Matin Première : le blog du lundi 24 mars 2008

Jean Jauniaux,

06 h 45

Annonce

L’invité de Jean-Pierre Jacqmin n’est ni un politique, ni un économiste, ni un juriste, ni un chef d’entreprise, ni un philosophe. Pourtant, c’est lui qui a inventé les mécanismes qui ont évité l’explosion de la Belgique. Son nom ne vous dira rien. Il n’appartient pas à la médiasphère. C’est un homme de l’ombre, mais il appartient à ce que l’on appelle dorénavant la néo-gouvernance. Un mouvement humaniste qui commence à intéresser les grandes organisations internationales. L’ONU, le FMI, l’OMC s’intéressent aux travaux de notre compatriote… Une personnalité à découvrir. Dans un quart d’heure sur Matin Première…

07 h 00

Les titres du journal

Après la démission de Guy Verhofstadt vendredi et la convocation exceptionnelle de la chambre et du sénat dimanche, le nouveau gouvernement se réunit ce matin à 10 heures. Exceptionnellement cette réunion se tiendra dans une salle du Conseil des Ministres… de l’Union Européenne. Nous retrouverons notre envoyé spécial au Rond-Point Schuman. Le nouveau Premier n’est ni Yves Leterme, ni Didier Reynders. Inconnu au bataillon politico-médiatique, il est issu de la mouvance humaniste surgie de Val Duchesse. Il sera l’invité de Matin Première à 08 h 00, soit deux heures avant sa prise de fonction. Il a un nom à consonance russe.

On reparle de l’indépendance autoproclamée de nouvelles régions de l’Union Européenne. L’« effet Pristina », c’est ainsi qu’on appelle cette contagion indépendantiste née au lendemain de la proclamation d’indépendance du Kosovo. Elle s’étend maintenant au Pays Basque, à la Bretagne, à la Corse, à l’Écosse, au Pays de Galles. Françoise Nice nous guidera dans les méandres de ces régions autonomes.

Culture : le Prix Babel de Littérature a été décerné hier. Équivalent européen du Prix Nobel, il couronne l’œuvre littéraire qui a contribué de façon décisive à la compréhension entre les peuples et à l’abolition des frontières entre les cultures. Nous verrons que cette première consécration n’est pas sans rapport avec la nouvelle situation politique en Belgique. Nicole Debarre a rencontré le lauréat. Il est belge. Décidément, la Belgique même menacée, a le vent en poupe…

08 h 00

L’invité de Matin Première

Intro :

Le voile peut enfin être levé. L’invité de Matin Première s’appelle Dostkine. Boris Dostkine. Vous n’avez jamais entendu son nom. Et pour cause ! Il n’appartient pas à la sphère politique, ni à la sphère médiatique… En tout cas, il ne s’y situe pas à l’avant-scène, même si lui-même et ses collègues y jouent un rôle essentiel. Alors, bonjour Boris Dostkine ! Vous serez soumis pendant une heure aux questions de Matin Première, et elles ne manquent pas ! Mais tout d’abord, votre choix musical.

— Alors Boris Dostkine… le groupe Urban Trad… une chanson dans une langue qui n’existe pas… ?

— Bonjour tout d’abord. Oui, une langue fictive, une langue purement phonétique. Mais quelle harmonieuse mélodie, vous ne trouvez pas ? Elle illustre la méthode de travail que j’ai proposé pour mon gouvernement. Nous aurons l’occasion d’en parler plus en détail et mon « choix musical » trouvera pleinement sa justification. Vous verrez !

— Bien. En tout cas, vous avez l’art de ménager vos effets… Alors communication, esbroufe, information… au pays du surréalisme, allons-nous déployer notre génie inventif également dans la gestion de la cité ?… au détriment ou au risque de la légalité ?

— Les règles sont respectées ! La démocratie n’est pas menacée en Belgique ! Comme vous le savez, le gouvernement intérimaire a remis sa démission au Roi vendredi. Il lui a proposé une formule nouvelle de gouvernement qui devrait permettre de conduire le pays jusqu’aux élections régionales de juin 2009. Le Parlement a voté en séance exceptionnelle le recours à une forme novatrice de gouvernement, celui à la tête duquel il m’a désigné. Le Roi a accepté.

— Juin 2009 : élections régionales, mais aussi élections européennes… Ce serait cela le signal attendu pour réformer la Belgique ? En faire un nouveau laboratoire politique et citoyen ?

— Effectivement… ce n’est pas une coïncidence. De même qu’il n’est pas fortuit que la première réunion du gouvernement se tienne dans un lieu « extra-territorial ». Mais ce ne sera pas la seule nouveauté…

— La question qui est sur toutes les lèvres, Boris Dostkine… Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? et surtout : quelle est votre légitimité à gouverner ?

— Qui je suis importe peu. D’où je viens encore moins. En tout cas pour le moment. Par contre, la question essentielle est bien celle de la légitimité… la mienne, celle du gouvernement qui va présider aux destinées du pays pendant les quinze mois qui nous séparent de la prochaine échéance électorale que vous rappeliez. En premier lieu, je dirais qu’elle s’inscrit dans la continuité du gouvernement intérimaire qui nous a précédés. Cette continuité est à double face : l’équipe précédente ne sortait pas des urnes, comme la nôtre. Elle travaillait à l’intérieur d’un calendrier dont le terme (pardonnez-moi cette allusion à Yves) a été préalablement fixé. Mon gouvernement conduira les affaires du pays jusqu’au lendemain du scrutin régional et européen. Je vous fixe rendez-vous à la même heure pour faire le bilan de mon action…

— Précisément, cette action… en quoi va-t-elle consister ? On parle d’une méthode révolutionnaire de désignation de vos ministres et secrétaires d’État ?

— En effet. Donnez-moi quelques minutes ici pour que je développe les principes de ma réflexion philosophique… vous comprendrez, les auditeurs comprendront, la logique qui a inspiré cette nouveauté. Je reviens à votre première question. Vous me demandiez qui je suis.

— Et je repose la question…

— Je suis essentiellement et passionnément un linguiste. J’ai eu le bonheur de découvrir l’apprentissage des langues grâce au métier de mon père et, je dirais, de toute une lignée de Dostkine qui l’a précédé. Depuis des siècles, les Dostkine sont des traducteurs ! On trouve leur empreinte dans tous les grands moments de l’histoire de l’humanité… quand je dis « leur empreinte » je ne parle pas seulement de ma famille, mais de toute la profession de traducteur, de truchement, d’interprète, métier auquel les politiques ont de tout temps fait appel.

— Ne remontons pas à Mathusalem si vous le voulez bien…

— Vous avez raison. Mais je voulais insister sur l’ancienneté de la réflexion qui m’a amené à proposer au premier ministre sortant une formule particulièrement adaptée à la réalité belge… dans la mesure où le souhait du Palais était de préserver l’unité du Pays. Cette préoccupation était partagée par la communauté des 27 pays de l’Union Européenne… qui, rappelons-le tout de même ! ont les yeux braqués sur notre Constitution et nos soubresauts linguistico-communautaires !

— Donnez-nous la formule…

— En deux mots : la Belgique est, en modèle réduit, une représentation de Babel ! Un obstacle invisible, pernicieux, insurmontable empêche les hommes et les femmes de ce pays de se comprendre au présent, de se reconnaître dans le passé et de se projeter dans l’avenir. Cet obstacle, la Belgique est le premier pays à avoir osé lui donner un nom, à avoir osé le désigner… mais sans en tirer les vraies conséquences…

— Cet obstacle c’est… ?

— La langue. Tout simplement, la langue ! Nous avons créé une « frontière linguistique », des premiers ministres « asexués linguistiques », des « services de la langue »… et tant d’autres constructions qui gravitaient autour du noyau dur que ce pays désignait mais dont il s’enfuyait quand il s’agissait de vraiment lui faire face : la langue de l’un est incompréhensible à l’autre !

— L’œuf de Colomb ! Il suffisait d’y penser… mais cela, on le sait depuis longtemps !

— Oui. On le sait. Comme Monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir… Et c’est là que ma méthode a rencontré l’assentiment de tous ! Un scoop, Monsieur Jacqmin… Vous voulez un scoop sur la méthode de travail de la cellule de prospective qui a travaillé sur la réforme des institutions… ?-

— Vous connaissez un journaliste qui refuse un scoop, vous ? Allez-y…

— Je suis autorisé à le révéler aujourd’hui… entre autres parce que notre émission est diffusée, grâce à l’interprétation simultanée, dans les deux communautés linguistiques du pays… Eh bien voici le scoop… Tous les travaux de la cellule de prospective ont été menés suivant un régime linguistique novateur, révolutionnaire, inédit ! Personne, vous m’entendez bien, PERSONNE n’avait le droit de s’exprimer dans sa langue maternelle, mais devait s’exprimer dans celle de l’autre communauté.

— Hmmm. Cela avantageait les bilingues…

— Oui. C’est vrai. Vous mettez le doigt sur la faiblesse paradoxale du système. C’est d’ailleurs pour cela que le principal acteur des négociations, et le plus parfait bilingue qui soit, s’est éclipsé pendant les négociations. Pour ne pas pervertir la méthode…

— Une maladie diplomatique du vice-premier… C’est cela que vous insinuez… ?

— Disons que la maladie était réelle… mais tellement opportune que le vice-premier s’est accordé le temps nécessaire, plus que nécessaire… hmmm… à retrouver une santé florissante.

— Concrètement… comment se déroulaient les travaux du groupe ?

— Lentement.

— Lentement ? Mais encore…

— Oui… Imaginez… au lieu de vous précipiter tête baissée dans des invectives, souvent mal comprises ou mal interprétées par l’interlocuteur auquel vous vous adressez, vous prenez le temps de trouver le mot qui correspond exactement à votre pensée, à votre argument, à votre conviction… Objectif atteint : ne plus jamais utiliser un mot dont la signification n’a été vérifiée et validée par la traduction à laquelle vous êtes contraint !

— Mais c’est un travail de bénédictin !

— Un travail d’horloger, de diplomate, de pédagogue… Et c’est là que mon équipe de linguistes intervient : chaque politique pouvait faire appel à mon service de traducteurs et interprètes : le plus performant du monde ! Et je n’ai pas peur des mots (si j’ose dire !) : c’est le label que nous a accordé l’ONU.

— Vous êtes en train de nous dire que Francophones et Flamands, tous partis confondus, se sont pliés à l’usage de la langue de l’autre !

— Exact !

— C’est une révolution… !

— Je ne vous le fais pas dire…

— Revenons-en à votre nouveau gouvernement… Dorénavant, vous prenez la place de celles et ceux que vous secondiez « linguistiquement » ?

— C’est presque cela. À titre expérimental, il m’a été confié la tâche de présider les travaux du nouveau collège. Je n’ai pas le droit de vote. Ni celui de me présenter aux prochaines élections… C’est à ce prix que les constitutionnalistes les plus éminents ont estimé que le risque de dérapage autocratique était rendu impossible. Il ne fallait pas que les « linguistiques » supplantent les « politiques »… Dans le gouvernement que je préside, chaque « politique » est coaché par un « linguiste », qui ne le lâche pas d’une semelle, qui participe à tous les travaux. Nous doublons le nombre des acteurs de la décision gouvernementale, certes, mais nous rendons les Ministres à leur fonction politique, dans le sens noble du terme. Nous sauverons peut-être la Belgique de l’éclatement, peut-être pas… mais nous aurons peut-être restitué à la politique sa dignité, sa légitimité et, surtout, son caractère irremplaçable. C’est cela mon utopie…

— On a évoqué le risque gémellaire… De quoi s’agit-il ?

— Un épiphénomène. Le recours de plus en plus fréquent aux techniques de procréation in vitro a multiplié le nombre de jumeaux. Statistiquement on peut donc penser que le nombre de ceux-ci va croître aussi, à l’âge adulte, dans le monde politique. En Wallonie, nous connaissons déjà le cas ; la Pologne a été confrontée au plus haut niveau à ce phénomène ; Cuba dans une moindre mesure puisque les frères Castro ne sont pas de vrais jumeaux… Il a été décidé que le « népotisme gémellaire » serait interdit. On envisage même de proscrire le népotisme classique… Imaginez, un père et un fils constituant une combinaison politico-linguistique suivant le modèle que je décrivais tout à l’heure. L’un parlant français, l’autre flamand ! Double influence ! Ce serait un népotisme au carré…

— Nous arrivons au terme de cette émission. Les yeux et les oreilles du monde sont braqués sur Bruxelles. On a appris que vous aviez été sollicité par d’autres pays et des organisations internationales ?

— Un groupe de réflexion sera créé après les élections de 2009. Il est envisagé de dupliquer le modèle belge dans d’autres pays européens, mais aussi dans d’autres zones régionales du monde : l’Inde, la Chine, les États-Unis par exemple. Mais je dois à la vérité de dire que les grandes organisations internationales sont les plus pressantes à m’inviter.

— Votre devise ?

Je l’emprunte à Cioran, un roumain exilé en France. On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.

— Votre ambition ?

— Arriver intact au terme de mon mandat de premier ministre. C’est-à-dire : épargné du cynisme.

— Votre rêve ?

— Apprendre le russe… pour pouvoir déchiffrer les notes prises par mon ancêtre, Alexandre Dostkine, lorsqu’il travaillait à la Cour d’Ivan le Terrible… Des notes que mon grand-père, interprète à la Société des Nations avait reçues de l’Ambassadeur d’Union Soviétique, qui avait refusé de les détruire comme l’ordre lui en avait été donné par Staline. Selon cet Ambassadeur, ces documents contiennent les ingrédients d’une vraie révolution pour l’organisation du monde au troisième millénaire. Une révolution basée sur l’usage des langues… Vous comprenez ma curiosité et ma hâte…

— Rendez-vous est pris pour évoquer cela… en 2009. Merci Boris Dostkine… et bon travail.

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