Marie entrebâillée

Christian Libens,

Marie est mince et plutôt grande. Elle porte une jupe rouge très courte et une blouse de coton blanc sans manches. Elle cambre le corps avec l’impudeur d’une petite fille. Plantée à deux mètres du tableau, elle le détaille en bonne élève.

Assis sur la banquette au centre de la salle, je la regarde. Je regarde ses pieds nus dans ses sandales de cuir beige. Je regarde ses jambes nues, ses bras nus, ses cheveux. Je regarde comme une mèche presque blonde caresse son col, comme son sac balance de la hanche à la fesse. Je regarde sa peau. Je regarde comme je désire Marie.

Elle se détourne du tableau. Me rejoint sur la banquette.

— Je ne sais pas bien te dire… Il me met plutôt mal à l’aise. Mais pourquoi tu l’aimes tellement ?

— Je ne l’aime pas, il me fascine.

Nous sommes tous deux tournés vers le Khnopff, cuisse contre cuisse. Je m’efforce de ne pas regarder sa peau nue, si blanche entre le bleu de mon jeans et le noir du siège.

Je parle. Des titres du tableau : Des caresses, ou Les caresses. Ou encore L’art, les caresses, le sphinx, comme l’indique une longue étiquette de plastique. Je décris la composition, l’interprète à l’aide de souvenirs de lecture. La femme au corps de guépard et le jeune homme au torse nu. Leur tête à tête, joue à joue; leurs cheveux mêlés, rouges et dorés. Les yeux clos et la bouche repue de la sphinge; le regard fixe et les lèvres closes de l’éphèbe. Ma main droite enserre la taille de Marie. La gauche sépare un instant ses cuisses, s’immisce sous la jupe. Sa peau est plus douce qu’un chaton de noisetier.

— Tu sais, on a dit mille choses de cette confrontation de l’androgyne et de la femme sphinx. Et ce paysage, les deux colonnes bleues, les inscriptions cabalistiques, le bâton au pommeau ailé du bellâtre…

Marie murmure d’une voix rauque :

— Arrête !

Elle serre les cuisses, tend les muscles. Ma main fait le gros dos, se niche à l’entrejambe. Mon index écarte le coton, se perd dans la toison.

— Arrête, Pierre !

— Certains y ont vu une symbolisation de la séduction. Ou bien du pouvoir, de la domination…

Je fais doucement glisser mon doigt, le recourbe vers son sexe.

— Regarde comme la queue du guépard donne son équilibre au sujet décentré. Sa courbe est en parallèle avec le bras tendu. Et le déhanchement de l’homme semble poursuivre l’arrière-train en surplomb de la bête !

Mon doigt parvient à écarter les poils collés à la fente, glisse entre les lèvres. C’est chaud, humide. Je ne détache pas le regard du tableau. Marie laisse entendre un gémissement, comme une plainte de petit mammifère.

— Et la position de la patte gauche, posée sur la ceinture… Comme elle est sage, apaisée. Mais je te montrerai tout à l’heure les marques des griffes sur le sein droit du jeune homme. Les griffes… Et la fourrure du fauve paraît si douce sur le poitrail…

Je fixe son visage. Sa lèvre inférieure se contracte à chaque inspiration. Je recourbe les phalanges. Tout mon doigt est dans Marie. Je ferme les yeux. Habiter le ventre de Marie. Se noyer dans le corps de Marie. Maintenant. Il me serait indifférent de mourir maintenant.

Une annonce tombe de haut-parleurs invisibles. Une voix féminine annonce la fermeture imminente du musée. Nos corps ont tressailli. Elle serre mon avant-bras de ses deux mains.

*

     Marie me tourne le dos, le front appuyé à la porte. Elle renifle nerveusement. Un instant, elle m’abandonne une main, puis la retire. Je regarde l’heure, chuchote :

— On pourra bientôt sortir. La ronde des gardiens ne devrait plus tarder… Après, on aura tout le musée pour nous deux !

— Tu es vraiment fou ! Ou c’est moi qui suis folle d’avoir dit oui… Mais qu’est-ce que je fiche ici, moi, enfermée dans les toilettes du musée des Beaux-Arts, avec un journaliste complètement dingue ?

Par-dessus son épaule, elle me lance un regard encore humide mais elle a retrouvé un sourire complice.

Je me redresse. La prends dans mes bras. Lui caresse les cheveux. Lui respire la nuque. Les mots m’étouffent. Surtout ne rien lui dire. Surtout ne pas lui dire que dorénavant je veux écrire mon histoire sous sa jupe, dans ses humeurs, dans son sang. Que je veux me fondre dans son sexe, me dissoudre dans son ventre, me mêler à son corps. Courir dans ses veines. Occuper son cœur. Partager son âme. L’habiter. Habiter Marie. Toute.

Elle pose la main sur mon jeans, tourne son visage vers le mien. J’embrasse sa tempe droite, à la naissance des cheveux. Sa peau est si fine que plusieurs vaisseaux bleus y dessinent une tendre géographie.

*

     L’éclairage de nuit a agrandi la salle.

Marie est assise à califourchon sur la banquette. Nue. Ses cuisses dessinent une équerre blanche sur le tissu noir. Je me penche sur son ventre, l’effleure des lèvres, le caresse des cheveux. A-t-elle murmuré « Viens ! » ?

Mon sexe entre dans Marie. Paumes ouvertes, je soulève ses fesses. Cale son bassin de mes avant-bras. Capture Marie… Idéalement mouillé, son vagin est peu profond, étroit. Elle esquisse un mouvement de recul. Chuchote:

— Pas si loin.

Je me mords la langue. Relève la tête. Mon regard rencontre le tableau, se fixe sur le visage de la sphinge, sur son sourire dominateur. Un  temps trop long. Puis mes yeux retrouvent les paupières fermées de Marie, le nez retroussé de Marie, la bouche entrouverte de Marie.

Sa respiration s’accélère. Ses cuisses resserrent ma taille. Elle soupire. Gémit. Offre un long chant rauque. Soudain, un soubresaut de notre corps double. Elle a lancé tête et épaules vers l’arrière. Ses cheveux balaient le parquet et ses mains serrent les pieds de la banquette. Elle crie, crie encore. Paraît se reprendre. Puis nous entraîne sur le sol dans un rire de plaisir.

Ne plus quitter Marie. Jamais. N’être qu’une seule chair. Plus elle m’entraîne, plus je m’enfonce en elle. Chacune de ses expirations est un cri. Chacun de mes gestes est une victoire.

Notre voyage s’arrête au pied du tableau, tout contre la paroi. J’entre entier dans Marie. Me liquéfie en elle.

Elle revient à la vie avant moi. Elle me désigne le Khnopff accroché juste au-dessus de nos têtes et éclate de rire.

Marie est allongée à l’extrémité de la banquette. Sa tête pend, renversée vers le sol, et ses pieds sont posés de part et d’autre du siège. Je suis assis à califourchon devant elle.

— Vu à l’envers, ton tableau ne me met plus mal à l’aise.

Je me penche sur le ventre de Marie. J’embrasse son nombril, y introduis la langue. Je goutte le sel de sa sueur. Je frotte mon front contre son pubis, fais grésiller ses poils. Je respire son sexe. Ecarte ses lèvres de la pointe du nez.

Marie gémit. De nouveau cette plainte de petit mammifère.

Je lèche sa vulve comme une chatte ses chatons. Puis plonge la langue au plus profond du vagin.

Le ventre de Marie tremble. Les petits cris deviennent chant.

La pointe de ma langue joue à forcer le méat. Et remonte au clitoris. Et joue à l’écraser. Et mes lèvres aspirent le clitoris. Et mes dents jouent à l’écraser encore. Ma bouche tète le clitoris.

Marie chante. Je lève le regard vers son visage. La bouche est entrouverte et les yeux sont clos. Elle balance la tête. Elle chante de tout son corps.

À mon tour, je ferme les yeux. Continue à me nourrir de Marie. De son chant, de sa chair.

— Dis, c’est qui, cette jeune femme tout en blanc ?

— Marguerite, la sœur de Khnopff. Le tableau s’intitule d’ailleurs Portrait de Marguerite. Il l’a souvent prise comme modèle. Ils s’aimaient beaucoup. Ils étaient très proches, trop même, aurait-on dit…

Marie est plantée devant le tableau. Toujours assis sur la banquette, je regarde ses épaules, ses petites fesses, ses longues jambes, la forte cambrure de son corps.

— Tu es belle.

— C’est une femme fermée, tu ne trouves pas ?

Marie se retourne, me rejoint.

— Et moi ?

Elle s’agenouille, prend mon sexe dans la bouche. Je photographie chaque mouvement de sa tête, de ses lèvres. Je caresse ses cheveux.

Elle abandonne ma verge. Commande :

— Couche-toi !

Je m’allonge sur le tissu noir. Elle m’enjambe, saisit mon sexe dressé, le guide en elle. Elle s’assied sur mes cuisses et ramène ses genoux contre mes hanches. Elle se penche, se redresse. Très vite, le corps accélère son va-et-vient. Le ventre, le torse, les épaules tournoient, dansent. La tête bascule en arrière. Les cris redeviennent chant.

Alors, les seins de Marie occupent tout l’espace. Ses beaux seins lourds tombent sur moi, ses beaux seins lourds me sauvent des mille morts passées et à venir. Je les effleure. Je les caresse. Je les prends. Je les presse. Je les rassemble et les sépare. M’y réfugie quand Marie abandonne son corps. Leur peau douce et souple a de discrètes souvenances d’allaitement. L’aréole est large, d’un brun sombre. Mon regard se mouille. Je porte à ma bouche un mamelon dressé. M’abandonne. Je suce les seins de Marie. Je tète Marie.

Elle me caresse la nuque.

— Pierre…

Elle dit mon nom comme personne.

Ne plus entendre mon nom que prononcé par Marie.

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