Sous les drapeaux tu serviras

Françoise Pirart,

Ils chantaient et riaient fiers et fougueux

C’était un jour de février

Un beau matin ensoleillé

Ils agitaient leurs mains vers les cieux

 

Ce sont tes frères de guerre m’avez-vous dit

Les convois les emmènent

Un jour c’est toi qui entreras en scène

Moi je vous ai souri

La patrie aura besoin de toi

Tu seras digne de nos espoirs

Tu suivras le chemin de la gloire

Et sous les drapeaux tu serviras

 

Dans tes mains on mettra un fusil

De ce fusil tu prendras soin

Ta cible tu la viseras au loin

Tu ne manqueras jamais ton ennemi

 

Puis quand tu reviendras

D’avoir lutté sans frémir

Pour notre devenir

Puis quand tu reviendras…

 

Mais moi j’en ai vu qui revenaient

Qui jadis avaient chanté et ri

Et ils étaient maigres et gris

Ne riaient plus ni ne chantaient

 

Leurs gestes étaient lents

Leurs yeux morts fixaient l’horizon

Leurs mots étaient lourds comme le plomb

Étaient-ils seulement vivants ?

 

Ces frères de guerre ont hanté mes nuits

Comme des corneilles qui tournoient

S’abattent d’un coup et se noient

Dans les ruisseaux rougis

 

Dans mes songes j’ai rampé avec eux

Parmi les ténèbres entre les crucifiés

Les éventrés les amputés

Les innocents les malheureux

 

Ma main glacée agrippait fort

La crosse de mon fusil

Et je rêvais chaque nuit

Que mes doigts la serraient encore

 

Mais en vrai je vous l’assure

Il n’y avait plus de doigts

Ni doigts ni main ni bras

Oui cela, je vous le jure

 

Il n’y avait plus ni bras ni épaule

Mais à la place un grand trou

Étais-je donc devenu fou

Gisant là seul sous ce vieux saule ?

 

Ils ont hanté mes cauchemars

Les éventrés les amputés

Ceux qu’à la guerre on avait envoyés

Et qui sont revenus trop tard

 

Vous m’aviez dit quand ce sera ton tour

Tu verras tu oublieras ta peine

Il te faudra entrer en scène

Et nous attendrons ton retour

 

Mais de quelle peine parliez-vous ?

À ne pas voir ma démarche chancelante

À ne pas entendre ma voix tremblante

Étiez-vous aveugles ou sourds ?

 

N’avez-vous pas senti mon odeur

Mes tripes en bouillie

Mon haleine flétrie

Souffle putride de ma peur ?

 

Vous tous que je conspue

La guerre vous pouvez la tenir

Bien au chaud pour la resservir

Le traître vous salue

 

La guerre vous n’avez qu’à l’offrir

Aux despotes aux empereurs

Aux tyrans aux dictateurs

À ceux qui craignent de trahir

 

Même la corde au cou

Jamais je ne porterai le poids des armes

Jamais je ne porterai le poids des larmes

Je ne tomberai plus à genoux

 

Je n’aurai ni couronnes ni fleurs

Pas de médailles pas de discours

Pas de chants rythmés par les tambours

Ni de tombe gravée d’honneurs

 

Sans crainte je sortirai dans la lumière

Avec pour seul souhait

D’accueillir chaque aube qui naît

La tête haute le regard fier

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