Miracle des oiseaux

Jack Keguenne,

Me dire que la seule lettre d’un huissier me coûte l’équivalent de ce me rapporte la vente de trois cents de mes livres.

(À l’heure où les librairies ferment).

N’avoir rien à perdre dans un monde où tout pousse aveuglément à gagner.

Surtout, surtout, ne pas adhérer au clan qui parle de croissance, mais rester au sein de celui qui cultive la richesse.

Taille moyenne.

Considérer que les pantalons ont des revers, et que les poches ne sont pas extensibles.

Servir le prince, quel qu’en soit le coût.

Avant même d’imaginer l’usage du prince.

On ne meurt pas de froid, de faim ni de misère.

Il n’apparaît aucun trottoir, aucun carton souillé, aucun hiver dans les bilans négatifs.

À la raison des bourses, opposer le sentiment d’indifférence.

S’approprier cette manière qu’ont les chèvres de sembler distraites en s’occupant de l’essentiel.

Alternativement, la Terre s’entretient à proposer des équinoxes et des solstices.

Y vivre ne procède toutefois pas de la même générosité d’équilibre. Je n’attends pas que les abeilles ressuscitent.

Prendre l’histoire d’une femme, seule et âgée, dans sa faiblesse et son absence de recours.

Je veux dire, au moins, son incapacité à procéder.

Ensuite, la faire mourir, harcelée par une unanimité votée.

Il ne passe rien entre les mains de ceux qui décident.

Seul se prolonge le substrat de leurs évidences maladroites.

Leur manière d’égratigner le réel, d’écorcher le vif, de lisser les décisions.

Tout advient dans l’idée d’appréhender le problème et ses formes, jamais dans l’intention d’en connaître les conséquences.

Sauf intérêt particulier.

Il y a nulle autre valeur que celle du préjugé.

Garder en captivité les égéries d’une jeunesse lointaine.

Et museler les avantages contradictoires.

S’asseoir sur un séisme, sans le voir.

Ou sans pouvoir le dire.

Rendre anonyme le requiem.

La misère est contiguë aux incapacités.

Les statistiques n’organisent pas la gestion. Multiplier les incompétences ne donne aucune marque d’attention.

Le monde ne se montre pas tant trouble, il est rond et régulier depuis longtemps.

À sa surface, écrire l’histoire ou le commentaire n’achève rien, sauf à rendre les trottoirs plus étroits et précaires, à semer les doutes.

Gangrène des discours, mutilation des retards, vertu des incantations.

Il ne reste rien de l’espérance, sinon la démesure d’une procréation et les vœux pieux adressés à l’éternité d’un aveuglement.

En ceci, rien n’empêche aucune liberté, même si elle annonce un massacre.

Vivre, à tâtons, sous ce qu’il reste de ciel. Considérer toujours que les nuées pourraient tomber.

Dernier air, dernière lumière avant tarification.

Ne rien décréter impérativement, et sans discriminer.

Opérer dans la circonstance particulière, en l’universalisant.

Ne pas confondre le cas de figure et le cas particulier. Ne donner aucun grain à moudre aux voltigeurs.

S’appuyer sur l’ambiguïté.

Toute théorie renouvelante nécessite des prudences.

Au même titre, selon les circonstances, les pauvres et les puissants prendront les armes, plus ou moins révoltés ou orgueilleux.

L’ordre n’a qu’une vocation précaire.

Imaginer que nous aurions pu accumuler assez de richesses secrètes pour que les larves des prédateurs puissent venir s’y goinfrer.

Et qu’ensuite, le cycle se perpétue.

Jusqu’à l’outrance.

N’avoir le pouvoir que de prendre acte.

Ou même d’ignorer, voire de s’incliner en silence.

Jusqu’à fomenter une colère qui ne peut plus rien nommer que le poids affligeant sur ses épaules.

Échelons ravis.

Il y avait le rêve d’être mieux que dans l’enfance, l’exaltation de porter un progrès. N’importe comment, demain serait radieux.

Puis est venue la honte de ne ramener que des fatigues, de s’endormir sans parvenir à connaître les mécanismes de l’usurpation.

L’aube distribue la lumière, et sa condition.

De l’un à l’autre, dans la rue ou dans les salons, les mêmes mensonges font tache, même si les buvards peinent à la manœuvre.

Celui qui s’aventure sans sincérité agglomère les intérêts obscurs, aspire à de longues hypothèques.

Vivre, toutefois, ne s’encombre d’aucun lien.

Remuer l’air hypnotise parfois, mais ne change rien au vol des oiseaux.

Lorsqu’il en reste.

Entre quelques-uns.

Ne nous trouver aucune conformité avec la règle imposée, ni avec son mode lisse et convenu.

Devoir développer la réponse alors même qu’aucune question ne s’est trouvé posée.

Défait, et depuis longtemps déjà, par rapport aux normes et aux expertises décrétées.

Préexister dans l’oubli.

Citoyen encore, pour la forme, mais sans valeur.

La colère épuise les forces de la raison.

En vigie, instaurer une surveillance de la dérive. Au risque d’un coup de balai.

Ce qui croît et fleurit ne procède ni du miracle ni de l’austérité.

Pourquoi gouverner ressemble-t-il tant à un mépris de l’héritage et une incompétence dans l’investissement ?

Pourquoi tant d’orages là où il suffirait d’arroser quelque peu ?

Nous ne nous désignons que par nous-mêmes, et debout autant que faire se peut.

Toute instance étrangère dérègle nos pas.

La coutume établissait le contrat en termes de vie. Aujourd’hui, l’ordre de marche ne désigne plus rien d’autre qu’une assignation à péricliter.

Où resterait-il encore des forces vives quand l’épouvante devient si familière ?

Si le précaire pouvait résister, aucun sentiment n’aurait dû chercher à le détruire.

Ne me faites pas dire que le désastre est programmé par des corrompus…

Oups ! Trop tard.

Mais bientôt, il n’y aura plus rien à prendre nulle part.

L’autre jour, voir venir la police, non pas pour mettre de l’ordre, mais pour s’assurer d’un désordre fonctionnel.

Routine.

Pétri de certitudes, n’asséner que des convictions, établir à sa guise la règle du commun.

Puis, gavé de plein droit, envoyer l’huissier là où manquent les services sociaux.

En dernier paradoxe, s’étonner des troubles ou des maladies, des journées instables ou menaçantes, d’un épuisement.

Ne rien comprendre de la perte d’innocence infligée.

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