Cher JDD, salut et amitié,

Le salut, je te le dois depuis cette rue de l’Est à Bruxelles où, voici plus de vingt-cinq ans, tu me reçus avec la même curiosité amusée, la même gentillesse courtoise et le même regard radioscopique qu’aujourd’hui à Paris, où je puis, à mon tour, te recevoir tel qu’en toi-même…

L’amitié, elle, est venue toute seule. Mine de rien, sans en avoir l’air, alors que, sans elle, il n’y a rien du tout et surtout pas d’air. Elle est arrivée, en effet avec cette discrétion élégante, cet art de l’allusion et peut-être encore plus à travers quelques coups de gueule mémorables contre les consensus mous de notre société, qui les uns comme les autres et chacun au bon moment auront été ta marque et marquent notre respect. Dans cette preuve par le temps, dont tu exigeais de nous, tes complices objectifs, l’épreuve sans pardon, tu auras sans doute aussi « obligé » plusieurs générations d’écrivains à se regarder mieux dans le miroir sans complaisance de leurs œuvres. L’amitié donc au fil des jours et des années, par les chemins de la critique et de ta propre créativité, chemins que tu parcours encore avec l’énergie et l’air distrait, tantôt d’un dandy faussement désabusé, en Rouletabille des régions aventureuses et inconnues de l’écriture, tantôt en flambeur, toujours légèrement ivre, des punchs de tes coups de cœur.

Je sais ce qu’il faut d’obstination persuasive, de persévérance désintéressée pour garder une place pour la poésie, et même pour le théâtre, dans les divers médias, comme parmi les responsables culturels, dont si souvent

dépend leur survie éditoriale. Je veux, ici, témoigner de ton courage, et, dans le courage, de ta lucidité, jouant le long terme contre le court, pour sauver, aussi de lui-même, un art qui est censé mettre chaque jour le monde au monde, rendre l’homme à l’homme et se frayer un passage « vers le vrai, à travers les ténèbres du Beau ».

J’aime aussi cet humour qui te ferait dire dans l’éternité ce qu’après cinq ans de silence, pour cause de guerre mondiale, disait ce commentateur de la BBC « Comme je vous l’annonçais dans ma dernière émission… »

En dire plus serait de la complaisance, en dire moins une ingratitude et sans doute, dans le contexte actuel, une lâcheté de plus. Que cette lettre « serve » ou ne serve pas, n’est donc pas le propos. Que tu en prennes connaissance, d’une manière ou d’une autre, signifie pour qui te l’écrit une confiance dans l’avenir et dans la création, que sans toi il n’aurait pas et une reconnaissance, dans tous les sens du terme, du passé qui sans toi demeurerait sans objet.

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