(Un enfant de 7 ans et sa maman)
— Maman, c’est quoi, c’est qui la Wallonie ?
Et la femme de rêver. De songer à des arbres, à une rivière, à une maison. Et aussi à une ville et à son fleuve. Et encore et surtout à un homme laissé là-bas. À un homme et à son langage, à son accent. À ses amours et à ses désamours. À son regard bleu et gris ciel, à sa peau dure comme une écorce, à l’eau de sa bouche et à ses tendresses.
Et la femme de rêver encore à ce lambeau de terre et de ciel et à cet homme dont elle n’était pas guérie. À ce « tout » situé très au nord d’elle-même dans un imaginaire à la fois précis et flou et qu’elle n’avait jamais pu « cadastrer » dans sa tête. C’est qu’il y a trop de pluies et de brouillards sur ces terres, pense-t- elle. Trop de silences et de rumeurs, de non-dits et de ressassements, d’humeurs taiseuses et de palabres, de cris et de jurons (ceux-ci fussent-ils beaux comme des poèmes).
— La Wallonie, répond enfin la femme, c’est une contrée au sud d’un petit pays qui n’existe pas ou à peine. Un espace bizarre.
Et comme si elle venait tout à coup de trouver :
— Je crois bien que c’est un fantasme !
— C’est quoi, un fantasme ?
— Comment dire ? Un rêve, un désir un peu fou, une illusion mais qui peut être plus vraie que la réalité, une réalité qui n’est pas comme les autres réalités et qui est d’un ailleurs pas comme les autres non plus, un ailleurs qui est ici et là-bas, collé à des nuages, à des visages.
— Maman, qu’est-ce que tu as ? Tu ne parles pas comme d’habitude !
— C’est que peut-être la région dont nous parlons n’est pas quelque chose ou quelqu’un auxquels on peut s’habituer. C’est quelque chose d’impossible, de fascinant, de rejetable, d’insensé, de magique… C’est quelque chose comme quelqu’un : ton père !
— Mais maman, tu t’énerves ?
— Le pays de ton père, c’est une merveilleuse tromperie, une belle tricherie avec le vent, avec les mots. Mais une tricherie qui dit et fait en même temps de la vérité.
— Je ne comprends pas.
— C’est bien ainsi. Il ne faut pas toujours tout comprendre. L’homme que j’ai aimé et que tu aimes est un homme très marqué par le pays où il vit, au bord de la Meuse, là où tu es né. Et sa terre est pour lui aussi importante qu’une femme et un enfant. Lui ne le sait peut-être pas, moi je le sais. Et sa terre est un pays où l’on n’arrive jamais, où l’on ne peut arriver si on n’y a d’abord jeté ses racines, si on ne lui a fait des promesses intenables, si on n’y a fait des serments impossibles.
— C’est pourquoi nous sommes partis ?
— Oui, peut-être. Pour aimer tout ça, que nous ne pouvions aimer sur place, qu’on ne peut aimer qu’à distance.
— Maman, tu parles comme dans un livre !
— Là où vit ton père, c’est aussi un livre. Un roman, une fiction.
— C’est quoi, une fiction ?
— Quelque chose d’inventé, avec des choses vraies ou possibles. Quelque chose de chimérique et de réel, qui vient de notre imagination et qui s’adresse à elle.
— Comme les histoires que tu me racontes le soir ? Mais alors, si je comprends bien, le pays de papa, c’est une histoire, un conte ? C’est donc « du vrai » ? Maman, je voudrais voyager dans le conte où je suis né. Je voudrais revoir tout ce qu’il y a dedans.
— Oui, c’est à revoir. Et à réinventer. Et d’abord à inventer. Un jour tu iras revoir ton père. Il inventera pour toi des choses dont tu n’as pas idée. Je ne sais pas quoi, mais tu verras, ce sera beau.
— Maman, c’est beau. Je m’en souviens déjà !