Bruxelles, le 11 septembre 2002

Cher Commissaire Maigret,

Je viens de faire une rencontre qui a mal tourné.

J’ai croisé le Capitaine Haddock dans une librairie du centre-ville, il lisait un livre sur les perroquets.

Je lui ai fait un petit bonjour, il a grommelé, puis il m’a serré la main très fort.

Je lui ai dit que je voulais aider ma copine Cacao à faire venir son papa d’Afrique, que je savais qu’il y avait été, et je lui dis qu’il serait un cœur s’il pouvait me renseigner.

Il m’a dit qu’il se faisait fort de m’aider, qu’il avait deux copains très calés et un ami détective très connu.

J’étais enchantée.

Il m’a invitée à continuer la conversation chez lui.

Je suis montée dans sa voiture.

Le Capitaine a beaucoup juré au volant.

J’ai raconté toute mon histoire pendant le trajet.

Nous sommes arrivés au Château de Moulinsart.

Le jardin n’est pas bien entretenu, et le château n’est pas chauffé.

Le Capitaine vit dans sa cuisine.

Je n’étais pas très à l’aise.

Il m’a servi un verre de whisky et s’est mis à me raconter ses déboires avec la Castafiore.

Je ne connais pas cette dame mais 20 ans après leur rupture, le Capitaine est encore furax.

Elle est venue profiter de son château pour prendre des vacances et puis elle l’a lâchement abandonné après avoir critiqué toute la décoration.

C’est pour cela qu’il a décidé de laisser pousser le lierre sous les ardoises, et de ne plus parler qu’à son perroquet.

Je n’ai malheureusement pas vu son perroquet, je n’ai pas osé demander.

Son perroquet est peut-être mort.

La nuit tombait, après deux verres de whisky, je voyais des boules de feux par la fenêtre et les verres explosaient un par un sur l’étagère de la cuisine.

Le Capitaine a crié « moule à gaufre, fer à friser et torchon cornichon ».

J’avais très peur.

Il m’a dit « Vous restez dormir, je n’ai pas envie de prendre le volant à cette heure-ci ».

« Je vais en ville demain, acheter des graines pour mon perroquet, je vous déposerais, maintenant il faut dormir ».

Il est monté dans le noir, je l’ai suivi jusqu’au grenier.

Comme il n’y avait ni rideaux ni vitres, la lune éclairait le matelas pourri et les toiles d’araignées gonflées de courants d’air.

Le Capitaine s’est déshabillé, il est très poilu.

Il s’est mis à se gratter les cheveux très fort, puis il m’a dit d’enlever ma culotte pour laisser respirer mon chat.

Je crois qu’il est obsédé par les animaux.

Je ne savais pas quoi faire, j’ai quand même obéi, puis je me suis mise dans les couvertures tellement j’avais froid.

Le Capitaine s’est endormi tout de suite, il a ronflé comme un ours.

Je n’ai pas osé siffler ni le pousser, il fait encore plus peur quand il dort.

J’ai pleuré dans la couverture moisie, mon enquête tournait au cauchemar.

Le matin, j’ai cherché ma culotte.

Le Capitaine suçait son pouce en la serrant dans son poing.

J’ai attendu longtemps qu’il se réveille, je me suis mise à tousser, j’étais gelée, le lierre dégoulinait sur les poutres et mangeait les ouvertures du toit.

J’ai fini par hurler parce que le soleil était enfin apparu.

Le Capitaine s’est dressé d’un bond.

Il s’est ceinturé dans une robe de chambre : « qu’est ce que vous foutez dans mon lit ? »

« Je ne veux plus de femme chez moi, j’ai assez souffert » !

Moi : « Je voudrais récupérer ma culotte » !

Lui : « Tentatrice, perverse narcissique, voilà ta culotte, va montrer tes fesses ailleurs, je ne mange plus de ce pain-là » !

Je me suis enfuie en pleurant, sans ma culotte.

J’ai fait du stop sans ma culotte.

Une gentille dame qui s’est déjà occupée de Babar m’a reconduite jusque chez moi.

Depuis j’ai un rhume inguérissable.

Martine

PS : Je voudrais aider ma copine Cacao à faire venir son papa.

*

Liège, le 15 septembre 2002

Ma chère Martine,

J’espère que tu n’as pas envoyé cette lettre à la police fédérale.

Tu sais maintenant la différence entre un homme habillé et un homme nu.

Le Capitaine ne t’aidera pas, il n’est pas compétent.

Il ne faut pas le juger mal, c’est un vieillard aigri, qui tourne en rond tout seul chez lui.

Comme beaucoup d’hommes seuls, il boit et parle à ses fantômes.

Il ne faut pas te confier à n’importe qui, moi-même je suis un ours à pipe qui fait peur aux petites filles.

Ce n’est pas parce que je suis célèbre que je suis gentil.

Tu dois apprendre à lire dans la foule, et à te déguiser si tu veux être efficace.

Utilise un pseudonyme, au début on fait des bourdes, inutile de les signer.

Je suis trop vieux pour t’aider, tâche de rencontrer des détectives en activité, moi j’ai raccroché.

Les réfugiés c’est une nouvelle spécialité.

Il y a sûrement des procédures.

Si tu veux vraiment aider ta copine Cacao, je te donne l’adresse d’un jeune confrère :

bobmoraneaventurier.com@ lignedirecte.afgha

on m’en a dit du bien.

Gom Gut

P.-S. : Si tu n’as pas envie de perdre ta culotte, ne l’enlève pas.

*

From : Martinecontreleracismeetlaxenophobie@petiteculotte.be

CC : « Revue Nègre » ORW.gsimenonjbaker@centenaire.be, gallimardpleiade@centenaire.fr, papadecacao@demandeurdasile.rdc

To : bobmoraneaventurier.com@lignedirecte.afgha

Cher Bob Morane,

Monsieur le Commissaire Maigret m’a beaucoup parlé de vous.

Selon lui, vous êtes le seul à pouvoir m’aider.

Je voudrais faire une surprise à mon amie Cacao qui n’a pas de nouvelles de son papa depuis la guerre du Rwanda.

Il n’est pas mort comme son oncle Séséko, il se cache dans la jungle et envoie des mails de détresse car il a peur d’aller en prison.

Je suis dans la même classe que Cacao et je la vois pleurer souvent.

Je voudrais le faire venir ici en Belgique.

Il paraît que vous savez comment procéder, je veux bien me déguiser pour vous aider à le chercher.

Monsieur Maigret m’a demandé de ne rien dire à la police.

Je suis libre tous les jours après l’école, sauf le mercredi, je vais à la danse.

Merci de me répondre vite, je voudrais faire un cadeau de Noël à Cacao.

Martine, le 15 septembre 2002

P.-S. : Si vous avez le temps, pourriez-vous demander au Capitaine Haddock de me renvoyer ma culotte, je n’ose pas la lui réclamer, il est un peu caractériel.

*

From : josephinebaker@monpayscestparis.fr

To : martinecontreleracismeetlaxenophobie@petiteculotte.be

Chère Martine,

J’apprends par mon ami Georges que tu veux aider ta copine Cacao à retrouver son papa. Si tu as des problèmes pour le loger quand il sera ici sans papiers, il peut venir dormir chez moi, j’ai une grande maison pleine de gens très sympathiques.

Fais-moi signe, dès qu’il arrive.

Joséphine B. le 16 septembre 2002

 

Re : martinecontreleracismeetlaxenophobie@petiteculotte.be

From : bobmoraneaventurier@lignedirecte.afgha

 

Kaboul, le 15 novembre 2002

Salut petite Martine,

Je suis confus d’avoir mis autant de temps pour répondre à ton mail.

J’ai cru que cette vieille canaille de Bill m’avait monté un bateau !

Je vais enfin m’extraire des ruines de Kaboul pour venir en Belgique, pays de tous les dangers !

Le commissaire Maigret qui fait actuellement une croisière aux îles Marquises avec son ami Jacques te fait dire qu’ils poireautent toute la journée devant une canne à pêche dans l’espoir d’accrocher un poisson-culotte.

Jacques croit savoir que le capitaine Haddock lance régulièrement des culottes sur la digue à Oostende ; il pose régulièrement pour les carnavals de James, ça l’occupe.

Revenons à ton amie Cacao, je veux bien aider son papa à venir en Belgique, mais il faudra jouer fin.

Si j’ai bien compris, il est toujours en Afrique, il devrait se débrouiller pour arriver en Europe, peu importe où, puis faire une demande d’asile politique et demander le regroupement familial en Belgique puisque sa fille y réside déjà.

Je lui conseille un vol Sabena, c’est une compagnie qui a une ligne régulière Bruxelles-Kinshasa.

Si elle a des problèmes pour trouver un ticket, j’ai une amie qui tient un resto chinois à la Bourse, Miss Lu.

Maintenant je te laisse, je dois faire mes adieux aux valeureux guerriers afghans, j’ai partagé trois ans de traque de cavités rocheuses en montagnes inaccessibles, la mitraille partout et les mines sous les pieds.

J’ai vraiment besoin de me reposer.

Je ne sais pas si j’aurais le temps de venir te voir à la sortie des classes, embrasse bien ta copine Cacao pour moi.

Bob

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