En 1953, à l’École moyenne de l’État d’Auderghem, le remplaçant du prof de musique, un certain Devlieger que l’on surnommait, j’ai oublié pourquoi, « Mazette », chargé de nous enseigner l’hymne patriotique Vers l’avenir (à la gloire de la conquête coloniale), nous imposait de remplacer l’avant-dernier vers, « Dieu protège la libre Belgique », par : « Nous protégerons la Belgique ». Je suppose qu’il était anti-clérical et lecteur du Soir.
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Il y avait cette dame de la banlieue lilloise qui me demandait : « S’il vous plaît, parlez-moi en belge ». Elle prononçait « belche ». Je lui ai proposé, avec le plus bel accent bruxellois qui soit : « Je ne sais pas te voir entre l’heure de midi ».
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Il y a une trentaine d’années, à Amsterdam, dans un petit hôtel, je demande « een kamer voor twee ». L’homme de la réception, de manière agressive, s’informe : « Bent U een Belg, Meneer ? ». Je réponds : « Ja, van Luik ». J’ai alors droit à un charmant sourire.
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À Bonn, à la Beethovenhaus, devant une carte des Pays-Bas, le guide nous expose, à ma femme et moi, l’origine géographique de la famille Beethoven. « Sie kamen ans Flandern. » Et, avec le sourire insistant d’un maître d’école ayant affaire à des élèves pas trop doués : « Wissen Sie wo Flandern nun ist Un Belgien ».
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« Pour un Belge, vous parlez bien le français. »
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À Ottawa, j’essaye d’encaisser un chèque bien de chez nous. La caissière me demande en quelle monnaie est tenu mon compte, au pays. Je lui réponds qu’il s’agit de francs belges. Alors, appelant sa collègue, elle s’esclaffe : « Belgian francs, ever heard of that ? »
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La Belgique est un Royaume où deux ministres et un général démissionnent quand un détenu s’évade et où le premier ministre ne prend pas la peine de s’expliquer au Parlement ou d’informer les citoyens à la télé lorsque ledit Royaume se trouve en état de guerre depuis un mois, en l’occurrence avec la Yougoslavie de Milosevic.
« Écrivain belge de langue française ». Dit-on « écrivain lyonnais (ou marseillais, ou rennais, ou toulousain, voire parisien) de langue française » ? Il est vrai qu’il s’en trouve qui sont tout fiers de porter dans le dos une étiquette de provincial.
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Boris Vian : « Je ne pourrais jamais coucher avec une Belge, à cause de l’accent ».
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Les Belges francophones avaient raison de dire « déjeuner » pour le premier repas de la journée, et « dîner » pour le repas de midi (l’origine étymologique est du reste la même). À présent, les gens qui savent se tenir prennent d’abord le p’tit déj’, et déjeunent à midi, sous peine de passer, comme l’indique le dictionnaire, pour Vx ou dial.
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Pistolet, petit pain d’une pistole. À Knokke, j’entre dans une boulangerie du centre-ville, et je commande, dans mon meilleur Algemeen Nederlands : « Vier broodjes, als’t U belieft ». La serveuse répercute ma commande : « Veer pistoleïs voor menîr ! ».
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Les Belges francophones, et sans doute aussi les Flamands bilingues, prononcent encore : lundi, opportun, etc. Ils ont tort, et PPDA a raison : lindi, opportin, etc. De plus en plus, les étudiants confondent « emprunter » et « empreindre » : « cette attitude est emprunte de mépris ».
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Monsieur Lagasse, concierge du Théâtre Royal de la Monnaie, dans les années soixante : « La Belgique est une tartine de pain beurré, avec du jambon ent’ ».
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Nationalisme sous-nombrilaire : « Aile Vlaamse Vrouwen Voor Vlaamse Kloten ».
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En 1974, à Nowa Huta, faubourg de Cracovie, l’indication « B » sur ma modeste Renault 4 avait attiré la vindicte des gosses du quartier (jets de boue, éraflures, etc.). Selon l’ami polonais qui nous hébergeait, ils avaient cru que nous étions bulgares.
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« Je ne sais pas comment c’est chez vous, mais chez nous, en France… »
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Coluche, le soir du drame du Heysel : « On ne va quand même pas pleurer parce que trente-neuf crétins sont morts, d’autant que parmi eux, il y a quatre Belges ».
Ma mère disait, à propos des gens qui s’exprimaient de manière confuse, qu’ils « flemteyaient », ce qui signifie littéralement qu’ils parlaient flamand.
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« Je voudrais du fromage belge, un peu de tout… »
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« … poussé par un de ces médecins belges qui, comme on le sait, sont les plus mauvais absolument, les médecins belges sont déconsidérés dans l’Europe entière comme étant les plus bêtes… » (Thomas Bernhard, Extinction, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1999, p. 484).
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Dans le film La 317e section, de Pierre Schoendorfer, un soldat français pète au visage d’un prisonnier vietminh, assis à même le sol, les mains liées dans le dos : « Fume, Chinois, c’est du belge… »
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Suzanne Danco était belge. Et Fernand Ledoux, et Victor Francen, et André Cluytens (prononcez : cluitense). Mais non, n’en déplaise, Marguerite Yourcenar.
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En Belgique, c’est-à-dire (bientôt) nulle part.