Secret, et autres poèmes

Bernard Dewulf,

Secret

Elle s’adresse aux plinthes, plus haut ne saurait plus.

Elle ne reconnaît que celui qui se penche.

Géants non admis. Celui qui grandit a tort.

Je suis assis, un monde trop bas. La chaise, le lit

pour frontière. Je fais tout juste l’affaire. Avec le café

vient son grand secret : elle aimerait quand même,

maintenant qu’on peut encore sans peine. Droit vers le haut de préférence.

Car, comme lui fut promis, là elle verra tout.

 

Un hérisson

Le soir accompli, silencieux

et visible — c’est ainsi.

Le vent qui jamais ne faiblit

sur l’herbe lasse d’être dressée. Un aboiement,

et comme le train était passé à temps,

la cloche de l’église en prit bonne note.

Un fragment d’éternité, tout ça

ne fut donc pas sans importance.

Mais lorsque j’y vis bien, fila

je ne sais où un hérisson à contresens.

 

Gardien du bois

Il est à peine rentré d’être parti.

Maintenant est aussi passé. Pourtant demain il doit

s’en retourner au bois,

plein de bois emplit toujours sa tête. Un amas de soucis

dans un esprit feuillu.

Près de sa hache, sur une courtepointe

il cherche des arbres dans la chambre.

En tablier noir paraît,

d’une porte dans le feuillage,

un fils, un chasseur,

qui l’invite à la table.

Il fait oui et ne saurait tarder.

 

Poésie

Prends une femme. Mais, ami,

ne la prends pas par les mots. La science

d’un poème n’abrite pas d’amour. Tout au plus

y est compté ce qui n’est pas resté

d’une existence. Prends un visage,

et que tes baisers l’éloignent du langage.

Pénètre un ventre et entends

le soupir dans ton oreille vraie. Puis étends-

toi près d’elle, les siècles vides de tes sens

prendront en elle en ce dimanche après-midi leur sens.

 

Jeu d’enfant

Ils ne jouaient pas, ils s’épousaient

dans le miroir du corridor.

Anneau, baiser, première valse,

leur lien était un fait de glace.

Ils croyaient que c’en restait là.

Ne s’épousèrent pas, jouèrent

chacun avec un autre ensuite. Ils

s’étaient vus dans l’avenir, lors

ils voient beaucoup moins de choses.

Ils pensent, c’est tout, mais à l’envers.

 

Tableau

Esquisse tracée en neige. Vieux village

an neuf. Planté dans le virage

un archétype d’arbre. Et, dessous

reposaient sur des millions d’épongettes :

un nez croqué, un chapeau,

des confettis et une chaussure de gala.

Plus loin, le pied correspondant, du verre,

de l’acier chromé. Reflets

de ruine. Le reste n’avait pas de visage.

 

Armoire à glaces

Étrange qu’elle doive dormir à cette heure.

Il reste beaucoup à faire. Passer au repassage, il est

midi à peine. Une mère n’a jamais fini, monsieur.

Dans sa tête, ça joue avec le temps,

quelqu’un ne mène plus son présent.

Fors, les tentures se joignent. Brève, elle salue

la voisine de verre, qui chaque soir

se ferme. Elle pourra, dès demain, ressortir de l’armoire.

 

Temps du rêve

Cet enfant déguisé de rides

a déjà oublié la vie.

C’est ici qu’il repose, mais

n’est plus de taille à le savoir.

Je reste à le regarder :

c’est une tête, une couverture.

Demain il s’en sera allé partout

où personne ne s’attarde.

 

Aquarium

Elle ne perçoit pas comme tout, doucement,

accélère. Son regard est en morceaux.

Les jambes la redressent, guère plus.

Devant elle se dresse l’aveugle bonheur.

Une barbe. Je suis monsieur. Qui dedans

le vaste monde, la porte en excursion.

Un peu loin cette fois, dit-elle. Aquarium ?

Ce sera toute une histoire, de couleurs

et de tortue, bien trop vieille. Comme nous

tant que nous sommes. Elle ne voit pas son clin d’œil.

 

[poèmes extraits du recueil Waar de egel gaat, Atlas, Amsterdam/Antwerpen, 1995, traduction française de Jacques De Decker]

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