Monetti 1927

Jack Keguenne,

Elle aime recevoir des fleurs. Des tulipes, des roses ou des glaïeuls. Elle… Elle ne sait pas comment dire. À y penser, elle sent le rouge monter à ses joues, elle respire déjà plus difficilement. Elle n’a pas de préférence, elle ne veut pas choisir, ce qui importe, ce n’est sans doute pas tant les fleurs, ni leur couleur ou leur parfum, mais plutôt le sourire qui les accompagne quand la main d’un homme lui tend le bouquet. Ce moment même qui ressemble à une promesse, quand personne ne sait jamais quoi dire et que les mains s’agitent sans ordre, impatientes et maladroites. Elle a, dans ses armoires, des vases de toutes les tailles et, dans sa mémoire, quelques souvenirs de sourires.

Il ne peut s’installer, dans son appartement, que le silence de l’attente ou, parfois, un bouquet coloré et puis le vide de l’abandon. Elle demeure seule ou elle s’enfuit, elle rêve ou elle sort avec celui qui lui apporte des fleurs. Elle le suit ou, peut-être, elle l’emmène. Mais alors, elle ne reste pas là, elle ne l’invite pas à entrer, ne lui propose jamais de s’asseoir, elle n’offre pas de verre. Les meubles ne sont que les témoins d’un secret, pas d’un ravissement. Il ne faut pas toucher aux habitudes ; les choses doivent garder leur place.

Elle pose la main sur sa gorge, se fait un collier de doigts, s’écoute respirer. Elle vient de faire craquer le parquet.

Elle aime la mer, la plage et le sable. Elle voudrait aller à Cabourg ou à Monaco, faire des voyages, flâner dans des villes élégantes. Elle attend l’homme qui l’emmènera dans une Monetti 1927, une rouge. Elle se laisserait emporter, elle aurait les cheveux au vent et l’iode colorerait ses pommettes. Elle s’imagine portant une robe d’été, longue et légère, et un sourire de star, rouge baiser. Ses lèvres refléteraient la beauté des galbes de la voiture. Elle serait alors… Elle ne trouve pas les mots, elle hésite. Elle baisse les yeux, songeuse. Elle croit qu’elle serait folle de bonheur.

Le modèle 1927, c’est celui que l’on voit sur la photographie de la table de nuit, avec le grand-père au volant. Un large volant de bois derrière un petit pare-brise en saute-vent. On aperçoit aussi cette découpe de la carrosserie, caractéristique de l’époque, avec le siège de la passagère disposé en retrait. Il y a une valise de cuir, sanglée à l’arrière, et de grandes roues à rayons. C’était l’année de la mort d’Isadora Duncan. Le noir et blanc un peu passé laisse encore deviner la belle couleur rouge.

Elle ne veut pas choisir, Monaco ou Cabourg, peut-être même Biarritz, elle ne demande qu’à partir, à se laisser bercer par le cahot des routes et le ronflement des cylindres. Elle sent le soleil qui la caresse et scintille sur la carrosserie rouge de la Monetti. Elle entend déjà le bruit de la mer. Elle pense que ce serait bien, elle aimerait rencontrer cet homme-là qui sourirait en silence, déposerait les fleurs puis l’enlèverait aussitôt. Il n’y a pas de raison de ne pas espérer.

Elle remet la bouilloire à chauffer, sort une tasse de l’armoire puis, en attendant, vient se placer devant la fenêtre. Penchée, elle écarte d’une main la tenture pâle.

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