Au coin de la rue, un banc public à la peinture écaillée depuis des décennies.

S’asseoir là, sans savoir s’il s’agit d’attendre ou d’imaginer revoir.

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Sans honte, posséder encore un ancien miroir.

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Avoir gardé le journal d’un voyage, je veux dire un quotidien acheté dans un aéroport et jamais ouvert, jamais lu.

Souvenir et jaunissement.

Les avions me fatiguent plus vite que les informations.

Et toutes sont locales.

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Dans le fond, il y aurait à creuser et, dans la forme, à considérer.

Demain répétera peut-être l’excuse exacte d’une ancienne erreur.

Le temps ne déploie pas de syntaxe.

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Nous étions quelques enfants gonflés d’ambition.

Avec les genoux marqués d’écorchures.

En ce temps-là, il ne pleuvait pas, il faisait nuit avant la fatigue.

Les dévotions se trouvaient libres de sacre.

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Vivre ne constitue pas un paradigme.

L’existence maintient.

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Rester dans l’ordre des choses, même si on veut dépasser.

Faire avancer les archéologies et l’adolescence des rêves. Toutes les nuits scellent l’instinct du repaire.

L’aube arrive comme un risque.

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Assembler une chaîne d’illusions.

S’asseoir dans le cours du monde.

La fumée d’un cigare complétera les nostalgies tranquilles et la marée n’a jamais débordé les limites du sel.

Les nuages assument des parents anciens.

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Les chats évitent l’aiguille qui ne conçoit plus aucune broderie.

Les temps ne sont pas morts, mais arrêtés à un mauvais moment.

Certains épisodes, même vieillissants, restent à écrire.

Poussière de dentelles.

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Symptômes d’automne.

Venir au printemps ne résout rien.

Être trop vieux pour quelques semaines de défaillance. Un vacillement de routine.

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Avoir des livres anciens – pas des grimoires, des rééditions plusieurs siècles plus tard – et y trouver une grâce.

Dans nos innocences, l’essentiel danse et se révèle longtemps après.

Nos germes aussi ont des loisirs et la liberté de grandir.

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Nos ombres, même anciennes, sont souveraines.

Il n’y a pas d’autres traces que celles laissées.

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Rien n’indique l’heure autrement que le temps écoulé.

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Il n’y a plus d’apocalypse ailleurs que dans la nostalgie.

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Si l’enfance, turbulente, crie et fait tumulte, l’âge tarde à faire écho.

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Laisser le transitoire à ses indistincts et, de même, que le remords se gave.

Nos soutes sont parées pour d’autres voyages.

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Peut-être mieux, peut-être enchanteur, un carnet vierge, tout juste acheté et qui ignore encore ce qu’il va contenir.

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Dans une migration, aucun oiseau ne revient en arrière.

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L’adolescence déploie des indécences qui s’apprêtent aux combats.

Les vies prétendent ensuite s’intéresser à l’histoire.

Il n’y a pas d’autres vérités que celles qu’on a touchées.

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Ni rideaux ni fenêtres.

Être là devant le mur des ruines.

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Rire comme un enfant les pieds dans l’écume.

Où sont désormais les coquillages sinon dans des tiroirs oubliés ?

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Il ne reste rien de ce qui aurait pu être ni de ce que nous étions.

Vieillir encore un peu en regardant mourir les abeilles.

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Le plus grand chagrin est celui qui nous inonde.

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Plus aucun espace pour les espèces sauvages, plus aucun regret pour nos vieilles égratignures.

Demain semble transporter un hier oublié.

L’eau devrait rester claire dans la rivière.

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Il y a moins d’indécence dans un souvenir que dans les projets entrevus.

Si vivre était difficile, au moins n’étions-nous pas taxés sur notre sillage.

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Les choses – et les erreurs – se répètent, elles ne se reproduisent pas.

Il ne faut ni confondre ni ajouter de l’imbécillité aux nostalgies.

En toutes circonstances, nos usages sont coutumiers.

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Il y aura peut-être des scrupules : garder des armes lentes et longues à recharger.

Poursuivre l’idée de cibles invaincues.

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Épargner la somme des précédentes défaites.

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Si les chevaux sont fatigués, nous aurons l’élan des précédents courages.

Si les auberges ne résistent pas, nous aurons des sentinelles d’étoiles.

Demain n’est qu’un jour de rocaille dans le gravier d’hier.

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Garder en mémoire d’anciennes intempéries et des étés chauds.

Quoi que l’on pense, ne porter aucun désespoir aux usines.

Se dire qu’autrefois, on tenait le projet.

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Oui, peut-être, certaines circonstances, mais rien ne nous autorise à communier ou à condamner.

Il ne peut pas y avoir des renoncules dans tous les fossés du passé.

Et les orties ont fané.

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Temps passés.

Garder la joie d’un autre âge.

Ne plus savoir comment ni combien elle s’est exténuée.

L’époque changeante est une forme de combustion.

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Ne posséder ni collection de chromos ni souvenirs attendris. N’avoir en mémoire que des bribes d’idées, des parcelles d’aventures.

Pour l’enfant que j’étais, si le monde paraissait déjà vieux, il valait davantage.

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Vivre toujours entre l’accompli et ce qui reste en attente.

Les nuits demeurent essentielles à assouvir nos rêves.

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Oui, presque hier.

L’âge n’a pas, à tous moments, les mêmes indécences et la conscience, les mêmes insomnies.

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— Nous pensions réussir à refaire le monde.

— Mais de quel monde parlez-vous ?

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Conserver ce sentiment d’écolier qui hésite, dans sa rédaction, entre jadis, naguère et autrefois.

La sauvegarde vaut mieux que l’inattendu.

À partir de quel âge aurait-on une histoire ?

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Ne posséder que la durée de la lenteur.

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Rendre inverse l’illusion.

Toujours partir sans se retourner.

Faire front.

L’avenir se déploie gorgé de prochains encombrants.

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Aucune arme n’a suffi quand elle était de caresses.

De même, je ne garde pas trace de mes songes.

Il n’y aura pas d’assaut, mais des commémorations.

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Le rêve, peut-être, d’avoir été un autre, fût-il maudit, qui a désormais son nom dans les dictionnaires et chercher aujourd’hui, désespérément, une place de stationnement.

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L’enfance fomente notre obscurité la plus menaçante.

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Il n’y a rien à rendre.

Les rivières coulent toujours dans le même sens.

Les semences se tiennent entières dans les germes.

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Demeure seule l’idée que nous avons vieilli.

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