Mi-juin. Le soleil frémit sur les feuilles. Dans l’air dérivent des graines à aigrette. Des merles se poursuivent. Le pinson multiplie ses refrains amoureux. Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux[1], leurs photos en couleur, les titres à la une, les reportages des envoyés spéciaux. Il y a l’actualité quotidienne. Ses tragédies dans l’odeur du café.
Ils te regardent. Graves. Silencieux. Jouer, chanter, rire, sourire : ils ne l’ont pas appris. Ils ont des yeux écarquillés, du ventre gonflé, des bras comme fétus fragiles. Ton obole les vaccine. Les sauve. Ils ne mourront que plus tard. De faim peut-être. Ou recroquevillés dans la soute d’un cargo clandestin.
Elles. Leur destin te frappe au ventre. Mutilées. Par celles qui répètent des gestes ancestraux. Un rituel injustifié. La blessure innommable. Elles, sanglantes, terrifiées. Conformes désormais. Pour l’étreinte soumise, la déchirure recommencée. Résignées. Voire prêtes à manier à leur tour, l’âge venu, une lame ou un tesson tranchant.
Affiches, slogans, défilés. Photos brandies : sourire bienveillant d’un vieux libérateur, acharnement insensé d’un despote. La violence est l’arme de ses hommes. Ils menacent, vocifèrent. Sèment la peur dans les villages. Emprisonnent, détruisent, tuent. Tels se soumettent, tels fuient vers les frontières. D’autres résistent. Entendra-t-on leur voix ? Les voisins se taisent ou sont absents.
Les prix grimpent. Du riz, du blé, du baril de pétrole. Chez les nantis, l’écart s’étend. Ceux-ci calculent, ceux-là dépensent. Loin, dans les pages « Monde », on se bat pour manger. On accuse. Les spéculateurs qui affament. Les moteurs dévoreurs de cultures. Un autre continent s’afflige. De l’obésité contagieuse. Des mannequins anorexiques. Près des rizières abîmées par le sel, ceux qui ont tout perdu recueillent l’eau de pluie.
Diminution de la couche d’ozone. Fonte de la banquise et recul des glaciers. Dans l’immense forêt, les tronçonneuses ronflent. De champs entiers naissent les céréales conçues en laboratoire. Les coraux blanchissent. Orangs-outans, gorilles, chimpanzés pourraient rejoindre les drontes mauriciens. Pour prévisions : cyclones, raz-de-marée, torrents de boue, terres pelées ou inondées. À long terme, formation de nouveaux Sahara.
Souviens-toi de tes leçons d’histoire. Épidémies de peste. Famines. Esclaves au temps des pyramides, bateaux négriers gagnant les Amériques. Les enfants mourant en bas âge et les femmes en couches. Relis ces pages. Invasions, conquêtes, massacres. Peuples décimés. Civilisations anéanties. Plus près de toi, l’extermination des porteurs de l’étoile.
Sous le soleil, les choses ont changé. L’ignorance n’a plus cours. Des voix dénoncent, confondent les coupables. Certains réchappent et meurent dans leur lit. Mais on sait. Que les personnes ont des droits. Que chacun peut jouer un rôle. Infime. Réel. Et que l’avenir, son souffle fragile, palpite aussi entre nos paumes.
[1] Guillaume Apollinaire, Zone (Alcools)