Secret
Elle s’adresse aux plinthes, plus haut ne saurait plus.
Elle ne reconnaît que celui qui se penche.
Géants non admis. Celui qui grandit a tort.
Je suis assis, un monde trop bas. La chaise, le lit
pour frontière. Je fais tout juste l’affaire. Avec le café
vient son grand secret : elle aimerait quand même,
maintenant qu’on peut encore sans peine. Droit vers le haut de préférence.
Car, comme lui fut promis, là elle verra tout.
Un hérisson
Le soir accompli, silencieux
et visible — c’est ainsi.
Le vent qui jamais ne faiblit
sur l’herbe lasse d’être dressée. Un aboiement,
et comme le train était passé à temps,
la cloche de l’église en prit bonne note.
Un fragment d’éternité, tout ça
ne fut donc pas sans importance.
Mais lorsque j’y vis bien, fila
je ne sais où un hérisson à contresens.
Gardien du bois
Il est à peine rentré d’être parti.
Maintenant est aussi passé. Pourtant demain il doit
s’en retourner au bois,
plein de bois emplit toujours sa tête. Un amas de soucis
dans un esprit feuillu.
Près de sa hache, sur une courtepointe
il cherche des arbres dans la chambre.
En tablier noir paraît,
d’une porte dans le feuillage,
un fils, un chasseur,
qui l’invite à la table.
Il fait oui et ne saurait tarder.
Poésie
Prends une femme. Mais, ami,
ne la prends pas par les mots. La science
d’un poème n’abrite pas d’amour. Tout au plus
y est compté ce qui n’est pas resté
d’une existence. Prends un visage,
et que tes baisers l’éloignent du langage.
Pénètre un ventre et entends
le soupir dans ton oreille vraie. Puis étends-
toi près d’elle, les siècles vides de tes sens
prendront en elle en ce dimanche après-midi leur sens.
Jeu d’enfant
Ils ne jouaient pas, ils s’épousaient
dans le miroir du corridor.
Anneau, baiser, première valse,
leur lien était un fait de glace.
Ils croyaient que c’en restait là.
Ne s’épousèrent pas, jouèrent
chacun avec un autre ensuite. Ils
s’étaient vus dans l’avenir, lors
ils voient beaucoup moins de choses.
Ils pensent, c’est tout, mais à l’envers.
Tableau
Esquisse tracée en neige. Vieux village
an neuf. Planté dans le virage
un archétype d’arbre. Et, dessous
reposaient sur des millions d’épongettes :
un nez croqué, un chapeau,
des confettis et une chaussure de gala.
Plus loin, le pied correspondant, du verre,
de l’acier chromé. Reflets
de ruine. Le reste n’avait pas de visage.
Armoire à glaces
Étrange qu’elle doive dormir à cette heure.
Il reste beaucoup à faire. Passer au repassage, il est
midi à peine. Une mère n’a jamais fini, monsieur.
Dans sa tête, ça joue avec le temps,
quelqu’un ne mène plus son présent.
Fors, les tentures se joignent. Brève, elle salue
la voisine de verre, qui chaque soir
se ferme. Elle pourra, dès demain, ressortir de l’armoire.
Temps du rêve
Cet enfant déguisé de rides
a déjà oublié la vie.
C’est ici qu’il repose, mais
n’est plus de taille à le savoir.
Je reste à le regarder :
c’est une tête, une couverture.
Demain il s’en sera allé partout
où personne ne s’attarde.
Aquarium
Elle ne perçoit pas comme tout, doucement,
accélère. Son regard est en morceaux.
Les jambes la redressent, guère plus.
Devant elle se dresse l’aveugle bonheur.
Une barbe. Je suis monsieur. Qui dedans
le vaste monde, la porte en excursion.
Un peu loin cette fois, dit-elle. Aquarium ?
Ce sera toute une histoire, de couleurs
et de tortue, bien trop vieille. Comme nous
tant que nous sommes. Elle ne voit pas son clin d’œil.
[poèmes extraits du recueil Waar de egel gaat, Atlas, Amsterdam/Antwerpen, 1995, traduction française de Jacques De Decker]