Reconstruire la Barack

Jacques De Decker,

Tout vacille sur ses bases qui sont, comme on est mal payé pour le savoir, économiques. Le tsunami financier submerge la planète entière, mais l’Occident surtout, forçant seulement les pays émergents à renoncer à leur croissance à deux chiffres. Ne nous attendons pas aux conséquences de ce chambardement pour la Belgique, qui semble n’échapper à l’effacement de la carte que parce qu’elle a une raison d’être européenne qui la force à surnager. Nous avions, souvenons-nous, envisagé qu’elle trouve en son Premier ministre à la fois l’exécuteur et la désignation de son terme. L’intéressé a, après une embellie due à sa familiarité avec les chiffres qui fit un temps illusion, définitivement compris qu’il avait pulvérisé son niveau d’incompétence. Y a-t-il encore des pilotes susceptibles de guider le rafiot Belgique ? D’aucuns prétendent que le moule est cassé, et ceux qui aimeraient leur riposter manquent, il faut bien l’avouer, tragiquement d’arguments.

Pendant des mois, sous toutes les latitudes, les nations furent distraites de leur sort, même des plus préoccupants, par le destin politique de celle qui passait encore pour la plus puissante d’entre elles. Les Étatsuniens ne furent pas les seuls à se demander à qui ils confieraient leur sort. Ébranlés par les deux mandats du lamentable Bush junior, qui restera dans l’Histoire pour avoir été le démolisseur de son pays sur tous les plans, ils sentaient que cette fois ils jouaient à quitte ou double. Cette conscience, ils l’ont, au fil de la campagne partagée avec d’innombrables citoyens du reste du monde. Jamais on ne vit tant d’opinions publiques se mobiliser pour une cause qui ne les regardait en principe pas. C’est qu’il se jouait entre Atlantique et Pacifique une grande bascule qui dépassait la politique, qui relevait de l’anthropologie.

Un candidat hors normes anciennes s’était glissé dans la compétition. Il avait plein de qualités évidentes. Il était grand, beau, souriant, très « smart » comme on résume bien, dans sa langue, le concentré de toutes les qualités souhaitables. Mais il avait un handicap qui, au siècle précédent, l’aurait de toute façon disqualifié d’avance : il n’avait pas la pigmentation requise. Cette différence physique aurait, durant des siècles, suffi à stigmatiser l’impétrant. Le combat anti-ségrégationniste est une des grandes causes qui balise l’histoire de son pays, et par voie de conséquence, notre époque tout entière. Elle trouve en l’élection de Barack Hussein Obama non pas un aboutissement ni une conclusion – il faut s’attendre à ce que cela problème, plutôt que de s’abolir, se métamorphose plutôt –, mais un jalon décisif, à partir duquel se modifie le statut de chacun d’entre nous sur la planète. L’année du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme, voilà la plus éclatante conquête que l’on pouvait espérer.

L’espoir est le mot qui accompagne cette saga électorale plus que tout autre. Parce que le nouveau président élu n’a pas seulement été porté par ses qualités évidentes, et par la sympathie majoritaire qu’il a su fédérer autour de sa personne, mais par les temps éprouvés et éprouvants que nous traversons. S’il l’a emporté, c’est qu’une grande part de ses suffrages sont ceux de la dernière chance. À situation extrême, solution extrême, ont pu se dire, face à l’urne, beaucoup de ceux qui y ont glissé le nom de celui qu’ils n’avaient appris à connaître que depuis peu, et que beaucoup d’entre eux n’auraient, il n’y a guère, même pas pris en considération.

La très regrettée Claire Lejeune avait coutume de citer une phrase de Hölderlin qui puisa sa beauté dans sa pertinence visionnaire : Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. Elle s’est rarement autant imposée à l’esprit qu’aujourd’hui. Car les périls qui nous guettent sont innombrables. S’ils n’y avaient que les difficultés que les sociétés humaines ont à se gouverner, et dont la Belgique offre le pitoyable spectacle ! Mais c’est l’avenir de notre biotope qui est en jeu, c’est la survie de la faune et de la flore, c’est la paix à la surface du globe…

Et, face à ces menaces, on voit s’écrouler, sous nos yeux, le système qui avait cru, depuis vingt ans, l’avoir emporté sur les autres. Le capitalisme n’aura même pas dansé vingt étés. Il avait cru, avec la chute du mur, avoir définitivement évacué son principal concurrent, celui qui avait édifié sa légitimité sur sa constante contestation. Cette fausse victoire avait surtout été l’ouverture d’une gigantesque boîte de Pandore. Accompagnée du développement d’une technologie d’une prodigieuse sophistication qui, laissée sans entraves, allait fournir à la spéculation un facteur d’appoint à proprement parler délirant. Pour en avoir une petite idée, on ne saurait assez conseiller la lecture de l’excellent roman d’Eric Reinhardt Cendrillon, première plongée littéraire digne de ce nom dans l’univers des « traders ». On y voit à quels apprentis sorciers le sort du fameux nerf de la guerre, l’argent, est à présent confié.

Cette catastrophe financière a réduit le pays qui s’est confié à Barack Obama à un champ de décombres. Et cette faillite, du fait même de la mondialisation dont les cyniques et les naïfs ont salué l’émergence, s’est propagée partout. Elle met à mal les grands groupes, qui s’effondrent comme châteaux de cartes, les industries de base, qui se dérobent sous celles qui dépendent d’elles, mais aussi les modestes solutions alternatives, qui se profilaient pour sauver les plus démunis de la misère. Les effets dominos s’enchaînent, et qui se croit à l’abri aujourd’hui peut être touché fatalement demain. Le grand réseau qui devait distribuer la prospérité aux quatre coins du monde risque de servir de propagateur à la déconfiture.

Voilà le contexte où le jeune, fringant et éloquent nouveau maître du monde va devoir agir. Est-il aussi handicapé que Roland Breucker nous le suggère en couverture ? Il va devoir, de toute manière, mobiliser toutes les ressources pour reconstruire ce qui continue de s’effondrer devant nos yeux. Et faire preuve de beaucoup de créativité. Rien ne pourra se passer si les égoïsmes continuent de sévir, tant que certains disposeront de ressources qui, ailleurs, doivent se partager par des multiplicateurs exorbitants. Nos temps dits modernes et prétendument démocratiques sont les plus inéquitables que l’espèce humaine ait jamais connus. Cela commence à se savoir, et le président Obama est bien placé pour en être parfaitement informé. Va-t-il être, sans ironie aucune, le chevalier blanc qui mettra un terme à ces turpitudes ? C’est ainsi qu’il est perçu avant même qu’il n’ait pris ses fonctions. Va-t-il être celui qui, au cœur des périls, apporte les formules salvatrices ? L’attente qui pèse sur lui est incommensurable. Peut-être trouvera-t-il l’énergie de cette tâche surhumaine dans le sourire craquant de ses adorables fillettes…

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