Ils chantaient et riaient fiers et fougueux
C’était un jour de février
Un beau matin ensoleillé
Ils agitaient leurs mains vers les cieux
Ce sont tes frères de guerre m’avez-vous dit
Les convois les emmènent
Un jour c’est toi qui entreras en scène
Moi je vous ai souri
La patrie aura besoin de toi
Tu seras digne de nos espoirs
Tu suivras le chemin de la gloire
Et sous les drapeaux tu serviras
Dans tes mains on mettra un fusil
De ce fusil tu prendras soin
Ta cible tu la viseras au loin
Tu ne manqueras jamais ton ennemi
Puis quand tu reviendras
D’avoir lutté sans frémir
Pour notre devenir
Puis quand tu reviendras…
Mais moi j’en ai vu qui revenaient
Qui jadis avaient chanté et ri
Et ils étaient maigres et gris
Ne riaient plus ni ne chantaient
Leurs gestes étaient lents
Leurs yeux morts fixaient l’horizon
Leurs mots étaient lourds comme le plomb
Étaient-ils seulement vivants ?
Ces frères de guerre ont hanté mes nuits
Comme des corneilles qui tournoient
S’abattent d’un coup et se noient
Dans les ruisseaux rougis
Dans mes songes j’ai rampé avec eux
Parmi les ténèbres entre les crucifiés
Les éventrés les amputés
Les innocents les malheureux
Ma main glacée agrippait fort
La crosse de mon fusil
Et je rêvais chaque nuit
Que mes doigts la serraient encore
Mais en vrai je vous l’assure
Il n’y avait plus de doigts
Ni doigts ni main ni bras
Oui cela, je vous le jure
Il n’y avait plus ni bras ni épaule
Mais à la place un grand trou
Étais-je donc devenu fou
Gisant là seul sous ce vieux saule ?
Ils ont hanté mes cauchemars
Les éventrés les amputés
Ceux qu’à la guerre on avait envoyés
Et qui sont revenus trop tard
Vous m’aviez dit quand ce sera ton tour
Tu verras tu oublieras ta peine
Il te faudra entrer en scène
Et nous attendrons ton retour
Mais de quelle peine parliez-vous ?
À ne pas voir ma démarche chancelante
À ne pas entendre ma voix tremblante
Étiez-vous aveugles ou sourds ?
N’avez-vous pas senti mon odeur
Mes tripes en bouillie
Mon haleine flétrie
Souffle putride de ma peur ?
Vous tous que je conspue
La guerre vous pouvez la tenir
Bien au chaud pour la resservir
Le traître vous salue
La guerre vous n’avez qu’à l’offrir
Aux despotes aux empereurs
Aux tyrans aux dictateurs
À ceux qui craignent de trahir
Même la corde au cou
Jamais je ne porterai le poids des armes
Jamais je ne porterai le poids des larmes
Je ne tomberai plus à genoux
Je n’aurai ni couronnes ni fleurs
Pas de médailles pas de discours
Pas de chants rythmés par les tambours
Ni de tombe gravée d’honneurs
Sans crainte je sortirai dans la lumière
Avec pour seul souhait
D’accueillir chaque aube qui naît
La tête haute le regard fier