Au dédale démocrate

Philippe Jones,

Il pleut ou il ne pleut pas… pluit aut non pluit, pluit ergo non pluit… Un sophisme ? En français, il tiendrait d’un accent grave sur la notion de l’alternative, un accent sur le u, qui deviendrait alors un lieu d’ambiguïté. La bonne orthographe permet donc d’échapper au piège du sens, de couper les ailes à une errance de l’esprit. Il aime ou il n’aime pas…

Cette idée s’est imposée lors de sa visite au Centre des Affaires Civiles. Il devait prendre part à une cérémonie et s’était fait déposer devant le bâtiment central. Il pleuvait, la double porte s’ouvre devant lui, une autre double porte s’écarte, la première s’étant fermée sans bruit dans son dos.

Il se trouve dans un hall précédant un vaste escalier courbe, orné d’une sculpture en métal brillant qui accompagne, comme un végétal, le mouvement ascendant avec grâce et force à la fois. Un bel exemple d’œuvre intégrée.

Une hôtesse passant devant lui, il l’interpelle pour savoir, en lui montrant son invitation, où il doit se rendre. « Au premier à gauche, juste au-dessus de vous », répond-elle avec un sourire. Il monte et se trouve dans un espace, à nouveau ouvert dans toutes les directions, sous une imposante coupole vitrée qui clôt les étages supérieurs. Tout ici est monumental et, semble-t-il, insonorisé. Tapis plain, feutre, double ou triple vitrage épais. De gauche à droite, et d’avant en arrière, au-delà du centre de l’escalier, les gens se déplacent, un badge s’agitant au niveau du cœur.

À l’extrême droite, un large espace avec des sièges, une estrade et un micro, quelques personnes assises, une rangée de portemanteaux. Ce doit être là. Ayant vingt minutes d’avance, il se débarrasse et se dirige vers un fauteuil. Deux jeunes femmes se lèvent à son approche et lui demandent : « Can ive help you ? » « Je suis ici pour un colloque sur les fonctions éducatives et sociologiques de la littérature », répond-il. « Not here, nous occupés par exposition » et chacune, d’un geste gracieux, montre au mur une collection de graphiques. « Excusez-moi », dit-il. « Sony », répondent-elles avec un charmant sourire.

Il reprend son manteau, l’enfile et se rend vers l’autre côté de l’escalier où il aperçoit une hôtesse assise à son bureau. Il la questionne pour savoir où la réunion se tient. Elle n’en est pas informée, regarde l’invitation et va s’en enquérir. Elle téléphone, pose des questions dans une langue qui ressemble, par moments, à de l’anglais et lui dit avec un clair sourire : « Au troisième étage, où vous passez dans l’autre bâtiment face à celui-ci, les ascenseurs sont là, indique-t-elle, à votre gauche. »

Le troisième ressemble au premier, mais plus vaste encore, puisqu’il se prolonge par une annexe latéralement vitrée, large d’une quinzaine de mètres, et qui enjambe un espace vert, menant à un autre bâtiment de pareille ampleur, tout aussi animé, tout aussi silencieux, à l’exception des bribes de conversation qui vont et qui viennent, des gens de petit format, semble-t-il, dans ce grand espace qui s’ouvre sur des salles de commissions occupées par « les affaires agricoles » ou « les questions d’immigration » selon les panneaux disposés devant les portes.

Ce n’est donc pas ici. Il décide de retourner à l’entrée initiale. Chemin faisant, il comprend qu’il se promène, depuis près d’une demi-heure, dans un lieu où chacun porte une étiquette sauf lui, que personne ne lui a demandé ce qu’il fait là, ou ce qu’il cherche. Et la sécurité ? Serait-il un kamikaze, cela ferait de beaux dégâts !

Ceux qu’il croise sont sérieux, discutent à voix basse ; les isolés semblent soucieux et pressés. Seul un groupe d’hommes de couleur rit, en se tapant sur l’épaule. Dans l’ascenseur entrent deux cameramen, l’appareil en bandoulière, le badge au revers, qui disent « Dag » avec un sourire. « Dag », répond-il.

Au rez-de-chaussée, il rejoint l’entrée et trouve un huissier à qui il montre pour la xième fois son invitation. L’homme, avec un bon sourire, lui dit que l’entrée se fait de l’autre côté du bâtiment. Il sort donc, fait une cinquantaine de mètres et voit, légèrement en contrebas, une entrée plus modeste que celle qu’il avait choisie au départ. Là, une file de personnes, dont quelques visages connus, passent une à une par une lourde porte qu’il faut tenir à deux mains pour éviter qu’elle ne se referme.

Puis un hall étroit, à droite une cloison contre laquelle on s’entasse pour obtenir un badge, à gauche un passage à tourniquet par lequel on doit entrer. Il aime ou il n’aime pas… Il s’approche, décline son identité : « Je n’ai pas de badge à ce nom », entend-il. Il aime ou il n’aime pas… Il n’est plus très certain, hésite, fait demi-tour et s’en va.

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