Contes
Souvent j’ai dit, viens près de moi, mon amour. Nous n’avions Jamais fait de grandes promesses, car nous savions combien il est difficile
De tenir ces promesses. Nous n’avons rien promis, mais nous Nous raconterons tous nos contes et nous écouterons les contes de l’autre.
Il est difficile de commencer. Et les contes se limitent aux Enfants, parents, bien-aimés, quelques amis. Te souviens-tu ? Je
Racontais que la glace se brisa et que ma sœur se noya. Ma mère courut après elle et trouva la mort des années après. Je racontais Que je partis en train et que mon père pleura sur le quai.
Les événements forts, dramatiques, ne s’oublient pas.
Nous nous souvenons des détails d’un tout plus grand. Que ma sœur
Me taquina et l’emporta sur moi. Que mon père réprima Son passé en silence et rêva de Saint-Pétersbourg. Que ma mère
Partagea la culpabilité et que je lui mentis. Ce qui fut vraiment important est difficile à traduire en paroles. Vingt-cinq ans ont Passé. Et tu as dit, viens près de moi, mon amour. J’ai Quitté des femmes et juré aux enfants que je les aimais. Nous Trouvons toujours un début et une fin, mais nous n’avons rien à Dire. Nous en revenons à nos souvenirs et nous ratons l’histoire.
(Extrait du cycle Testament)
La maison sur le rempart
Depuis toujours les maisons m’ont habité. Je leur ai tout donné,
L’eau, la chaleur, la lumière. Je leur ai donné ma sueur. Je leur Ai accordé le repos dans ma vie sans repos. Je les ai enrichies. Je les ai quittées. Elles m’ont séduit et elles m’ont oublié. Notre première maison
Avait des vitraux et un cytise au balcon. Notre deuxième Maison avait une galerie surplombant un rempart. J’aurais voulu passer des heures À la fenêtre, avec à l’arrière-plan une symphonie de Gustav Mahler ;
La huitième peut-être. J’ai vu des gens marcher là où naguère coulait l’eau.
Je retenais leurs gestes. Je déplorais ma temporalité. Il fut un temps
Où je chassais toutes les maisons en moi. Dans ces années-là, je me suis
Perdu. Mais depuis, beaucoup de maisons m’ont à nouveau habité. Dans notre Troisième maison, nous renaissions. Dans notre quatrième maison je découvris le Sang de ma morte préférée. Depuis, chaque maison m’a rapproché de
Ma sœur, même cette maison de verre que j’habite maintenant.
(Extrait du cycle Testament)
Le long des canaux
Moi aussi j’ai marché dans ces rues, sur la trace de gens
Qui m’ont précédé et que je n’ai jamais vus, ou que j’ai vus
Et enregistrés dans ma mémoire mais que je n’ai
Jamais connus. J’ai marché dans ces rues le long des canaux
Le Quai du Chapelet, la Dijver. J’y ai
Flâné la main dans la main avec une Irlandaise que je n’ai
Plus revue. Ici, je me suis promené avec mes enfants
Et avec leur mère qui m’a quitté. Je suis revenu à cet endroit
Avec une vieille amie qui n’y avait jamais été
Avant. Dans ces rues j’ai marché la main dans la main
Avec l’histoire et je l’ai lâchée et
Je l’ai recherchée. J’ai marché dans ces rues
Moi aussi et je n’y suis pas resté. Nulle part je ne suis resté.
(Extrait du cycle Testament)Maison près de l’étang
De toutes les maisons où je vis
Aucune n’est la mienne.
Ma maison est la maison près de l’étang.
Le long de ma maison un étang,
Le long de mon étang un autre étang.
Le long de ma maison pas d’autre maison.
Ma maison est seule dans le bois.
Et de toutes les femmes que je possède
Aucune n’est la mienne.
Ma femme vit dans la maison
Près de l’étang.
Ma femme vit dans la maison
Dans le bois.
Dans ma maison dans le bois
Près de l’étang Je vis seul.
De toutes les maisons où je vis
Aucune n’est la mienne
Et de tous les étangs le long de ma maison
Aucun n’est le mien.
Dans tout le bois
Aucun arbre n’est à moi.
Et de toutes les femmes aucune n’est la mienne.
Je ne possède rien.
Et ma femme,
Ma femme dort son sommeil
Dans la maison où je vis.
(Extrait du recueil Egyptisch zwart)
À bon port
pour Paul Adler
Lourd de pensées je suis allé
Avec des voix
Se contredisant
En hésitant bien sûr
Je suis allé
Dans le bois lointain
Le bois bien sûr
N’est pas ma destinée
Mais j’y suis allé
J’y suis allé
Et ne rencontrai personne
Ni le bûcheron
Ni le chasseur
Ni le bûcheron
Ni le chasseur bien sûr
Ne sont mes amis
Mais je suis allé
Espérant qu’une voix me dise
Rentre
Mais la voix s’est tue
Je suis allé
Sans destinée
Sans amis
Sans voix qui me parle
Et lourd de pensées se contredisant
Je suis rentré
Bien sûr
Je suis rentré
La nuit est noire,
Le noir du nageur solitaire
Qui avance à grandes brasses
Traversées par la folie.
À la surface de l’eau le chant de la sirène
Mais la nuit le nageur
Doit nager dans le vide.
Au fond de l’eau les algues
Vert foncé se déploient
Elles vivent.
Seul le nageur est seul
Dans l’eau noire.
(Extrait du recueil Egyptisch zwart)
Chaque matin mon enfance reste oisive dans la maison près de la mer.
Le sommeil a englouti la vision
De la baigneuse en quête de passion
Disparue ;
Seul me revient le songe de la mer asséchée
Sèche dans toute sa profondeur et sans hiérarchies,
Sombre comme la crypte des Saintes-Maries-de-la-Mer
Où dans la fournaise des cierges se tient Sara.
(Extrait du recueil Egyptisch zwart)
[traduction française de Jacqueline Caenberghs]