La neige tombait sur Jérusalem, ce qui se produit toujours les années tristes. Mes bureaux étaient à Tel Aviv mais j’avais insisté pour habiter dans la capitale israélienne (un terme que je devais bannir de mon vocabulaire selon les directives de mon ministère qui tenait à ménager ses intérêts dans les pays arabes). Il faisait trop humide pour s’attarder dans les cafés. Fraîchement débarqué, je ne connaissais personne. Cela ne me pesait pas encore même si je ne me faisais guère d’illusion, un attaché culturel belge n’est pas le diplomate le plus courtisé. Grelottant, j’avais décidé de regagner mon minuscule appartement quand la publicité bariolée d’un cinéma attira mon attention. Une femme au visage angélique entourée d’étoiles sur un fond bleu. Greta Garbo ou Kim Basinger ? Peut-être même Miriam Makeba ! Le dessinateur devait être à sa première enseigne ! Le titre était en caractères hébreux. Les photos ne me rappelaient rien. Mais j’avais soudain une telle envie de cinéma qu’il n’y avait pas de film dont je n’aurais pu jouir, fût-ce le temps d’une séquence, dans l’état d’esprit où je me trouvais. Lire la suite


On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans…

Te souviens-tu, Jacques, quand tu récitais Rimbaud devant nous qui t’écoutions émerveillés, bouleversés ? Rimbaud ? Rien à faire de Rimbaud ! C’était toi qu’on entendait. Tu avais l’air d’improviser ces strophes magnifiques qui, sur papier, paraissaient démodées, étrangères, et, grâce à toi, exprimaient subitement nos mots, nos émotions. Lire la suite


Poutine s’en voulait. Il avait le sentiment de s’être très mal tiré de son entretien avec le roi Philippe. Il croyait avoir si soigneusement préparé cette visite. Mais tout avait foiré. Il aurait mieux fait de s’inspirer de Staline qui obligeait ses visiteurs à vider des bouteilles entières de vodka jusqu’à ce qu’ils roulent sous la table. Comme on lui avait dit que le roi des Belges ne touchait pas à l’alcool, il lui avait proposé de l’Ovomaltine. Mais, à voir la façon dont il tenait sa tasse, il avait compris que le roi n’avait pas apprécié son geste. Peut-être même avait-il cru qu’on se moquait de lui. Les grands hommes sont parfois si susceptibles. Le portrait du roi Léopold II qui avait été ostensiblement affiché à la Douma quand le roi Philippe avait été invité à la tribune n’avait pas eu autant l’effet espéré.

Depuis que la Belgique avait annexé la planète Mars, tout le monde se pressait à Bruxelles. Lire la suite


Il paraît que personne ne se prend plus pour Napoléon depuis au moins cinquante ans. C’est que m’a dit le docteur Rose l’autre jour à la consultation. Il avait l’air extrêmement sérieux.

Jadis, les asiles étaient encombrés de fous qui se prenaient pour Napoléon. Même en Angleterre — peut-être surtout en Angleterre. Mais la dernière guerre mondiale semble avoir mis fin à l’épidémie. Remarquez que Napoléon n’a pas été remplacé. Les quelques tentatives de ressusciter Hitler sont restées sans lendemain. Pas plus de succès pour Mussolini. Ni, bizarrement, pour Staline. Évidemment, le docteur Rose exige des patients qu’ils soient parfaitement rasés, visage, crâne. Sans un poil dès le lever. Or, comment reconnaître Staline sans sa monstrueuse moustache ? Lire la suite


L’histoire remonte à l’époque où, tu t’en souviens sans doute, une bande d’illuminés avait érigé un mur sur le rond-point Schuman, juste devant le siège de la Commission européenne. Un mur sur le modèle exact du mur des lamentations. Même disposition, même dimension, fabriqué avec les mêmes pierres importées spécialement d’Israël.

Profitant d’une nuit de pluie glacée, ils avaient travaillé sans que personne ne remarque leur manège. Avec l’aide très efficace de quelques maçons polonais (catholiques), comme l’enquête l’a montré plus tard. Lire la suite




 Cher Jerry Lewis,

Je compte parmi vos fans depuis le jour où j’ai mis les pieds pour la première fois dans un cinéma. Je vous ai toujours défendu contre mes copains qui méprisaient votre talent et se moquaient de vos grimaces, contre les  filles qui ne supportaient ni votre physique d’idiot ni votre voix de fausset (évidemment, elles se contentaient de la version française de vos films), contre les critiques et leurs sarcasmes (j’ai écrit une quarantaine de lettres de protestation dont une a même été publiée presque intégralement). J’ai encore quelque part une caisse de notes sur chacun de vos quarante-quatre films. Je les ai tous vus. De Ma Bonne Amie Irma jusqu’à Smörgastbord. Et votre silence me rend malheureux. Vingt ans déjà que vous avez déposé votre caméra (vous avez quitté la scène juste à la même époque que moi, étrange coïncidence, non?) Mais c’est fini tout ça, l’oubli, le mépris, les sarcasmes. Ecoutez ça, Jerry. J’ai un script formidable pour vous qui   marquera votre retour -et le mien. Votre consécration et un oscar pour couronner votre carrière -enfin. Il s’appelle L’Homme qui prenait le Messie pour une Lanterne. Lire la suite



Un soir, alors que je rentrais à la maison, mon fils se pré­cipita vers moi, en me demandant si j’avais vu la photo de l’autre côté de la rue. Il était si excité que je pris le temps de déposer ma serviette, d’enlever ma veste et de dénouer ma cra­vate. Quand il préparait une farce, selon un rituel immuable, le jeu consistait à accomplir les gestes routiniers pour lui donner l’impression. d’être tombé dans le panneau. Mais cette fois, Stan ne me laissa aucun répit. « Tu viens ? Tu viens ?  » Il me tira par le bras jusqu’à ce que je le suive à la fenêtre et, là, me désigna du doigt l’affichette collée sur la vitre des voisins, juste en face de nous. Elle représentait la tête d’un homme au regard désabusé qui s’efforçait de sourire à l’objectif mais, en vain. « Maman dit que c’est Johan De Brol  » me précisa mon fils, visiblement déçu de mon absence de réaction. « Alors, qu’est-ce qu’on fait, hein ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

Manifestement, il était prêt à tout. A chercher un kalachnikov et à transformer notre rue paisible en allée des sni­pers. Son doigt fixé au bout d’un bras tendu qui ne tremblait pas me mit mal à l’aise. Lire la suite