Depuis que j’habite à Paris, je ne peux plus me passer des Flamands. À chaque fois que les Français me regardent d’un mauvais œil sous prétexte qu’une voiture immatriculée en rouge roule trop lentement, ou trop vite, est mal garée ou mal lavée, trop prudente ou trop téméraire, la réponse fuse, toute prête : « C’est sûrement un Flamand. » À toutes leurs histoires belges répondent nos histoires de Flamands. À toutes les indélicatesses, à tous les mauvais goûts, à toutes les bêtises et à tous les échecs : les Fla, les Fla, les Flamands.

Sans Flamands, les Wallons seraient toujours maîtres du monde, n’est-ce pas ? puisque tout devient beau et bon lorsque c’est dit en français. Sans eux, les Bruxellois eux-mêmes ne seraient pas ces demi-wallons acculés à un honteux bilinguisme qui, de Liège comme de Paris, sonne comme une défaite. Ainsi, dit-on, Dieu jadis inventa le diable pour s’excuser de n’être pas tout-puissant. Diabolisons donc, puisque c’est la seule façon de se croire sans défaut.

Car les Wallons sans Flamands (et sans doute l’inverse est-il tout aussi vrai) seraient comme Dieu sans le diable : ils n’auraient plus d’excuses. C’est si dur, parfois, d’être parfait, surtout quand tout va mal. Avec un Flamand dans un coin de ma mauvaise foi, je peux encore être Dieu la tête haute.

Au fond, les Flamands, ceux de notre mythologie nombriliste, existent-ils ailleurs que dans notre mauvaise foi ? Tous ceux que je rencontre sont si peu « flamands » qu’ils mériteraient d’être wallons — pourtant, cela ne semble guère leur manquer. Il ne leur manque que la parole, pardon, que le français — d’ailleurs, le plus souvent, ils le connaissent, et s’ils ne le connaissent pas, il n’a pas l’air de leur manquer. Et nous non plus, au fond, nous n’avons pas tellement l’air de leur manquer. Diable, diable !

Oui, les Flamands — mes Flamands, ceux que je traîne dans un coin de mon folklore — sont bien comme le diable : ils n’existent pas. Peut-être suis-je un athée de la Belgique : c’est ce qui m’aide à rester Dieu, et wallon, en toute bonne conscience et au fond de ma botroule. Car les Wallons, c’est tellement bon, quoique les Flamands, ça soye plus présentable…

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