Lundi 16 mai – Revoir Police Python 347 (Arte, hier soir), le film qui lança la carrière d’Alain Corneau grâce à un trio d’acteurs exceptionnel : Simone Signoret, Yves Montand et François Périer. On délaisse trop le souvenir de François Périer. C’était un homme franc, honnête, direct. Ces qualités, il les avait déjà démontrées en tant qu’étudiant au conservatoire. Son professeur, Louis Jouvet, enseignait le jour et jouait le soir à la Comédie française. Lors d’un exercice devant la classe, il avait demandé à Périer de donner une scène d’une pièce de Molière. L’élève s’exécuta. Verdict du maître, avec sa légendaire intonation : « Si Molière vous a vu, il a dû se retourner dans sa tombe ». Réplique immédiate du jeune François : « Eh bien alors il est à l’endroit parce qu’il vous a vu hier soir dans L’École des femmes ». Quand on se projette dans ce moment, on ne peut que s’accorder sur ce point : le jeune homme avait non seulement du bagout mais aussi du culot. Les deux ensemble, ça ne peut faire que du talent.
Mardi 17 mai – C’est l’histoire de François et François. Le premier dirige la France, le deuxième dirige l’Église. Il vient d’accorder un entretien à La Croix, un journal qui paraît dans le pays de François. Et comme tous les papes qui l’ont précédé depuis des siècles et des siècles, il ne peut s’empêcher de s’immiscer dans la vie publique des États. François est un pape audacieux et social, très apprécié pour ses prises de position qui bousculent les conservatismes du Vatican. Il précise donc qu’« un État doit être laïque » car « les États confessionnels finissent mal ». Certes. Mais quelques paroles plus loin, il « adresse une petite critique à la France » estimant que celle-ci « exagère la laïcité ». Il ne dit pas cependant ce qu’il entend par « exagérer la laïcité ». Il suppose seulement qu’il s’agit sans doute de « l’héritage des Lumières ». Ah ! Les Lumières ! Elles n’ont donc pas encore fini d’agacer… Comme la vie était simple dans l’obscurité !… François-président a invité François-pape dans son pays, que l’on qualifie toujours de « Fille aînée de l’Église ». François-pape accepta mais il précisa qu’il viendrait plutôt après la campagne électorale. Pour l’heure, François-pape n’a pas encore donné de consigne de vote. Une première conclusion s’impose toutefois : un François n’est pas l’autre.
Mercredi 18 mai 2016 – Pedro Almodóvar connaît bien les femmes. Il les aime, sait capter leurs peines et leurs tourments, leurs sentiments de tous ordres. Il les perçoit tellement bien qu’il sait les projeter sur l’écran aussi bien par le clin d’œil plaisant (Femmes au bord de la crise de nerfs), (Tout sur ma mère) que dans le drame familial. Cette veine-ci est admirablement mise en évidence avec Julieta, l’histoire d’une maman dont la fille se distancie au point de ne plus lui donner des nouvelles pendant treize ans. Emma Suarez interprète le rôle de cette femme perdue d’elle-même, aussi bien dans les moments de bonheur que dans les périodes tristes ou même de totale déréliction.
Jeudi 19 mai – Auteur d’un nouvel opus en faveur de l’Union européenne (Le Mal européen, préface de Daniel-Cohn-Bendit, éd. Plon), Guy Verhofstadt, le président des parlementaires libéraux, voit dans le référendum britannique du 23 juin une chance de rétablir une avancée constructive à commencer par la création d’un gouvernement de la zone euro, d’assumer pleinement une Europe à deux vitesses. Voit-il des intentions de soutenir pareille réforme chez les membres principaux ? « François Hollande m’a donné l’impression d’être convaincu de la nécessité d’agir dans un proche avenir et devrait, en tout cas, évoquer cette question après le vote britannique. » On peut parier sur le fait que comme Mitterrand, si Hollande était réélu, il se consacrerait prioritairement à la construction européenne. Mais qu’il s’y attache dès l’été, ce serait un gage de conviction mais aussi un témoignage de nécessité urgente. Il est vrai qu’en 2017, après l’élection présidentielle française et les législatives qui suivront, ce sera au tour de l’Allemagne de préparer les siennes qui devraient se tenir au début de l’automne.
Vendredi 20 mai – Extrait de Crayonné un lundi matin (belle expression en forme de parabole pour éviter de dire Bâclé… Tout simplement…), la chronique hebdomadaire de Bernard-Henri Lévy dans Le Point :
« La plus grande ruse du diable, dit-on, est de faire croire qu’il n’existe pas. Et si, pour Dieu, c’était l’inverse ? Et si sa ruse majeure était de faire croire qu’il existe ? Piège de l’ontologie du divin. Donc de la théologie. Et bien sûr du fondamentalisme. »
Soit. C’est une hypothèse rabâchée, cependant, prenons-la, pourquoi pas ?… Mais surtout, pourquoi le philosophe se plaît-il d’ajouter :
« À quoi j’oppose, pour ma part, l’esprit du judaïsme et son irréligion » ?
On n’en finira donc jamais avec ces branches de monothéisme…
« L’hypocrisie de l’irréligion » disait déjà Joseph Joubert…
Samedi 21 mai – Mathématicien, écrivain, philosophe, Bernard Le Bouyer de Fontenelle vécut 99 ans, 10 mois et 29 jours. Ce fut sans doute cette longue durée qui l’inspira sur son lit de mort : « Il est temps que je m’en aille, je commençais à voir les choses telles qu’elles sont. » Il paraît que cette réflexion avait beaucoup intéressé les surréalistes.
Dimanche 22 mai – Le nouveau Premier ministre turc s’appellera Binali Yldrim. Il vient d’être désigné président de l’AKP avec un score coréen. Âgé de 60 ans, il était ministre des transports dans le gouvernement démissionnaire. Mais ce ne sont pas là ses principales caractéristiques. Celle pour laquelle il a été désigné est, est… On le donne en mille… Est qu’il est un affidé de Recep Erdogan. Élémentaire mon cher Watson !
Le Festival de Cannes n’a pas failli à sa tradition. Les parties les plus importantes de son palmarès sont à nouveau très politiques. Le film Le Client de l’Iranien Asghar Farhadi reçoit non seulement le prix du Scénario mais de surcroît, il est honoré aussi grâce au prix d’Interprétation masculine qui revient à Shahad Hosseini ; des noms qui ne sont encore connus que des cinéphiles mais que l’on apprendra très vite à repérer dans les affiches, compte tenu de leur âge et de leur révélation. Xavier Dolan, très ému en recevant le Grand prix pour Juste la fin du monde, cite Anatole France : « Je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence ». Quant à Ken Loach, qui reçoit sa deuxième Palme d’or avec Moi, Daniel Blake (la première lui avait été octroyée il y a dix ans pour Le vent se lève), il prononce un discours virulent contre le néolibéralisme qu’il termine par : « Un autre monde est possible ! » On n’en attendait pas moins de lui.
Lundi 23 mai – L’Autriche a échappé de justesse à une présidence d’extrême droite. Les nombreux votes par correspondance ont inversé les scores connus hier soir. On estime que ces suffrages émanent de citoyens autrichiens vivant hors de leur pays et partisans d’une Europe plus forte et plus unie, ainsi que de personnes très âgées de l’intérieur du pays qui auraient connu les horreurs de la Seconde guerre mondiale. Libéral, centriste sensible aux thèses écologistes, le nouveau président, Alexander Van der Bellen, ancien professeur d’économie, qui remporte finalement le scrutin avec 50,3 % des voix, n’aura évidemment pas la tâche aisée. Puissent les grandes familles politiques traditionnelles (les sociaux-démocrates et la démocratie chrétienne) l’aider à redonner au pays l’élan de civisme qui lui manqua.
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Céline Dion : « Pour René, je reprends goût à la vie. » « Pour René… » On se croirait dans un film de Dany Boon.
Mardi 24 mai – Une heure d’entretien sur France-Culture pour François Hollande, l’occasion de se poser la question de la trace qu’il laissera, du besoin de mémoire aboutissant à des commémorations, et tout logiquement, « nous ne faisons pas que rappeler l’Histoire, nous la faisons ! » Mitterrandien vous dit-on, mitterrandien…
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Jusqu’en 1858, ceux des Japonais qui connaissaient une deuxième langue parlaient le néerlandais. Ce n’est qu’à partir de cette date, les relations commerciales s’amplifiant plus loin que les comptoirs des Pays-Bas, que commença l’apprentissage de l’anglais et du français au pays du Soleil levant.
Mercredi 25 mai – Café society, le nouveau film de Woody Allen, est comme toujours délicieusement cruel. Cette fois, en plus de la haute société nouillorquaise, c’est le microcosme hollywoodien qui en prend pour son grade sur fond d’amour déchiré, déchirant. Une caricature classique chez ce pince-sans-rire où l’humour juif ponctue évidemment les traits. Quant à l’accompagnement musical, il est une fois encore admirablement choisi, savoureux dans sa multiplicité.
Jeudi 26 mai – On parle beaucoup ces jours-ci de Miles Davis, qui aurait eu 90 ans aujourd’hui, un an de plus que Juliette Gréco avec laquelle il partagea une belle histoire d’amour en 1949. Il faut s’attendre à ce que le 25e anniversaire de sa mort, le 28 septembre prochain, soit plus encore évoqué dans les milieux musicaux. Pour l’heure, on retiendra la phrase très mozartienne du génial trompettiste : « A quoi sert-il de jouer toutes les notes ? Il suffit de jouer les meilleures… ! » Miles Davis, le Mallarmé du jazz.
Vendredi 27 mai 2016 – Obama, premier président américain à se rendre à Hiroshima, n’a pas présenté d’excuses. C’est mieux ainsi. La mode des repentances était devenue insupportable. De surcroît, des excuses sur ce sol d’horreurs eussent été indécentes. Une prise de parole invitant les grandes nations à supprimer leur arsenal nucléaire. Soit. Mais ce sera un vœu pieux, d’abord parce que les États-Unis n’élimineront jamais leur stock complètement. Éviter une propagation est déjà une vraie mesure ; surveiller des pays instables et fous (Obama cite à raison la Corée du Nord) est indispensable. Réduire les stocks est déjà en application partout. Cela dit, la dissuasion nucléaire a quand même une longue carrière devant elle.
Samedi 28 mai – Un peu plus à droite s’il vous plaît… Les ministres les plus modérés du gouvernement israélien démissionnent depuis que Benyamin Netanyahou y a fait entrer Avigdor Liberman, l’une des personnalités les plus va t’en guerre de l’État hébreu. Vendredi prochain, en présence de John Kerry, s’ouvre à Paris la conférence israélo-palestinienne chargée de relancer le processus de paix. Autant dire que l’initiative ne débouchera pas sur les solutions très positives. À moins qu’un miracle… Par exemple, que les services secrets aient découvert une menace djihadiste…
Dimanche 29 mai – Cinquième puissance économique latino-américaine, pays disposant du plus grand nombre de réserves pétrolières prouvées, qui produit plus de 2,5 millions de barils par jour, le Venezuela connaît une pénurie alimentaire. Les images diffusées dans le monde entier montrent les rayons des supermarchés dramatiquement vides. Il est certains que les 31 millions d’habitants, quasiment tous atteints par le manque d’approvisionnement alimentaire, vont tôt ou tard se soulever. Même les héritiers d’Hugo Chavez reconnaissent leurs carences ! C’est dire !…
Lundi 30 mai – Dans un discours public à Istanbul, le président Erdogan « condamne la répression policière en France ». Surtout ne pas s’indigner pour cette inadmissible immixtion dans les problèmes intérieurs d’un pays étranger ; c’est ce qu’il attend. Sourire, forcément sourire…
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À présent que la principale commémoration du centenaire de la Grande guerre est passée, il est fort probable que plus rien ne sera évoqué jusqu’au 11 novembre 2018. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur les pauvres soldats qui n’en pouvaient plus, qui, patriotes, devenaient réfractaires, poussés à bout, et qui passaient par le peloton d’exécution, abattus par leurs frères d’armes sous les ordres de leurs propres officiers. L’année 1917 fut très prolixe dans cette catégorie de fusillés là, ajoutant un peu plus d’abjection, de bassesse, de saloperie à la stupidité de la guerre. Durant ses années à Matignon, Lionel Jospin osa évoquer le drame des mutins épuisés, frappés de condamnation à mort par un Conseil de guerre qui se devait d’éviter la propagation de leurs actes. Que le président de la République fraîchement élu s’empare de cette griffe de l’Histoire l’an prochain serait tout en son honneur. Sinon, qu’est-ce que les adeptes du commémoratisme peuvent préparer ? La mort de Charles Baudelaire (31 août 1867) ? Celle de Marie Curie (7 novembre 1917) ? Celle de Mata Hari pour rester dans la Grande guerre (15 octobre 1917) ? Ou celle d’Auguste Rodin (17 novembre 1917) ? Le 200e anniversaire de Pierre Larousse ne devrait, quant à lui, point passer inaperçu… Et l’on s’intéressera perfidement à la manière dont le Parti communiste et le journal L’Humanité s’attacheront à raviver les élans de la Révolution d’Octobre…
Mardi 31 mai – Il avait pris en otage l’ethnologue-archéologue Françoise Claustre dans le désert du Tibesti le 21 avril 1974. C’est ainsi qu’il fut connu en Occident. La séquestration dura encore 9 mois après que le président Giscard d’Estaing eut payé la rançon. 33 mois au total. Il devint maître du Tchad, dictateur absolu. Des centaines de Tchadiens moururent sous ses ordres. Son procès vient d’avoir lieu à Dakar, au Sénégal, et non pas dans le pays qu’il mit à genoux. C’est inédit. Le voici condamné à la perpétuité, et non pas à la peine capitale. C’est inédit aussi, d’une certaine manière. Les choses se sont déroulées de manière impeccable, la justice a fonctionné parfaitement. Le verdict a été salué dans une liesse simple, sobre et solennelle. Il est bon de s’en souvenir, et de saluer l’Afrique.
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Anne Hidalgo, maire de Paris, va ouvrir un camp pour réfugiés syriens dans le Nord de la capitale. Il est bon aussi de s’en souvenir, et de saluer cette femme socialiste, digne des valeurs qu’elle défend et qu’elle sait transformer, de paroles en actes.
Mercredi 1er juin – François Hollande ne cesse d’inaugurer et de redistribuer. Après avoir retrouvé Alain Juppé à Bordeaux autour de la magnifique Cité du Vin, un joyau touristico-culturel qui dopera encore le commerce de la région, il accomplit le trajet du tunnel de 57 kilomètres de rails sous le Saint-Gothard en compagnie d’Angela Merkel. Qu’y voir en cette prouesse technique suisse relative au plus long tunnel du monde ? Que la Confédération helvétique se rapproche encore un peu plus de l’Union européenne ? Le voici à présent qu’il conclut le congrès des maires de France en leur annonçant une baisse de moitié de la dotation des communes. Venu pour être sifflé, il en repart applaudi…
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Retour chez ma mère, d’Éric Lavaine. Un frère, deux sœurs, une mère veuve. L’histoire, même parsemée de petites touches bien concoctées, reste ordinaire, souvent caricaturale et convenue. Mais il y a Josiane Balasko, secondée par Alexandra Lamy et Mathilde Seigner, cette Balasko qui donne l’impression, depuis Gazon maudit (1995) d’être capable d’incarner qui que ce soit et qui, comme le bon vin, s’améliore en vieillissant.
Jeudi 2 juin – Dans son journal de l’année 1996, le mercredi 10 janvier, Edgar Morin écrit : « Au répondeur un message de Borer qui m’apprend que Verlaine est mort un 8 janvier et que sa dernière parole a été ‘François’ sans qu’on n’ait jamais su de qui il s’agissait. »
C’est d’autant plus étrange que Verlaine mourut le 8 janvier 1896, soit cent ans jour pour jour avant Mitterrand…
Vendredi 3 juin – Les troupes de Bachar-al-Assad, soutenues par l’aviation russe, sont entrées dans le territoire occupé par Daesh. Quand on en aura fini avec l’État islamique, on n’en aura pas pour autant terminé avec le tyran de Bagdad.
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Quand on parle du zouave du Pont de l’Alma, ce n’est jamais pour évoquer la guerre de Crimée ou la dépense somptuaire de Napoléon III qui fit construire ce monument afin de vanter sa gloire par militaire interposé ; c’est surtout prosaïquement pour mesurer le niveau de la Seine. On s’inquiète de toutes parts. Car pour l’heure, l’eau a dépassé les hanches du zouave. Clin d’œil au poète Tristan Derème : la main de ma sœur doit être bien mouillée !
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Il aimait tant l’étude des vivants qu’il lui arrivait parfois de réfléchir à leur mort : « Tous les espoirs sont permis à l’Homme, même celui de disparaître. » (Jean Rostand. Pensées d’un biologiste, 1967)
Samedi 4 juin – Que s’est-il passé sur la place Tien An Men à Pékin le 4 juin 1989 ? Pour les Chinois, rien de particulier ; d’année en année, la presse reste muette sur le sujet si bien que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître la terrible répression qui s’abattit sur la gent estudiantine, sauf par la tradition orale, avec toutes les imprécisions que celle-ci comporte. Par exemple, sait-on encore que les contestataires exprimaient leur révolte en chantant La Marseillaise devant le grand portrait de Mao ?
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Les trois candidats encore en lice dans les présidentielles américaines, émotion populaire oblige, se retrouvent d’accord pour célébrer la personnalité de Mohamed Ali, fabuleux boxeur qui vient de s’éteindre à l’âge de 74 ans, victime depuis longtemps de la maladie de Parkinson. Tous les trois sur la même longueur d’onde mais chacun à sa manière : Trump ne se manifeste qu’en regard du champion sportif, Sanders se souvient de ses propres émotions et du refus d’Ali d’aller se battre au Vietnam, et Clinton, la plus lyrique, souligne surtout l’Amérique qui gagne. Elle est la seule à tenir un discours digne de la présidence. Et pourtant, elle rame…
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Il est des constats que l’on se doit de soulever, même s’il est peu agréable de les remarquer tels. Ce soir, lors de l’émission de Laurent Ruquier On n’est pas couché, ses partenaires Yann Moix et Léa Salamé n’ont pas été capables de déstabiliser Florian Philippot, vice-président du Front national. Ils se sont embourbés dans des questions que l’invité traitait comme un joueur de tennis qui renvoie du fond du court. Quand on s’étend sur les positions anti-européennes du monsieur, on devrait au moins le coincer en lui faisant remarquer que, parlementaire européen, si comme selon son vœu l’Union disparaissait, il serait au chômage. On pourrait au moins le coincer sur ce que la sortie de l’euro provoquerait sur l’économie française. Il existe des études à ce sujet, des analyses objectives et renommées aussi. Quant aux références de textes anciens proposées par Moix, Philippot avait beau jeu de les évacuer d’un revers de main, soulignant qu’elles étaient d’un autre temps (sous-entendu celui de Jean-Marie Le Pen, exclu du parti). Pas une question sur les réfugiés (2 500 ont péri dans la Méditerranée depuis le début de cette année…) Pas un mot sur les chiffres qui redonnent espoir (chômage, croissance, pouvoir d’achat…) Triste entretien.
Léa Salamé va bientôt quitter cette émission pour être responsable d’un grand rendez-vous sur France 2 dans le cadre de la campagne présidentielle. Il faut espérer qu’elle préparera mieux ses très importants moments où l’instrument audiovisuel doit être le garant du bon fonctionnement de la démocratie. Comme elle n’avait déjà pas brillé en mars au cours de l’entretien avec le président de la République, on peut en douter.
Dimanche 5 juin – Il est permis de se demander comment, dans son édition de ce lundi, Libération présentera et commentera la mort de Mohamed Ali. Dans les journaux dominicaux, c’est un véritable festival d’imagination et de lyrisme. Il faudra déjà oublier Ali a perdu son dernier combat (Midi-Libre) ou Ali : Poing final (Ouest-France) En outre, toutes les descriptions du personnage se rejoignent sur une observation : Il n’était pas qu’un boxeur.
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David Cameron, qui disait pis que pendre du nouveau maire de Londres Sariq Khan, est désormais content de le voir défendre à ses côtés le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. Décédé avant la fin de la Guerre, l’historien Paul Hazard avait beaucoup réfléchi sur l’histoire de l’Europe. On lui doit cette réflexion qui n’a pas pris une ride : « L’Europe est une pensée qui ne se contente jamais. »
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Une heure sur France Inter pour parler de football suivie d’une visite au camp d’entraînement de l’équipe de France ; le président de la République a prouvé qu’il était un connaisseur et un amateur de la compétition. C’est désormais plus important que de parler de Maupassant et de Flaubert, comme Giscard d’Estaing ; ou de toute la littérature qui a marqué la France plusieurs fois séculaire, à la manière de Mitterrand. Évidemment, habile, Hollande a parsemé ses références sportives d’allusions aux affrontements politiques. Ah ! Si la France remportait sur son sol le trophée européen ! Mais vu l’époque, il faut adjoindre un autre souhait à celui-ci : pourvu que l’événement ne soit pas entaché d’un acte meurtrier !
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Dans sa chronique du Monde intitulée pompeusement L’Air du monde, Sylvie Kauffmann décortique les déclarations récentes des dirigeants du FMI. Sous le titre Le néolibéralisme bouge encore, elle retient notamment celle de David Lipton, numéro 2 du FMI, prononcée le 24 mai devant un auditoire de hautes personnalités spécialisées dans le domaine économique à propos de la mondialisation : « Trop de gens dans le monde développé ne voient-ils [de la mondialisation] que la perte d’emplois au profit de destinations à bas salaires. Trop de gens ont peur que l’immigration compromette leur bien-être économique. Trop peu de gens voient la contrepartie. » Certes, mais n’est-ce pas plutôt parce que cette « contrepartie » n’est pour l’heure pas assez visible ? Les déboires d’Angela Merkel contestée jusque dans son propre parti parce qu’elle accueille des réfugiés n masse pour faire tourner la machine économique d’une Allemagne à la démographie trop faible, ces déboires dont les auteurs ont besoin de pédagogie, peuvent causer beaucoup de dégâts sociaux.
Lundi 6 juin – Ce fut de justesse, mais la fille de l’infâme Fujimori qui purge 25 ans de prison pour corruptions (insister sur le pluriel) n’a pas réussi à devenir la présidente du Pérou. Une pensée pour Mario Vargas Llosa qui, dès les premières heures, en 1990, avait compris qu’il fallait combattre « le Japonais ». Tout en étant un écrivain déjà célèbre, il n’avait pas hésité à se lancer en politique.
Il l’a cette fois déclaré : François Baroin va donc soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite pour laquelle l’ancien président, habile, ne s’est pas encore annoncé. Tout les oppose, mais une vieille rancune de Baroin à l’égard de Juppé le conduit vers celui qui, toujours par habileté, a déjà dû lui promettre Matignon. Quel attelage bancal cela ferait, que Sarkozy aurait sans doute tôt fait de briser. Mais pour l’heure, Baroin est le président des maires de France et une personnalité sympathique pour toute la droite, une belle prise, un atout précieux pour le rustre.
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À trois jours du début de l’Euro de foot, Zlatan Ibrahimovic donne une interview au Monde à la manière de Cassius Clay. La Suède va-t-elle gagner la Coupe d’Europe ? Bien sûr parce que l’Europe, c’est moi ! Son principal regret en quittant le Paris Saint-Germain ? Ne pas laisser sa photo en grand format sur la Tour Eiffel. Tout compte fait, il est plus proche de Dali que d’Ali…
Mardi 7 juin – Le sondage quotidien du Figaro nous apprend que 43 % de ses lecteurs souhaitent que Donald Trump devienne le futur président des États-Unis. Jusqu’à présent, dans le corps politique français, seuls les dirigeants du Front national ont exprimé la même envie.
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Si Bruno Le Maire ne réussit pas un bon score lors des primaires de la droite, on sait désormais pourquoi. Il l’avait déclaré dans une interview au Point en février : « Mon intelligence est un obstacle ». Pour cette audacieuse confidence, il vient de remporter le Prix de l’Humour politique.
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Elle, roman de Philippe Djian, est adapté à l’écran par Paul Verhoeven. Toute l’intrigue se déroule dans un climat est malsain et la perversité entretient le mystère dès la première image jusqu’à l’ultime. Isabelle Huppert est éblouissante. Les critiques estiment que c’est le meilleur film de Verhoeven ? C’est peut-être aussi l’interprétation la plus magistrale de cette admirable comédienne.
Mercredi 8 juin – Tous les trains ne circulent pas et les poubelles, dans les rues, ne sont plus ramassées. Ainsi vit actuellement la Belgique. Mais ainsi vit aussi la France, à deux jours de l’ouverture de l’Euro, la fête du football. Tandis que les stades, les terrasses équipées de la télévision et les places publiques où se dressent de grands écrans seront des lieux d’attentats idéaux, les militants syndicalistes veulent profiter de l’événement pour accroître leurs revendications. Salir l’État qui accueille des supporteurs du monde entier venus pour se distraire et s’amuser, cela relève de l’incivisme.
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C’était le 16 mai 1916. Le Britannique Mark Sykes pour le Royaume-Uni et le Français François-Georges Picot parvenaient à un accord sur le partage de leur influence dans le Proche-Orient. Ces textes eurent donc cent ans le mois dernier mais ce fut là un centenaire que chacun évita de commémorer. Pourtant, s’intéresser à ces accords permet de mieux comprendre les racines des conflits d’aujourd’hui en Syrie, en Irak et aujourd’hui de cerner le comportement de la Turquie d’alors. Au lendemain d’un attentat palestinien qui causa la mort de quatre Israéliens (tandis que les médias sont moins diserts à propos des sévices existant dans l’autre sens…), relevons que les querelles entre les chiites et les sunnites sont beaucoup plus meurtrières. Car lorsque l’on se toise au nom du Gott mit uns, on sombre vite dans le torrent sanguinaire. « Quand on pense que les chrétiens, porteurs d’une religion d’amour, ont pu déporter, liquider, torturer, massacrer pendant des siècles au nom même de cette religion, on peut se demander ce qu’il en serait advenu si, au lieu de la secte du Christ, celle des pharisiens, pour qui tout ce qui est goy est impur, avait triomphé. » (Edgar Morin. Journal, lundi 24 – jeudi 27 avril 1995)
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Louis XVI connut la déchéance avant d’être décapité. Benoît XVI connaît la déchéance après s’être écarté de son magistère. Quant à l’année deux mille XVI, elle ne se porte pas très bien non plus.
Jeudi 9 juin – Une émission de radio ou de télévision, un discours, un article de presse, un livre bien entendu… Il ne se passe pas un jour sans que, 131 ans après sa mort, une référence ne soit énoncée à propos de Victor Hugo. Aujourd’hui, c’est Franz-Olivier Giesbert, toujours mordant, direct, qui le cite dans son éditorial du Point : « Quant à moi, en voyant les consciences qui se dégradent, l’argent qui règne, la corruption qui s’étend, les positions les plus hautes envahies par les passions les plus basses, en voyant les misères du temps présent, je songe aux grandes choses du temps passé, et je suis, par moments, tenté de dire à la Chambre, à la presse, à la France entière : tenez, parlons un peu de l’Empereur, cela nous fera du bien. » Et Giesbert (qui ne cite hélas ! pas sa source ni la date de cette réflexion…) d’ajouter : « On dira aujourd’hui : ‘Tenez, parlons un peu de Charles de Gaulle, cela nous fera du bien !’ »
Et tandis que l’on médite encore sur cette citation, Le Figaro nous apprend que François Hollande visitera lundi La Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises, répondant ainsi à l’invitation de la famille du Général ; il en profitera pour aller se recueillir sur sa tombe comme il se doit et arpenter le Mémorial ; vendredi, il découvrira l’exposition De Gaulle à Trianon et samedi, dans la tradition du 18-juin, on le retrouvera au Mont Valérien. Le sauveur de la France aurait sûrement trouvé une formule croquignolette pour décrire l’emploi du temps respectueux du président.
Vendredi 10 juin – Victor Hugo, encore. L’aspect décousu, débordant, excentrique, formidablement populaire de ses funérailles fut superbement relaté par Jean-François Kahn d’une manière époustouflante dans son maître-livre Victor Hugo, un Révolutionnaire (éd. Fayard, 2001). La préparation de ces obsèques grandioses fut aussi très bien rapportée par Judith Perrignon dans son roman Victor Hugo vient de mourir (éd. L’Iconoclaste). Sans doute celles de Mohamed Ali furent-elles aussi impressionnante et gigantesques. La comparaison pourrait tenir, sauf peut-être sur un point : est-ce que les prostituées de Louisville se donnèrent gracieusement en hommage au champion rebelle comme le firent celles de Paris le 1er juin 1885 ?
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Mêlant tragédie, ironie et bon sens populaire, Yvan Attal a voulu réaliser un film qui nous permettrait d’en finir avec l’antisémitisme. Hélas ! C’est un navet. L’initiative était pourtant louable. Serait-ce parce que l’antisémitisme est non pas ancré mais plutôt enraciné dans nos mœurs ?
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Facéties auditives. Entendre « au bas mot » et comprendre « Obama ». Entendre « secrétaire » et comprendre « sectaire ».
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Début de l’Euro sur le sol de France. De justesse, celle-ci bat la Roumanie (2-1) au Stade de France à Paris. Tout va bien. Les autochtones voient déjà leurs champions en finale. Tout s’est bien déroulé pendant le concert géant au Champ-de-Mars, durant la cérémonie d’ouverture ainsi qu’au cours du match. Ce qui doit être la fête du football durera un mois. D’ici-là, pour en savoir plus sur le monde, aller directement à la page 4 du journal habituel. Les trois premières seront consacrées à la compétition. Il est vrai que l’on peut de plus en plus souvent évoquer la vie du monde à partir des rencontres sans se limiter à leur déroulement. Et puis, l’importance du fait à informer varie : il y a 40 ans, la pollution d’une rivière était traitée dans la page des faits divers…
Samedi 11 juin – On y est désormais habitué : le foute, c’est la guerre. Et dès qu’il s’agit d’un grand tournoi, les batailles s’accumulent. Une particularité est désormais apparue en ce début d’Euro en France : à présent, il n’est même plus question de se rendre au stade pour se bagarrer ; la castagne se déroule dans la ville d’accueil. En l’occurrence, c’est à Marseille que les hostilités ont été les plus violentes : un mort sur le Vieux port et quelques dizaines de supporteurs à l’hôpital. Ce sont les hooligans qui se sont déchaînés. Comme toujours, ces Britanniques… Certes, mais on a pu constater que la Russie avait désormais elle aussi ses hooligans. À noter que jusqu’à présent, on n’a pas encore repéré un seul malfaiteur syrien, ni même d’ailleurs un seul musulman. Nous sommes en plein Ramadan. La rupture du jeûne a donc lieu pendant le dernier match de la journée.
Une exposition le prouve : l’armée française fut victorieuse à Waterloo. C’était à Mont-Saint-Jean (commune aujourd’hui fusionnée avec Waterloo) les 6 et 7 juillet 1794. L’armée Sambre-et-Meuse du général Jourdan repoussait les forces européennes coalisées qui voulaient mater la Révolution française et marcher sur Paris. Non seulement l’armée française fut victorieuse, mais elle en profita pour, elle, marcher sur Bruxelles et conquérir toute la Belgique. Cette exposition, il faut le préciser, se tient au Musée Wellington. Cette Belgique est vraiment déroutante.
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Prise d’otage et panique dans les abords de Wall street. Malgré la présence de Julia Roberts et de George Clooney, le deuxième film réalisé par Jodie Foster, Money monster, est un nanar. Mais il dégage une caractéristique intéressante : il décrit par défaut ce que serait un monde où seul l’argent aurait une importance supérieure à toutes les autres règles et conditions d’une vie en société. On n’en est peut-être pas si éloigné.
Dimanche 12 juin – Les meurtriers djihadistes provoquent un bain de sang dans une boîte très fréquentée d’Orlando : plus de 50 morts, des dizaines de blessés. Comme lors des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se découvrent vulnérables de l’intérieur. La fin du mandat d’Obama le place devant un dilemme : faut-il encore augmenter la sécurité dans les rues ou faut-il plutôt doubler la fréquence des frappes aériennes sur l’État islamique, lequel n’a pas tardé à revendiquer les actes d’horreur ? Une alternative qui ne doit pas réjouir le Prix Nobel de la paix mais qui ne peut cependant pas être délaissée, ses deux branches pouvant même être accomplies de conserve.
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Une famille de bourgeois dégénérés originaire de Tourcoing vient passer des vacances dans sa maison de la Côte d’Opale. Ils y sont seuls. On est encore loin des congés payés, disons la Belle époque, qui ne l’était pas pour tout le monde, en particulier pour la famille qui vit tant bien que mal dans une sorte de taudis à quelques hectomètres, sorte de prolétaires de la mer. Bruno Dumont a réalisé avec Ma Loute un film onirique où l’esthétique prend le pas sur le réel, dont on retrouvera sans doute une évocation des décors et de la photographie à la cérémonie des Césars. Fabrice Luchini est fabuleux, Juliette Binoche est tout à fait exceptionnelle, et Valeria Bruni Tedeschi tient bien la distance. Un chef-d’œuvre de la désopilance.
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Construire des ponts plutôt que des murs. Cette expression – signe des temps… – revient régulièrement dans les discours, de quelque tendance philosophique que ce soit. On a entendu un Grand Maître d’obédience maçonnique la prononcer ; le pape lui-même, dans son discours de réception du prix Charlemagne, l’utilisa aussi. Et bizarrement, contrairement à d’autres citations où ceux qui la prononcent ne manquent pas de faire référence à leur auteur, cette image forte est énoncée comme si elle sortait du chapeau de l’orateur. Rendons donc à César ce qui lui appartient et précisons que la métaphore est vieille comme le monde puisqu’elle fut affirmée par Lao Tseu, reprise longtemps après par Isaac Newton. C’est dire qu’au VIe siècle avant Jésus-Christ, la question était déjà à l’ordre du jour, confirmée au XVIIe siècle. Il faut donc en conclure que la pertinence de cette image traverse tous les temps. Ce n’est pas une raison pour considérer que notre époque verse dans la pléthore des séparations.
Lundi 13 juin – Le massacre d’Orlando revêtait un caractère homophobe. Les scènes d’horreur reflètent les mêmes peurs, les mêmes effrois qu’à Paris et à Zaventem. L’image les rendra bientôt banales puisqu’il faudra désormais vivre avec cette frayeur-là. Comme le dit Pascal Bruckner : « Nous sommes entrés dans la routine de l’abominable ». Deux sujets découlent de ce triste événement qui meubleront (et peut-être modifieront l’enjeu) la campagne pour la présidence : la réglementation du port d’armes et la question des meurtres gratuits. Le premier a déjà été abordé par Hillary Clinton, le second a permis à Donald Trump de réitérer sa volonté d’interdire aux musulmans l’arrivée sur le sol états-unien. Dans l’émotion créée par le carnage, cette résolution recueille une forte adhésion des citoyens. Oui mais l’assassin était né sur le sol états-unien, il était citoyen américain ! Et que fait-on alors ? On chasse les musulmans du pays ? Cet élément-là de l’analyse n’est jamais abordé par les partisans d’une immigration très limitée, voire interdite. Ne compliquons pas l’émoi, source de voix.
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Ira ? Ira pas ?
Comme en 2011, Nicolas Hulot se tâte. Sera-t-il candidat ? Quelle que soit sa décision, il participera sûrement à la campagne présidentielle. Et à sa manière, comme ces jours-ci où l’on trouve sa photo, prenant la pose, vêtu d’un gilet de sauvetage orange afin de continuer à sensibiliser l’opinion quant à la situation toujours aussi tragique des émigrés syriens que les peuples ne perçoivent plus depuis que l’Union européenne a payé le sultan Erdogan pour qu’il les maintienne dans ses camps. Un gilet de sauvetage, c’est plus visible qu’une épinglette mais c’est plus encombrant et plus cher ! Dommage : ce serait intéressant d’organiser une manifestation de soutien dans pareille tenue…
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Marouane Fellaini est une des vedettes de l’équipe belge de football. Musulman, il déclare que cette année, il ne pratiquera pas le Ramadan compte tenu de la compétition. En voilà un qui devra s’expliquer avec son imam au retour à Bruxelles. À moins que… À moins que la Belgique ne remporte le trophée grâce à des buts de Marouane Fellaini. Un musulman qui fait gagner l’équipe nationale belge, quelle formidable publicité pour les adeptes de cette religion-là ! Allah n’est pas le diable, Allah est un diable, un Diable rouge !…
Mardi 14 juin – Est-il encore possible d’organiser une manifestation sans qu’une bande de voyous n’en profite pour casser ? Les vitres d’un hôpital pour enfant (Necker), deux douzaines de flics à l’infirmerie… Autrefois, les syndicats s’occupaient eux-mêmes du service d’ordre. Et bien en général…
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Les hooligans russes remettent le couvert. À Lille cette fois, au risque de faire disqualifier leur équipe. Ce ne sera plus la retraite de Russie mais plutôt son retrait.
Mercredi 15 juin – À huit jours du référendum britannique sur le Brexit, une députée travailliste proeuropéenne vient d’être sauvagement agressée. Ses jours seraient en danger. Un geste qui démontre combien cette consultation avive les tensions au pays du fair-play.
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À l’instar de ceux qui, à la fin du XIXe siècle, couraient derrière les trams armés de fourches, il serait tout aussi stupide aujourd’hui de lutter contre Internet. Mais réfléchir à son influence paraît nécessaire à l’honnête. Ainsi des réseaux sociaux. L’invention de cette expression est au moins maladroite et dégradante pour l’adjectif qu’elle contient. Elle s’est cependant imposée, inutile de vouloir lui substituer un autre terme. Il est notamment permis de se demander comment le peuple des années quarante aurait réagi s’il avait été en possession de pareil instrument. Les dénonciations gratuites auraient sûrement fleuri, d’autant plus qu’il est possible de s’exprimer sous pseudonyme. La Justice expéditive aurait aussi connu de beaux jours, tant les réactions à chaud s’y répandent. La démonstration est fournie ces jours-ci par la compétition de football. Qu’une équipe manque un match réputé à sa mesure et l’entraîneur se voit voué aux gémonies. Que la même équipe remporte trois jours plus tard la rencontre programmée dans sa poule, et l’homme retrouve une place sur l’Olympe. Oui mais s’il a été exécuté entre-temps, sa réhabilitation n’est que post mortem… Exagération ? Marc Wilmots, l’entraîneur de l’équipe belge, subit depuis des années les foudres du journal flamand Het Laatste Nieuws, simplement parce qu’il est wallon. Un membre de l’équipe rédactionnelle vient de le menacer on ne peut plus clairement : « Je vais te tuer ». Si un journaliste s’exprime ainsi, la porte de l’infamie et du passage à l’acte est ouverte pour les réseaux sociaux. « Ce n’est plus du journalisme » a déclaré Marc Wilmots à propos de cette menace. Il est gentil Marc Wilmots…
Jeudi 16 juin – Réflexion de Julien Gracq à Régis Debray : « La politique n’est plus une activité sérieuse pour l’esprit. »
Vendredi 17 juin – Témoignage d’un journaliste belge ayant suivi les rassemblements du parti républicain aux États-Unis (RTBF radio, 18 h 50) Lors d’un somptueux dîner dont le but est de financer la campagne de Donald Trump, on met une arme sophistiquée aux enchères. Les journalistes présents questionnent le président de séance à ce propos. Celui-ci leur répond : « L’arme, ce n’est pas le danger ; le danger, c’est Hillary Clinton. » Il y a un commentaire à bâtir sur cette anecdote, c’est No comment.
Samedi 18 juin – Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, rend visite au Premier ministre grec Alexis Tsipras. Il se fait photographier en sa compagnie vêtu d’un gilet de sauvetage orange. Le symbole est très fort. Nicolas Hulot aurait-il, la semaine dernière, inventé une nouvelle attitude manifestant réprobation pour les uns, solidarité avec les autres ?
Dimanche 19 juin – « Le nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que le sentiment européen parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintérêt. » Cette réflexion de Stefan Zweig, Élisabeth Guigou l’utilise dans le JDD pour clamer qu’il est impératif de refonder le projet européen. L’action politique est une pédagogie, Guigou l’a souvent démontré tout au long de sa carrière. Partant, la construction de l’Europe l’est aussi, ô combien ! Alors que la semaine va s’ouvrir dans l’attente du référendum britannique sur le Brexit, des opinions se manifestent déjà sur l’avenir de l’Union européenne. Il faut parier sur le fait que si David Cameron a joué à se faire peur pour des raisons électorales, il a rendu un grand service à l’Europe en ce sens qu’il libérera certaines initiatives de renforcement comme la création d’une zone euro renforcée par une union économique et sociale par exemple. Il faut parier sur le fait que quel que soit le résultat du référendum, celui-ci, par sa clarification des faits et des comportements aura été un bien pour l’Union européenne.
Lundi 20 juin – Le Musée des Arts premiers du Quai Branly s’appellera désormais le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Cette décision survient en point d’orgue de l’inauguration d’une grande exposition d’hommage à son créateur pour les 10 ans de l’établissement très fréquenté en toutes saisons. Ainsi, après de Gaulle qui était un musée vivant à lui seul, Georges Pompidou créa le Centre Beaubourg, Giscard d’Estaing le Musée d’Orsay et François Mitterrand le Grand Louvre, la Très grande Bibliothèque de France ainsi qu’une trentaine de lieux voués à l’art et à la culture comme l’Opéra Bastille ou la Grande Arche de la Défense. Seul Nicolas Sarkozy ne s’inscrit point dans ces traces-là ; et il est à craindre que François Hollande ne s’y retrouve guère non plus… À moins qu’il soit réélu en 2017…
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Que l’on apprécie ou non la manière dont Frédéric Beigbeder choisit de dépeindre la décadence de notre monde en démontrant que la Russie d’aujourd’hui sombre dans le stupre et la bassesse financière tandis que l’Occident exploite la beauté féminine d’une façon outrageante et outrancière, soit. On doit cependant accepter un constat que l’on devra vérifier dès qu’il nous proposera un prochain film : avec L’Idéal, il a tout simplement inventé une nouvelle manière de pratiquer l’art cinématographique.
Mardi 21 juin – Les Chinois aiment tellement faire référence aux animaux qu’ils en baptisent les années ainsi que l’horoscope. Ils utilisent aussi les bébêtes dans les sentences et les proverbes. L’ancien président Deng Xiaoping, excellait dans l’exercice. C’était un peu leur Jean de La Fontaine. On devrait publier ses pensées humaines à base de faune comme jadis on diffusa celles de Mao. On y décèlerait quelques principes de gouvernement reflétant son magistère. Celui-ci par exemple : « Il faut égorger le poulet pour effrayer le singe. »
Mercredi 22 juin – Rétroviseur pertinent (suite et sûrement pas fin) « Dans tout homme sommeille un prophète et quand il s’éveille, il y a un peu plus de mal dans le monde. » (Cioran. Précis de décomposition, 1949).
Jeudi 23 juin – De nos jours, pour se faire entendre, il faut surtout être vu. Le groupe des Démocrates au Sénat états-unien pratique un sitting au pied de la tribune du Congrès pendant 24 heures en arborant des pancartes contre la vente libre des armes. La scène est pour le moins insolite. La sensibilisation est totalement réussie. Pas sût toutefois que les lobbys sont impressionnés.
Vendredi 24 juin – Un coup de tonnerre s’abat sur l’Union européenne : les Britanniques se sont prononcés par référendum pour la sortie de l’Union à 52 % Des hectolitres d’encre vont être utiles pour imprimer les innombrables commentaires que le Brexit provoquera et les multiples analyses qui en découleront. La situation étant inédite, il est prudent de ne pas s métamorphoser en prédicateur. Quelles sont les seules certitudes qui se dégagent pour l’heure ? D’abord les auteurs-acteurs de ce changement radical. Ils l’ont voulu, ils l’ont eu. La Grande-Bretagne va connaître une crise économique et financière considérable. Mais si l’on surmonte pareille situation, celle qui découle d’une crise institutionnelle est beaucoup plus difficile à dominer. Il est à craindre que l’Écosse, l’Irlande du Nord et le Pays de Galles, régions proeuropéennes, désirent se détacher du Royaume-Uni. Ensuite les partenaires délaissés. Il est urgent que l’Europe se reconstruise (« se réinventer » cf. François Hollande) en approfondissant son identité. Il faut doter la zone euro d’un parlement, d’un budget, d’une autonomie qui permette aux citoyens d’y percevoir une réelle gouvernance. Les six pays fondateurs doivent se concerter afin de réagir concrètement et positivement à cette immense et tragique équation « un sursaut », François Hollande encore). Et il faut faire vite, très vite. Le temps est compté. En 2017, le moteur franco-allemand pourrait changer de têtes. François Hollande et Angela Merkel retourneront devant leurs électeurs. Deux ans plus tard, il s’agira de renouveler le Parlement européen et la Commission. À quelque chose malheur est bon prétend le proverbe. Voici une occasion idéale de le vérifier.
« La lucidité aveugle du désir. » (Raymond Jean, Europe, novembre-décembre 1968)
Samedi 25 juin – Faudrait-il que les présents Calepins se transforment pour un temps (assez long peut-être…) en Journal du Brexit ? Non bien sûr. Certes, les initiatives politiques nombreuses qui se prennent toutes les heures – en particulier de la part du couple franco-allemand – sont à bon gré tellement déterminées, multiples et dynamiques qu’elles donneront naissance à des livres pendant plusieurs mois. Mais il est des faits, tantôt loufoques, tantôt inattendus, tantôt insupportables qu’il est bon de mentionner. Celui-ci par exemple :
Hier soir au Journal de 20 heures de France 2, devant l’ambassadeur du Royaume-Uni en France et Laurent Delahousse, Daniel Cohn-Bendit s’est une fois de plus indigné de l’image fausse que les opposants à l’Europe se permettent de donner. Cette fois-ci, il disposait d’une tromperie flagrante. Le parti d’extrême droite dirigé par Nigel Farage a fait campagne pour le « out » en prétendant que le Royaume-Uni versait chaque semaine plus de 350 millions de livres sterling (soit 434 millions d’euros). Il s’engageait, en cas de victoire du Brexit, à verser cet argent à la sécurité sociale. Ce n’était pas une petite promesse en l’air, c’était son principal argument de campagne, celui qui figurait en gros caractères blancs sur le bus rouge sillonnant le pays. Deux heures à peine après que le résultat fut connu, sur un plateau de télévision, une journaliste lui demanda s’il confirmait cet engagement. Il répondit par la négative. Elle lui rétorqua que 17 millions de personnes avaient voté pour lui en connaissance de cause. Embarrassé, il reconnut que c’était « une erreur de la part du camp des ‘non’ ». Une erreur ? Disons plutôt un mensonge éhonté ! Aujourd’hui, à midi, la vidéo de ce dialogue inouï avait déjà été visionnée par plus de 1,6 million de personnes grâce à Internet. On apprenait aussi qu’un million de signatures avait déjà été recueilli pour l’organisation d’un nouveau référendum. L’Écosse demande à l’Union de rester dans l’Union, des responsables de haut niveau envisagent l’adhésion de la zone londonienne ( ?!) Bref, la pagaille règne outre-Manche…
Dimanche 26 juin – La Belgique et la France sont désormais confrontées à une nouvelle vague de réfugiés. Ceux-ci sont plutôt des réfugiés confortables, non dépourvus de tout et qui n’ont donc pas besoin d’une aide de l’État. En effet, de plus en plus de Britanniques souhaitent s’installer dans ces deux pays et d’emblée, sollicitent leur naturalisation. Leur motivation est de deux types : on distingue d’abord de véritables candidats à l’émigration, citoyens écœurés par la situation politique de leur pays. Peut-être que pour la plupart d’entre eux, implantés depuis toujours sur leur sol natal, la raison effacera la réaction émotionnelle au fil des jours. L’autre catégorie est plus déterminée. Elle concerne des personnes qui gagnent leur vie grâce à l’Union européenne : entrepreneurs anglais dont le commerce avec les pays membres constitue la part la plus importante de leurs affaires ; fonctionnaires dans des institutions européennes. Plus de deux mille d’entre eux, résidant à Bruxelles, se sont déjà rendus dans des administrations communales pour introduire leur demande. To be or not to be ici ou ailleurs… Le dilemme shakespearien se dissout dans un conflit cornélien.
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Un pari sur l’avenir : Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO, succédera en fin d’année à Ban Ki-moon.
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… Mais déjà, l’Union européenne se doit d’être attentive à un autre scrutin, celui des élections législatives espagnoles, suscitées par l’impossibilité d’obtenir un compromis entre les forces qui s’étaient dégagées il y a six mois…