Sky my President !

Claude Javeau,

(Rappelons-nous que le Président Macron fut élu au printemps 2017 par quelque 30 % des électeurs français. La presse et les médias audiovisuels célébrèrent de manière dithyrambique cette victoire d’un homme tout neuf, on oublia le passage en qualité de ministre de François Hollande –, de trente-neuf ans seulement – un gamin, en quelque sorte, porteur de l’innocence de la gaminerie – bardé de diplômes qui font de vous des gendres idéaux, dans ce cas-ci orné du prestige d’avoir fait ses armes chez Rothschild – flanqué d’une femme, Brigitte, de vingt-quatre ans son aînée, ce qui fit pas mal jaser dans les chaumières, les HLM et les hôtels de maître, en dépit du fait d’être, comme on ne devrait pas dire, « bien conservée pour son âge ». On glosera avec empathie sur sa décision de n’être « ni de droite ni de gauche », et on s’émerveille de ses déterminations à refonder le et la politique sur des bases morales, avec l’aide des quelque trois cents et des députés envoyés par le parti tout neuf qu’il dirigeait, intitulé La République en marche – avant évidemment. Le système électoral français lui fut à cet égard d’un grand secours, comme il l’avait été à d’autres postulants à la « magistrature suprême », comme on dit à d’autres époques.)

Nous le surprenons dans le Salon doré, où Brigitte a fait porter un énorme bouquet d’amaryllis roses. Il vient de convoquer son premier ministre, Edouard Philippe, qui entre sur la pointe des pieds, pour ne pas perturber les réflexions de celui qui s’est lui-même baptisé Jupiter. Au bout d’un certain temps, le Président s’aperçoit de la présence de son collaborateur.

— Ah, Edouard, entre, mon vieux. J’ai quelques décisions à te faire connaître. Je te demande seulement de les approuver, pas de les commenter, ni évidemment de les critiquer.

Son interlocuteur fait un signe de tête, pour bien montrer qu’il a compris la consigne.

— D’abord, j’ai décidé de changer de dénomination. « Président », ça fait un peu ringard. Tout dirigeant d’une association de chasseurs ou d’une amicale d’anciens élèves d’un lycée quelconque se fait donner du Président. Pour être en phase avec les grandes orientations de ma politique, dont on sait qu’elles veulent assimiler la France à une grande entreprise, je me ferais désormais appeler C.E.O. (il prononce cé-hi-au) Chief-Executive-Officer de la firme France (il prononce à l’anglaise ‘Frêns’), chef de l’assemblée des actionnaires, ceux qu’on désignait autrefois par le tout aussi ringard « députés », devenus désormais des shareholders (chairaulders), le ci-devant gouvernement devenant le Board of trustees (borde ov trustês).

Edouard baisse le menton en signe d’assentiment.

Le Président s’apprête à poursuivre son monologue quand il est interrompu par sa femme Brigitte, qui entre en catimini, et lui chuchote à l’oreille : « N’oublie pas que tu dois recevoir Bruce Springsteen ». Il répond de manière affirmative par un simple mouvement de la tête. Brigitte, toute de bleu vêtue, en affriolante minijupe et veste signée Vuitton, s’éclipse silencieusement, non sans avoir fait un clin d’œil à Philippe.

Le Président reprend cette fois-ci pour de bon ses ruminations :

— Toi-même, tu ne t’appelleras plus Premier Ministre, mais MHR, Manager of Human Resources (il éprouve quelques difficultés à prononcer ce mot en anglais correct, surtout le dernier).

Philippe hoche encore une fois la tête.

Macron lui lance un regard presque affectueux :

— Je vois que cela te fait plaisir car c’est vrai que je suis votre chef, mais je tiens aussi à bénéficier du soutien de mes collaborateurs. Le Board of Trustees doit être un lieu où règne l’esprit d’équipe. D’ailleurs, je vais le convier, non, le convoquer, à des exercices de teambuilding (il prononce bulding). Je vais demander conseil au pitre qui dirige la Corée du Nord, qui pour une fois servira à quelque chose. Car, compter sur Trump, il n’en est pas question. Il n’est pas trustworthy (il n’est pas capable de maîtriser le « th » qui devient un « s »).

Nouvel acquiescement muet de son MHR.

Macron reprend son souffle, et attend quelques secondes avant de continuer :

— Et enfin, je t’annonce la clé de voûte de mes réformes : l’anglais va devenir la langue officielle des Français. Tu es chargé de montrer l’exemple dès que possible car il s’agit vraiment de ce qu’on appelle la modernisation.

Le MRH se décide enfin à ouvrir la bouche :

— It’s OK for me, Mister CEO.

Le CEO le tape familièrement sur l’épaule, puis le congédie d’un geste amical.

— See you later, dear chum.

Et il sort à son tour, pour aller rejoindre Brigitte dans le bureau de celle-ci, où elle s’occupe des rencontres de son mari, son « marketing people » comme l’écrit Paris Match devenu le nouveau journal officiel (bilingue en attendant) du pays.

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