Peut-on s’évader ?

Lise Thiry,

Pourrait-on sortir de chez soi pour aller explorer des mœurs autres que celles de la civilisation bancaire ? Mais pour en rencontrer, faudrait-il aller jusque sur Mars ? Peut-être que non. Il pourrait être encore possible d’aller se dépayser quelque part sur notre planète. Par exemple, là où les banques visent, certes, de nouvelles proies — mais ne les ont pas encore digérées. Des pays où les soucis ne portent pas le nom de dettes non remboursables, ou factures impayées.

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Colette était biologiste et rêvait d’échapper à la « modernisation » des Instituts Pasteur du monde. Car ils étaient, eux aussi, atteints par les symptômes de la recherche rentable. Il leur fallait bien survivre, face à la concurrence des firmes privées, très douées pour réinventer sans cesse le « nouveau vaccin du jour » contre le nouveau mutant du virus de la grippe.

… Et Colette choisit d’aller se plonger dans un pays en plein renouveau : la Corée du Sud. Elle partit donc pour la capitale Séoul. Elle voulait, certes, s’imprégner de la nouvelle tendance de la nanotechnologie selon laquelle des micromédicaments atteindraient plus finement leur cible, dans notre corps — et causeraient ainsi moins d’effets secondaires. Au laboratoire, elle se fit vite des copines, qui la ramenaient passer une soirée à la maison. Or, il allait se révéler que, pour proposer au monde des réinventions de la société, Séoul avait recours à… Facebook. Juchée sur un tabouret roulant, Colette participait à un échange international sur… la forme des chaussures à la mode : les bottes, en l’occurrence. Parfois, elle devait se pincer pour savoir si elle ne se trouvait dans l’appartement familial, rue Saint-Paul, à Paris.

Et tout se passait comme si les bottes étaient des entités vivantes, qui mutent pour varier un brin d’année en année, mais parallèlement de par le monde. Une année, le profil du mollet de la botte exagérait le côté charnu des demoiselles… Et l’année suivante, c’était aux doigts de pied de jouer le rôle d’accrocheurs.

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Colette était à peine rentrée à Paris que l’épidémie de bottes s’étendait dans le monde, plus vite encore que celle de l’influenza. Voici Pékin touché… et même la capitale du Congo. C’est davantage encore à la mode, là où il ne neige pas.

Porter des bottes semblables, est-ce une forme de fraternisation ? Cela va-t-il éviter des guerres ? Peut-on se tirer dessus, entre botteurs ?

Le lecteur doit hausser les épaules : réduire Facebook à la botte, n’est-ce pas pusillanime ? C’est plus largement un mode de vie que les écoliers du monde vont adopter : en rentrant de l’école, s’offrir une heure de Facebook avant d’aller faire face aux devoirs et aux leçons. Et pendant l’heure, on aimerait s’imaginer que la comparaison des bottes n’est pas le seul plaisir. Ne serait-on pas curieux d’autre chose ? Qu’aimes-tu faire ? Que voudrais-tu faire dans la vie ? Que voudrais-tu changer autour de toi ?

Peu de chance, toutefois, que l’on aborde la modification des mœurs bancaires… Il est irréaliste de se rebeller contre un torrent qui emporte votre embarcation. Et pourtant, il en existe, des athlètes-pirogueurs qui réussissent à remonter des torrents à contre-courant… Nous en avons vu, aux Jeux olympiques de Londres.

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