On n’a pas encore trouvé le plombier

Stanley Berenboom,

— Excu… Excusez-moi, euh… c’est occupé ?

— Mais où croyez-vous être ? Au Paradis ? lui répondis-je, surpris.

— Non, pas du tout, mais j’espérais tout de même pouvoir trouver des toilettes dans le coin.

— Alors là, je vous arrête toute de suite. Le plombier n’est pas encore venu. Avec tout ce monde qui défile ici, croyez-moi, pour être bouché, c’est bouché. C’est vraiment bizarre, ce plombier qui n’arrive pas. On pourrait se douter qu’il en viendrait un, mais non, j’ai beau chercher, je n’en vois jamais. C’est triste. On dirait vraiment que tous les plombiers sont des saints, ha ha ! Vous voyez ce que je veux dire ?

Je souris par politesse sans m’empêcher de lui répondre franchement :

— Non pas du tout.

— Mmm. Pas d’humour ? Tiens. Je m’attendais pas à ça chez nous. Normalement les gens sérieux, c’est à l’étage du dessus mais, bon. On n’a jamais de chance sinon on ne sera pas ici bien sûr.

— Je peux difficilement être drôle, vous savez. Je suis banquier, on n’a pas le temps. C’est vrai. On fait parfois la fête pour oublier les longues journées mais ce n’est pas toujours facile de trouver un moment, ni l’humour.

— Oui je vois ça à votre curriculum vitæ. Impressionnant ! Vous avez travaillé pour les plus grands. Malheureusement, vous avez été banquier au mauvais moment de l’histoire. C’est bête mais ici, ça peut toujours servir. Vous allez être surpris par la masse de travail que vous aurez. Allez, avancez, il y a du monde qui attend.

Je notai son nom avant de la laisser partir.

J’étais de retour à mon boulot habituel. Je ne sais pas si j’aimais mieux celui d’avant, mais ce que j’aime dans mon job, c’est la variété. J’ai découvert qu’il n’y a pas beaucoup de différence dans le caractère des gens où que l’on aille, mais au moins les cultures divergent. Partout, le monde tourne autour du pouvoir et de l’argent. Mon dernier travail ne m’a pas surpris, j’ai pu faire ce que je voulais sans que personne ne m’arrête, ne me contrecarre. Ce n’était pas comme ça auparavant dans les dernières années. Avant, tout était mieux. Les gens étaient prêts à causer plein de dégâts, à aller de l’avant, à tout détruire sur leur passage parce qu’ils croyaient que c’était ainsi que les choses devaient se faire et parce qu’on leur ordonnait de le faire. En un mot, la vie était plus simple. Je donnais les ordres et on les exécutait. C’est mon job, je suis indépendant, et mon but est d’avoir le plus de clients possible. Je suis à l’origine, je le reconnais de quelques malheurs : c’est ainsi que j’ai inventé le capitalisme. Je trouvais que je n’avais pas assez de clients et donc j’ai mis au point un nouveau système, plein de failles. Mais j’étais satisfait dans l’ensemble de la manière dont tout ça fonctionnait : les crises, les morts, les guerres, c’est horrible pour certains mais vous savez il y a toujours une Grande Cause à servir et les gens aiment ça. Moi, j’aime mon boulot, si les gens sont prêts à me suivre, tant pis pour eux. Moi, je dis les choses les plus folles qui me viennent à l’esprit et les gens trouvent ça intelligent. Ce n’est pas pour me vanter mais je ne sais pas pourquoi. Je suis né ainsi je suppose.

Dans mes voyages, j’ai surtout aimé la Russie. Ce qui est plutôt paradoxal, moi qui suis plutôt habitué au chaud, au très chaud. Mais sentir le froid quand on est chaud, c’est une expérience incroyable. Et puis, les filles sont jolies, l’alcool coule toujours à flot. Je suis repassé souvent. Par la Russie. Oui. J’aime vraiment ce pays. J’étais très heureux d’y travailler. C’était excitant. Allez ! Assez de nostalgie. Retournons à mon job actuel. La personne qui se présentait devant moi avait justement l’air russe.

— Bonjour.

— Bonjour. Quel est votre nom ?

— Alexei Tueroff.

— Ah ! Vous êtes russe, n’est-ce pas ?

— Oui, militaire. Je reviens de Crimée. Je suis hélas tombé dans les escaliers en rentrant chez moi. Mais, dites-moi qu’est-ce que je fais ici ?

— Pourquoi les gens me posent-ils toujours cette question ? Jamais une autre. Seulement celle-là. Vous êtes ici parce que vous n’étiez sûrement pas très gentil.

— Je me suis comporté de manière normale. Parfois, quelques excès, comme tout le monde. Je suis un homme, que diable !

— Ah ça ! Vous avez trouvé le bon mot. D’après votre fiche, vous êtes catholique ? Étrange.

— Oui, depuis toujours. Je me confesse souvent donc je ne sais pas…

— Je vous arrête tout de suite. Ici, ça ne marche plus comme auparavant. Nous avons un accord entre moi et l’Autre.

Je pointais ma tête vers le haut :

— On l’a conclu quand on a constaté combien ses prêtres étaient horribles. Depuis, Il m’envoie tous les prêtres avec dans le lot également les gens qui se confessent. Désolé ! Mais laissez-moi vous dire comme je suis content de vous voir. Moi aussi, je viens de Russie. Et je constate que vous avez suivi mes ordres à la perfection.

— Pardon ?

— Ah oui, désolé. Je ne me suis pas présenté. Vous me connaissez sous un autre nom, Vladimir Poutine.

— Mais, mais… je croyais que vous étiez le diable ?

— Belzebuth, s’il vous plaît, c’est plus solennel.

Fin… ou pas

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