fatalité de l’infortune.

Samedi 23 mai – La Belgique est un petit pays de 11 millions d’habitants qui possède trois langues nationales : l’allemand, le français et le néerlandais. C’est pourquoi le chanteur qui la représente au Grand prix de l’Eurovision interprète sa mélodie en anglais. Il termine 4e et le pays exulte. La Belgique a remporté une seule fois le trophée, c’était en 1986 avec Sandra Kim, une petite Liégeoise qui interprétait J’aime la vie (en français…) Proposition : l’an prochain, y envoyer Julos Beaucarne qui s’exprimera en wallon avec La P’tite Gayole. La Belgique ne gagnera pas mais elle aura au moins vanté son terroir. Et bien entendu, une tournante devra être assurée pour éviter un conflit communautaire de plus. L’année suivante, on pourrait proposer une goualante de Thyl Ulenspiegel et l’année d’après une épaisse ritournelle des Marolles bruxelloises.

Dimanche 24 mai – Et si, profitant d’une chaude après-midi vernale, sous le ciel de Pentecôte, on évoquait Palmyre autrement qu’à travers la politique, la diplomatie, la guerre, le patrimoine architectural… ? La littérature. Baudelaire, bien sûr, et le poème Bénédiction des Fleurs du Mal. Et puis aussi, moins connu, Xavier Canonne, dans Les Beaux restes (éd. Les Marées de la nuit, 2003) :

« C’était à Palmyre, au soir tombant. Nous fumions des cigarettes égyptiennes au seuil d’un tombeau qu’un pipeline traversait d’outre en outre.

P. avait une montre dont la teinte variait avec les heures, J. l’expression blasée qu’il promenait en tous lieux.

La nuit distillait ses étoiles et les feux de l’hôtel Zénobia où nous avions dîné près du poêle éteint.

La veille, dans une grotte sulfureuse, une femme à la peau blanche s’était pour nous dévêtue. »

Lundi 25 mai – Le cinéma français est le grand triomphateur de Cannes et Vincent Lindon est fou de joie ; il vit un rêve d’enfant. Voilà les deux nouvelles hexagonales qu’apportent ce matin les échos de la Croisette. La presse italienne, déplorant que Moretti et Sorrentino fussent écartés, accuse le jury de francophilie. Des cocoricos ? Oui bien sûr, mais le premier d’entre eux est pour le Festival de Cannes lui-même, qui rayonne pendant deux semaines sur toute la surface de la planète, car si le cinéma français a été honoré, le jury, très international, a aussi salué des talents colombiens ou chinois. Et puis quoi ? Cette compétition s’inscrit comme la discipline qu’elle représente, dans l’universalité. Laissez donc votre bannière au vestiaire, ce Festival est une affaire de cœur.

Mardi 26 mai – Déjà plus de 800 morts en Inde. Daech ? Non, la canicule.

*

Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin. Un film trop discontinu, donnant parfois l’impression d’être inachevé. Il lui manque une charpente, un lien. On pouvait en attendre mieux après les échos de son passage à Cannes, la semaine dernière.

Mercredi 27 mai – Réflexion faite, il reste un grand rôle à incarner pour Gérard Depardieu afin de couronner l’apogée de sa carrière : Victor Hugo, l’homme-océan. Mais la personnalité, l’envergure et l’œuvre du personnage sont telles qu’aucun cinéaste n’a encore jamais osé entreprendre pareil tournage. On est sûr pourtant que Jean-François Kahn serait emballé par l’idée d’écrire le scénario du film. Au grand Gérard de convaincre un génie de la caméra plutôt que, blasé, parler de sa fin prochaine par-delà l’Oural.

Jeudi 28 mai – Dans une tribune intitulée De Jérusalem à Constantinople et publiée dans Combat le 29 juin 1967, Gabriel Matzneff soulignait que l’éminent gaulliste Philippe de Saint-Robert estimait que « si Jérusalem doit être juive, Constantinople doit être chrétienne ». Matzneff précise aussi : « J’ai écrit dans Le Défi [éd. La Table Ronde, 1965] que le destin de Sainte-Sophie est un fer rouge qui ne cesse de brûler notre cœur » Il y a cinquante ans… Et puis l’Islam s’épancha…

Vendredi 29 mai – Le département d’État états-unien annonce que Cuba est rayée de la liste des pays soutenant le terrorisme. Cette inscription datait de l’ère Reagan, 1982. C’est un pas de plus vers le rétablissement des relations entre l’île castriste et les États-Unis. Reste encore à lever l’embargo décrété depuis plus de cinquante ans et Barack Obama pourra se rendre en visite à La Havane. En guise de calumet de la paix, il pourra même humer un cigare afin de se prêter à la photo historique.

Samedi 30 mai – Rien n’est simple. L’hebdomadaire Marianne de Jean-François Kahn avait, le 2 février 1998, fait paraître un dossier sous le titre : Non, le gaullisme n’est pas mort. Éric Dior qui en assumait la rédaction y rapportait cette phrase de la mère du Général : « Charles est un bon fils mais son seul défaut, c’est qu’il est républicain. »

Dimanche 31 mai – Le FMI semble revoir ses analyses à propos de la Grèce et n’exclut plus un Grexit, une sortie de la Grèce de l’Union. Comme celle-ci a toujours avancé chaotiquement, les observateurs pencheraient plutôt pour un maintien de la Grèce dans l’Union mais une sortie de la zone euro. D’autres évoquent une zone euro à deux vitesses. L’Europe avance déjà aujourd’hui à au moins deux vitesses. À force d’actionner la manette du changement de vitesse, on va finir par embrayer la marche arrière.

Lundi 1er juin – Du temps où Brassens le chantait, le pont des Arts était connu pour son vent fripon et maraud. Depuis lors, il est devenu célèbre pour ses « cadenas d’amour » accrochés à ses grilles. Il eut été amusant de connaître la manière dont Brassens aurait célébré poétiquement cette pratique (sans doute par une autre déclinaison des Bancs publics : « Quand les mois auront passé quand seront apaisés leurs beaux rêves flambants / Quand leur ciel se couvrira de gros nuages lourds… ») Les amoureux qui ont souhaité identifier leur liaison par ce symbole ne le sont peut-être plus aujourd’hui mais la trace de leur geste était restée comme un verrou sur leur destin programmé. Le pont des Arts devenait un danger. Ses grilles protectrices risquaient à tout moment de s’effondrer. Un accident dû à une déclaration d’amour étant plus stupide que n’importe quel autre, la mairie de Paris décida d’enlever tous les cadenas. Une mesure de sécurité sans doute nécessaire, mais qui griffera la poésie de cette Ville enchanteresse et attristera celles et ceux qui entretiennent un amour durable depuis la pose de cet objet, descendant direct de la ceinture de chasteté.

*

Bernard-Henri Lévy doit s’en faire une raison : chaque fois qu’il se produira en Belgique, si l’on ne met pas Noël Godin en prison durant son séjour, il se fera entarter. À Namur, ce doit être la huitième fois qu’il vient de subir la sanction du gloupier. Qu’il se console e sachant que s’il se rendait en Libye, le pays qu’il a voulu libérer du joug de Kadhafi avec l’assentiment de Sarkozy, ce n’est pas de la crème fraîche qu’il recevrait sur sa belle crinière philosophique.

Mardi 2 juin – Le genre littéraire du XVIIe siècle, ce sont les maximes, les principes de morale qui, plus tard, davantage travaillés, raffinés dans l’ironie ou le cynisme, se transformeront en aphorismes. La Bruyère, La Rochefoucauld, Pascal, bien sûr ; mais tant d’autres se sont exprimés en pensées, sentences ou préceptes dont les citations pourraient émailler ou illustrer notre actualité. Exemples. De Madame de Sablé : « L’étude de la recherche de la vérité ne sert souvent qu’à nous faire voir par expérience l’ignorance qui nous est naturelle. » ou « La plus grande sagesse de l’homme consiste à connaître ses folies. » De l’abbé D’Ailly : « La raillerie est souvent une marque de stérilité de l’esprit. Elle vient au secours quand on manque de bonnes raisons. » De Monsieur de Moncade : « On n’avance guère dans le monde quand on n’a que du mérite. », ou « On ne confierait jamais son secret à personne si on avait assez de force pour le garder. » C’est infini. Tant de noms à découvrir ou redécouvrir qui ont alimenté l’esprit français, et qui trouveraient leur pertinence au goût du jour !

Mercredi 3 juin – La critique qualifie Le Labyrinthe du silence de drame historique. Ce pourrait aussi être considéré comme un film pédagogique sur le pouvoir du droit et la recherche de la vérité. À Francfort, en 1958, sept ans après la fin de la guerre, les citoyens ordinaires ne savaient pas qu’Auschwitz avait existé. Ceux qui savaient ou se doutaient ignoraient les horreurs qui s’étaient déroulées ou feignaient d’en diminuer l’importance. Même un jeune procureur brillant était dans l’ignorance. Johann Radmann, remarquablement incarné par l’acteur Alexander Fehling, va se transformer en Icare mais il ne se brûlera pas les ailes malgré des obstacles pénibles à surmonter ainsi que des moments de déréliction douloureux. Et grâce à lui, en 1963, pendant deux ans un procès éclairera l’Allemagne et condamnera quelques bourreaux du camp de la mort. Pas assez sans doute ; Radmann regrettera ne pas avoir réussi à capturer l’infâme Docteur Mengele qui mourra au Brésil en 1979 sans jamais avoir été jugé. Il faut savoir gré au réalisateur Giulio Ricciarelli et à la scénariste Elisabeth Berthel d’avoir réalisé cette œuvre où la persévérance dans la nécessité de faire toute la lumière sur les crimes nazis confère à l’Allemagne d’aujourd’hui une grandeur face à l’authenticité dont la Turquie ferait bien de s’inspirer.

Jeudi 4 juin – Une fois encore, Marseille est à la pointe des initiatives nouvelles. La conférence méditerranéenne sur le Climat (Med COP21) y est lancée par François Hollande. Après avoir décidé qu’Areva devait être reprise par EDF, le président s’est rendu dans ce qui sera la ville-test pour la fameuse semaine internationale que la France organisera en décembre autour de l’avenir de la planète. Marseille possédera un quartier écologique, où la solidarité énergétique (récupération du chaud, 75 % d’énergies renouvelables, etc.) sera expérimentée. Ce jeudi, Hollande est plein d’énergie. Il y aura bien un journal qui saisira cette expression facile pour commenter son escapade provençale… Il est vrai que le président fait preuve d’énergie tous les jours…

Partager