Parole, 1
Je parle, je te parle, je ne parle qu’à toi…
Mais peut-être n’entends-tu
dans ma voix que le cri,
dans le cri que le souffle
et parler n’est-il pour toi
qu’une façon de respirer –
celle aussi bien du chien, du serpent, du poisson-chat… ?
Ou alors n’entends-tu dans mon souffle
et le leur que le flux de la vie
et respirer n’est-il pour toi
qu’une façon d’être vivant –
celle aussi bien de l’herbe, de l’arbre, de l’algue… ?
Ou alors n’entends-tu, dans ce flux
de ma vie et la leur, que l’existence
et vivre n’est-il pour toi
qu’une façon d’être réel –
celle aussi bien de la pierre, du nuage, du vent… ?
Ou alors n’entends-tu dans mon être
et celui de ces choses que le cours de ton rêve
et le réel n’est-il pour toi
qu’une façon d’être rêvé –
celle aussi bien du noir, du temps, de ce poème
où je parle, où tu parles, où nous sommes parlés.
Parole, 2
Je te parle, et c’est ma vie entière
qui se fait souffle, se défait en prière
– si tu entends, c’est ton mystère.
Je t’écoute, et c’est la pierre de ma mort
qui s’ébranle et se fait corps
– si tu le sais, c’est ton mystère encore.
Parole, 3
Parce que ton nom est voix et le mien silence
et que les mots sont entre nous ce pacte ni scellé, ni rompu
qui ne commande rien, n’exclut rien et permet l’impossible
qui est, sans y croire, de nous imaginer l’un l’autre
parce que ton rôle est de lumière et mon destin est d’ombre,
qu’où tu vois tout s’éclaire et d’où je guette rien n’est visible
et que le monde dresse entre nous son écran sans épaisseur
où sans nous voir nous nous créons l’un l’autre
parce que tu es ce qui est et je suis ce qui naît, ce qui meurt,
qu’en toi tout demeure et qu’où je passe tout passe à travers moi,
que le temps (je sais que tu l’ignores) t’ignore et me connaît
et – toi le tu, moi le dit – malgré toi, malgré tout me tue
parce que tout, sans t’entendre, t’écoute (et même moi – ce rien)
et que toi seul, sans m’écouter, m’entends (et pourtant tu es seul)
et parce que, muet, je ne puis donc parler qu’à toi qui es-tu,
ne parlant que de moi, de ce moins, de ce rien qui m’est tout…
Parole, 4
Ou alors Dieu ? mais vu
de si loin qu’on ne saurait dire
si c’est de face ou de profil
ni s’il nous parle ou nous écoute.
Parle : je t’écoute –
Mais non : tu ne dis jamais rien.
Ou alors, d’un souffle, tu me dis : Écoute –
et plus un mot ne vient !
Ou parles-tu
et est-ce moi qui n’entends rien ?
Ou qui t’entends à mon insu,
ignorant quel langage est le tien ?
Qui veux entendre et n’entends plus
que le bruit sourd d’attendre ? – ou bien
en ai-je trop dit, et toi attends-tu
que ton silence soit le mien ?
Parole, 5
Tu seras Dieu
et je serai ta créature :
je t’aimerai
toi, tu m’animeras.
Puis je douterai,
me croirai éternel par nature
tu deviendras vieux
un jour tu mourras…
Ainsi dit Dieu à l’homme
et ainsi fut-il fait.
Tu dis.
En toute chose, chaque moment,
et en tout être selon son bruit,
en chaque chose que je dis
et encore si je me tais,
tu le dis.
Mais c’est moi qui écoute :
t’entendre, comment pourrais-je ?
comment comprendre ce silence qui se fait
chaque fois que tu parles
et ne laisse des choses que le bruit,
des êtres que le cri ?
Tu es.
Partout où je regarde, en tout temps toutes choses,
dedans, dehors, en lumière ou dans l’ombre,
et la lumière et l’ombre, et moi
de part en part, veille ou sommeil :
tu l’es.
Mais comment voir
avec ces yeux, ces yeux de taupe, ces yeux de terre,
ces yeux fermés qui sont les miens ?
à quoi te reconnaître, sinon
– et cela même à mon insu –
au clignement subit de mes paupières
chaque fois que tu parais ?