I
“O frati”, dissi, “che per cento milia
perigli siete giunti a l’occidente,
a questa tanto picciola vigilia…”
Dante
Nous ne sommes ni à l’Occident ni à l’Orient de nos vies, de nos feux, mais au Centre éclairé…
Sur les terres ancestrales de notre ascendance-reine, nous demeurons en cet effort et suprême espalier. Visionnaires !
Et quoique par certains côtés nous paraissions encore à l’aube de nos vies, de nos feux – par d’autres, nous déclinons ; le couchant s’établit en nos êtres comme un naufrage sur les rives lucides de notre belle errance.
Mais toujours, sans faillir, nous nous tenons au centre de ce si grand parcours de lumières et de clartés divines. Confraternellement, ce vaste arc nous révèle – et nous sauve… Ô prospère Avalon ! –
– La terre se lève en nous. Les astres s’y soulèvent. C’est en nous que s’arriment et s’exaltent les étoiles, beaux gouffres galactiques destinés à demain – voraces affabulateurs de feux !… – Amples digues atteintes.
D’aucuns encore diront : « Nous sommes à l’occident du ciel, à l’orient des vagues lisses et chaudes, aplaties soudainement en mille visions franches – aux millions d’étincelles, effilées et sincères, de la Création !… »
– Or, Midi ne chante pas en divisant le cadastre de son ciel : il s’augmente d’amont, et élève toujours plus haut son arc immense au milieu des horizons subjugués de sa vie, de son règne. Qu’une fois cela soit dit : sa pourpre est salutaire.
– Et nul astre n’a dévié de ce faste brandon. –
II
“Considerate la vostra semenza:
fatti non foste a viver come bruti,
ma per seguir virtute e canoscenza”.
Dante
Certes, tu es l’Hespérie – la contrée et l’instant où le soleil se couche et meurt, projetant sa lumière au départ des années. Éternellement fuyants sont tes dieux facétieux, comme la lumière étrange de ton ciel évasif – de ton sang.
Toujours en quête d’une réalité supérieure autant que figurable, Europe tu t’inquiètes et t’affirmes en avant. Les bords déchiquetés de tes rives sauvages ne sont pas sans évoquer les plis de ta conscience – les complexes drapés de tes adorations. Tu en épouses encore les abords compliqués, les cols étroits et secs, les célestes sentiers. Mais en toi-même tu flambes et resplendis d’ahan, vieil asile des merveilles, oracle des années !
Europe, tu t’allies aux sables comme aux neiges : montagnes et glaciers sont en toi désormais, comme un rêve véloce à la hâte élevé – et semblablement voulu tel. Tu t’édifies dès lors en forêts vespérales, en villes arrosées de plaines et de canyons épiés, ô toi contrée aux mille citadelles ! Tes déserts refleurissent au contact des années…
Tourmentés sont tes peuples, déchirés en cent bannières – perpétuel agôn élargi en continent, en destin. Toujours tu projettes ta force neuve, ta lame altière, comme un sein exposé qui s’exalte à raison. Mais au creux de ta vie intime gisent, ô très sainte antiquité, tes trésors à venir et toujours découverts.
Peu te connaissent vraiment, Europe, dans ton fond. Tes rendez-vous secrets sont pour quelques amants. Mais tes plus vieux volcans ne sont pas tous endormis, non – en nous-mêmes, ils s’activent ; et ressuscitent tes géants. Au-dedans d’Occident, ils font battre leur cœur, grands coups multipliés d’abîme et d’océan.
Ses foudres restaurées sont des flots d’astres d’or – un flux immense et noir où blanchit l’horizon. Car ceux qui touchent le plus tôt à la nuit sont également ceux qui se révèlent les plus proches de l’aurore. Chaque instant à venir, ainsi qu’une oraison…
Toute nuit qui s’avance n’est que préparation du jour. À demain s’établit son règne héréditaire. Ce ne sera jamais, Europe, ton dernier souffle, ta dernière heure. – Pour toujours et à jamais, tu as sauvé le monde.