Un rêve d’enfants

Philippe Jones,

Ils étaient cinq ou six au départ, une brique à la main. Le sol n’était pas stable, mais inégal, accidenté, or il s’agissait d’empiler les briques par rangs, les unes sur les autres, chacun à son tour et de les faire tenir sans mortier.

— C’est à toi, Raphaël… alors tu viens, tu joues ou tu ne joues pas ?

Raphaël paraissait absent, le GSM collé à l’oreille et branché sur ailleurs. Il était jeune, une quinzaine d’années, et animait le groupe.

— C’était Siegfried et Irmeline, ils voulaient savoir ce que l’on devenait. Je leur ai dit : nous construisons, venez nous rejoindre !

Grâce à de tels renforts, tout avançait plus vite, les soubassements semblaient déjà tenir. Bientôt se poserait le moyen d’accéder plus haut. Il fallait lutter, non pour accumuler, mais pour bâtir l’édifice auquel tous aspiraient.

La pluie, le vent, ces éléments dits naturels, ne collaboraient pas forcément, se révélaient même des adversaires dangereux, inattendus, délogeant une brique, tantôt à droite, tantôt à gauche. Le soleil même, après l’averse, provoquait des contractions de matières et, quelquefois, un éboulement. Mais, dans l’ensemble, on progressait, d’autant plus que le nombre des participants augmentait.

Et l’on chantait, le moral était bon. Certains avaient des briques, d’autres apportaient des cailloux, voire des morceaux de bois ou des cartons pliés, selon les possibilités de chacun, ou encore un conglomérat de sable et de papier mâché, mais l’envie était partagée, celle de profiter de tout et de l’ensemble.

Cahin-caha, cela marchait, cela tenait, quoique des divergences de conception se fassent jour. « Plus haut avec des ouvertures », disait l’un. « De l’équilibre », ajoutait-on. « De la hauteur, il faut savoir risquer », disait l’autre. Et l’on risquait, ne pas trop réfléchir, aller de l’avant. La structure devenait vigoureuse.

— On approche, s’écria Raphaël.

Le site devenait de plus en plus enchevêtré, dru, compact, les branches s’entrecroisaient. Tout menait à tout. Ils étaient tous d’accord, malgré l’une ou l’autre réserve, entre petits et grands, malgré la fatigue forcément inégale elle aussi, malgré des changements de régime, une mère craintive, un père pour qui l’autorité ne se discute pas.

Puis il y eut, soudain, un changement de climat et de saison. Les oiseaux se turent, le vent malmena les arbres, les nuages étaient là et l’orage vint occuper le ciel. La foudre se révéla dominante et tout s’écroula.

Était-ce un jeu ? Le plaisir de tout casser ? Raphaël et Siegfried se regardèrent sans voix. Ce n’est pas possible. Si l’on veut devenir, il faut tout recommencer.

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