Sourire, transmutation des larmes

Monique Thomassettie,

À première vue, la tristesse règne à Sarajevo. Mais les rencontres la dissipent. Artistes, hôtes, généreux et curieux, nous accueillent. Sous l’accueil transparaît une attente, celle d’être compris.

Compris, ils laissent affleurer la tristesse. Ma première vue était la bonne. L’après-mal, l’après-malheur, à la très lente guérison.

Moi qui ai le sourire pour vocation, je leur souris mes poèmes. J’en lis un en français.

Au moment où je parle de Dieu s’élève le chant d’un muezzin. Retrouvant leur sourire, des poètes de là-bas qui ont compris le mot « Dieu » m’apprennent que cette autre rencontre est le signe de l’authenticité de ma vocation, partagée.

Cet été, en compagnie de quelques artistes belges et de notre traductrice, j’ai découvert avec émotion l’écoute attentive et passionnée des présentateurs et des publics littéraires de Sarajevo, de Tuzla, de Zenica, de Konjic.

Entre ces villes, les montagnes me bouleversèrent, imperturbables en leurs tables d’une loi naturelle, celle de la Nature qui n’a cessé d’élever ses montagnes en dépit des guerres, des égarements humains.

Régulièrement, les montagnes me manquent dans mon pays aux reliefs relatifs. Besoin de sentir au plus profond de mon être cet esprit qui émane d’elles, qui élève le mien.

Ma foi les déplaçant, je les retrouve ici. Elles ont la jeunesse de l’âme.

Sur un haut plateau s’est posée une rose. Le poème se fait chair. Au-delà des monts alentour, l’océan du rêve, le songe de la mer.

La rose s’est posée, s’est fixée, au carrefour.

 

La mer répond du ciel

Quel point cardinal qui me prenne

je suis rose du Vent

Le Vent m’est barque

enchâssée dans l’écume

ancre de mes envols

Rose posée

gonflée tel l’oiseau replié pour la nuit

Le matin m’embarquera

vers l’humble cœur

 

« Je ne sais pas

Dans quelle larme

Tu t’engouffres » [1]

 

… À la croisée de huit rues, le vingt-cinq mai 1995 à Tuzla, de jeunes vies sont massacrées par les ennemis de l’étoile, des carrefours, des rencontres multiples.

 

« Tout ce qui est ici je le reconnais bien, et c’est pourquoi cela entre en moi aussitôt : comme chez soi. » [2]

 

À travers temps et lieux, je reconnais là-bas dans les maisons meurtries la misère humaine quand la difficulté de s’entendre devient impossibilité.

 

Cette reconnaissance est l’empathie du poème. Je l’écrivis il y a sept ans :

 

Ton sanglot dans ma gorge

Dans la tienne le mien

 

Et le sourire fleurit.

[1] Resad Hadrovic, « Les roses de Sarajevo »

[2] Rainer Maria Rilke, « Les Cahiers de Malte Laurids Brigge »

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