Par une douce soirée d’été

Chantal Swinnens,

Par une douce soirée d’été, des mots et des chiffres ont décidé de se mêler aux senteurs des plantes et aux chants d’oiseaux.

La pluie s’est invitée presque toute la journée et depuis la fin de l’après-midi, un soleil généreux se répand sur la ville et dans un joli parc à l’allure savamment sauvage.

La terre fume, dilate ses poumons sous la chaude caresse du soleil.

D’un platane séculaire s’envolent des chiffres. Avec fierté ils déploient leurs ailes aux couleurs magnifiques et se joignent aux oiseaux.

Des mots, espiègles, surgissent des buissons, des massifs de fleurs, des nuages et jouent avec les chiffres. Ils jouent à se poursuivre, s’entremêler, se cacher puis surgir de nulle part.

Quelques promeneurs profitent de l’accalmie et déambulent dans les allées du parc.

Les mots s’amusent à étiqueter ces badauds suivant l’expression qu’ils dégagent. C’est à qui trouvera le meilleur qualificatif.

La soirée s’annonce pour le moins fantaisiste.

Les insectes ont pris leur instrument de musique et une douce mélodie baigne l’atmosphère vespérale.

Tout est joie et harmonie.

Soudain, deux chiffres commencent à se disputer.

Le 5 et le 7 se mettent à rivaliser, chacun déclarant qu’il a une plus jolie forme et des ailes aux couleurs plus chatoyantes que l’autre. D’abord ils vont chercher des mots désagréables, piquants, qu’ils se jettent l’un à l’autre mais ces mots ne suffisant plus à exprimer la hargne qu’ils éprouvent l’un envers l’autre, ils se bousculent et finissent par se battre.

La nature exhale un profond soupir. Le parc se vide des promeneurs. Les chants des oiseaux se transforment en cris. Quelques désaccords perturbent l’orchestre des insectes.

Au détour d’un chemin, un homme de grande taille paraît.

Le silence se pose. Tout est suspendu. Et la dispute des chiffres, et les cris des oiseaux, et l’orchestre des insectes.

La nature retient son souffle.

L’homme sourit et se dirige nonchalamment vers une petite clairière baignée de soleil. Il reste un instant debout à s’imprégner du lieu puis il se dirige vers un tronc d’arbre entouré de mousse. Il s’assied et ferme les yeux.

La nature reprend sa paisible respiration ; les oiseaux, leurs chants mélodieux ; les insectes accordent leurs instruments et les chiffres se toisent, indécis.

Des mots s’éclipsent, se choisissent spontanément, conscients de l’importance de l’instant, se déplacent avec légèreté dans la clairière.

L’homme a ouvert les yeux. Il sourit toujours, heureux de se trouver là, à ce moment-là. Ce moment de plénitude, de beauté pure d’une nature resplendissante dans laquelle il peut s’abandonner.

Les mots ondulent autour de lui, le narguant gentiment, emmêlant leurs lettres pour se recomposer dans un éclat de rire.

Étonné, il assiste à ce curieux ballet. Tour à tour il décrypte. TALENT GÉNÉROSITÉ BIENVEILLANCE DOUCEUR ENTHOUSIASME CURIOSITÉ ÉVEIL SPONTANÉITÉ NATUREL FINESSE SIMPLICITÉ AUTHENTICITÉ DISCERNEMENT HUMOUR COMPLICITÉ SOURIRE ÉCOUTE BONTÉ HUMILITÉ ESPIÈGLERIE

Il rit doucement, pris par la magie de cette étrange sarabande.

Les mots dansent, se posent parfois délicatement sur lui puis repartent voltiger dans l’air. D’autres lui échappent. Il est amusé par leur jeu sans savoir que cette cérémonie lui est destinée. Il se dit que peut-être il pourra en faire le sujet d’une prochaine nouvelle. Oui, peut-être…

Le 5 et le 7 ont cessé de se chamailler. Ils entrevoient une autre réalité. En examinant bien cet homme et le ballet des mots, ils décident de s’unir dans un magnifique envol. Et l’homme voit tout à coup deux chiffres majestueux se détacher dans un ciel pur pour former le nombre 75. Les chiffres restent longtemps suspendus dans leur vol. Le temps que l’homme comprenne que cette harmonie parfaite entre la nature, les mots et les chiffres lui est dédiée.

À travers son doux sourire, des larmes de bonheur et de gratitude se posent sur la mousse tendre qui entoure le tronc d’arbre.

Merci, Jacques.

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