Il était une fois un pays, véritable don béni du ciel, dont le sol recelait des réserves minérales en quantité innombrable. Ignorant l’existence de celles-ci, la population vivait de la manière la plus simple qui soit, se contentant de la cueillette, de la chasse, de la pêche et des cultures vivrières.

Un beau jour, un explorateur échoua dans cet Eldorado inconnu. Il avait du flair ! Il fit venir des prospecteurs, qui décelèrent presque partout des trésors. Du jour au lendemain, ce pays passa sous le joug colonial. Joug ? C’est ainsi que la colonisation a toujours été considérée, mais le colonisateur éradiqua l’esclavage, la lèpre, la maladie du sommeil et construisit, en plus d’hôpitaux et d’écoles, des routes et des chemins de fer. Belle occasion pour les bons pères à la longue soutane blanche et à la non moins longue barbe grise de faire leur apparition pour évangéliser les indigènes. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Heu… presque tout, car les frustrations ne peuvent jamais manquer lorsqu’on est colonisé.

Vint à souffler le vent des indépendances ! Les politiciens, issus de la classe de ceux qu’on appelait « les évolués » et dont les connaissances étaient encore rudimentaires, réclamèrent, au nom du peuple qui leur faisait confiance, l’indépendance immédiate, rejetant du revers de la main un plan qui leur était proposé pour une certaine période de préparation. C’était jouer avec le feu ! Le colonisateur connaissait-il ce proverbe prisé des autochtones : « Si un enfant veut jouer avec le feu, laisse-le faire ; quand il se brûlera il comprendra ! » ? L’enfant va, bien sûr, lâcher l’allumette qui lui a brûlé les doigts, mais il peut arriver qu’il brûle toute la maison en laissant tomber une bougie qu’il venait d’allumer !

Quelle euphorie le jour de la proclamation de l’indépendance ! Mais la joie fut de courte durée. Quatre jours plus tard seulement, des mutineries éclataient à travers toute la nouvelle République. Mutineries, tueries. Plusieurs civils tombèrent sous les balles. Ahuris, les gens se demandaient : « C’est ça, l’indépendance ? » Ils avaient déjà beaucoup moins d’assurance.

Onze jours plus tard seulement, une province faisait sécession. Il s’ensuivit des guerres tribales meurtrières et le refoulement de ceux qui n’étaient pas originaires du terroir. Peu après, une autre province s’autoproclamait État autonome. S’il fut facile à l’armée nationale de réprimer ces velléités d’autonomie, il fallut l’intervention de la communauté internationale pour mater, au bout de deux ans, la sécession, puis une dévastatrice rébellion. De plus en plus ahuris, les gens se demandaient : « C’est ça, l’indépendance ? » Ils étaient en train de perdre confiance.

Au bout de cinq ans, le premier coup d’État venait subitement surprendre la population. Néanmoins ce coup de force rétablit l’ordre, par un pur coup de chance. C’est sans trop de plainte qu’on l’accueillit, nourrissant un espoir qui, plus tard, fut détruit. Le pays disposait d’entreprises prospères, don de la colonisation. La monnaie était forte, et les infrastructures. Tout cela ne dura que l’espace d’un matin. Tout fut détruit par un esprit malin, et la démocratie fut remplacée par la dictature, qui eut tôt fait de l’effacer. On connaissait la paix, mais il y avait la faim qui menait au pays une guerre sans fin. Autre part les chômeurs percevaient leur salaire, mais ici les travailleurs percevaient leur misère, souffrant d’arriérés de salaires allant de plusieurs mois à plusieurs années ! On déplorait partout une corruption qui allait appauvrir toute la nation. Complètement ahuris, les gens se demandaient : « C’est ça, l’indépendance ? » Ils avaient fini par perdre confiance.

Tandis que la masse gémissait, le dictateur jubilait, se plaisant à dire qu’il ne devait rien au peuple mais que c’était le peuple qui lui devait tout. Il avait des thuriféraires, qui l’encensaient et qui lui prêtaient les plus glorieux attributs. C’était lui, le père de la nation, et il parlait, pince-sans-rire, du mariage entre lui et le peuple. C’était lui, le timonier, le guide éclairé et bien-aimé, qui faisait danser et chanter tout le monde pour lui, disant à qui voulait l’entendre (en riant certainement sous cape) : « Heureux le peuple qui chante et qui danse ! » Heureux en effet, le peuple qui chante et qui danse, affamé, sous le régime de la terreur, du parti unique, un parti inique !

Le despote devait aller encore plus loin, décidant que tout enfant qui naîtrait sur le territoire national serait, comme tous les adultes, d’office membre du parti-État. Bien entendu, la presse était muselée. Les arrestations, les assassinats des journalistes et des opposants (dont certains ligotés et jetés vivants dans le fleuve infesté de crocodiles) ne se comptaient plus. Les exécutions sommaires, sans jugement ou après une parodie de jugement, étaient monnaie courante. Liberté d’expression et d’opinion, droit de manifester ? Connais pas !

Les élections ? N’en parlons pas. C’étaient de véritables farces. Lui qui était toujours le candidat unique parvint même une fois à obtenir 99,9 % des suffrages ! Des scrutins sous haute surveillance militaire où l’on n’avait pas le choix, puisqu’il n’existait qu’un seul bulletin de vote. Prolongations de mandat, révisions intentionnelles de la Constitution, il ne se refusait rien pour se maintenir au pouvoir, dans un régime démocratique dictatorial… Lisant finalement les signes du temps, il procéda à des consultations populaires qui lui révélèrent son immense impopularité. C’est alors seulement qu’il autorisa l’instauration du multipartisme et la tenue d’une conférence nationale souveraine, dont il rejeta néanmoins les résolutions.

Ce n’est qu’au bout de trente-deux ans d’un règne sans partage que le tyran fut renversé par quelqu’un qui ne croyait qu’en la force des armes pour libérer le peuple. Les premiers moments de joie passés, on s’aperçut que le libérateur avait amené la chicotte, une chicotte peut-être plus redoutable que celle du colonisateur, que les partis politiques étaient interdits et que l’on ne pouvait s’exprimer qu’au sein de comités populaires mis en place par le nouvel homme fort !

Ce fut l’occasion d’une nouvelle guerre de « libération ». Des patriotes mécontents firent appel, comme lors de la première guerre, à des étrangers (ou acceptèrent l’offre de ces derniers), qui recrutèrent eux aussi des enfants-soldats et massacrèrent allègrement une partie de la population qu’ils prétendaient libérer. Un nouveau fléau venait de voir le jour : les viols massifs et répétitifs des femmes et les tueries, à l’arme blanche, de femmes même enceintes, d’hommes mais aussi de vieillards, d’enfants et même de bébés…

Le pays, mis à feu et à sang, était au bord de l’implosion, au bord de la balkanisation. Il fallut encore l’intervention de la communauté internationale pour éviter le pire et permettre l’organisation des premières élections dites démocratiques, libres et transparentes et… pleines de tricheries. Une campagne électorale mémorable à l’occasion des législatives ! On promettait aux gens monts et merveilles. On les faisait attendre pendant des heures avant de leur donner un peu de nourriture, un peu de boisson et/ou un tee-shirt et de la menue monnaie, et le tour était joué !

Que firent les « honorables » députés une fois élus ? Ils s’empressèrent de se moquer gentiment de leurs électeurs, certains allant jusqu’à soutenir que c’était grâce à leur argent qu’ils siégeaient au parlement ! Ils se défendirent bec et ongles pour obtenir les plus gros émoluments (6 000 dollars contre moins de 100 dollars pour un fonctionnaire de l’État)… Ils pouvaient dès lors rouler carrosse, le gouvernement leur ayant permis d’acheter, à crédit, des limousines de luxe, alors que le salaire d’un enseignant ne permettait pas à celui-ci de s’offrir une bicyclette. Ils pouvaient aller se faire soigner à l’étranger pour la moindre rage de dents, alors que mouraient par milliers ceux de leurs électeurs qui n’avaient pas les moyens d’acheter une simple plaquette d’antipaludéens. Ils pouvaient envoyer leurs enfants poursuivre leurs études à l’étranger sans se préoccuper de la constante baisse de la qualité de l’enseignement dans leur propre patrie. Le peuple ? Ils s’en souciaient comme de leur dernière paire de socquettes ! Un musicien de composer alors une chanson devenue célèbre où il fustigeait les parlementaires dormant lors des sessions ou levant la main aussi bien lorsqu’il fallait voter pour que lorsqu’il fallait voter contre ou s’abstenir !

S’il ne s’était agi que de cela ! On vit les députés élus des vastes circonscriptions électorales ravagées par les plus sauvages tueries du siècle ne pas bouger le petit doigt. On les vit exiger que la plénière convoquée enfin à ce sujet au bout de… dix ans, se tienne à huis clos, contrairement aux attentes de leurs compatriotes. On vit Messieurs les parlementaires laisser courir la mauvaise gestion et l’impunité. On les vit ne rien faire pour le financement de la poursuite du processus électoral, dont ils n’avaient cure, puisqu’ils pouvaient ainsi « rester en place »… jusqu’à l’installation des futures institutions qui seraient élues ! Par surcroît, ils déniaient aux opposants extraparlementaires le droit de parler au nom du peuple, puisqu’eux seuls avaient été élus par ce dernier. Mais quand la population se faisait massacrer en marchant pour manifester son ras-le-bol, ils se gardaient bien de hausser le ton. C’était plutôt l’étranger qui protestait à ce moment-là, se faisant toujours taxer alors d’ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain… Quant à l’opposition, elle avait fini par perdre son aura. Dès qu’il était question de briguer le poste de chef de l’État ou de premier ministre, ces politiciens ne dissimulaient plus leurs ambitions, leur égoïsme, et ils en arrivaient à s’opposer les uns aux autres. Tous, gouvernants et opposants, parlaient au nom du peuple, mais personne ne faisait rien pour ce dernier, qui n’était qu’un marchepied… sur les pieds duquel on marchait allègrement.

Dans ce beau pays, la démocratie c’était tout autre chose que le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple, incongrûment et pompeusement appelé « le souverain primaire ». Dans ce beau pays, le bilan des dirigeants était toujours (largement) positif, et toujours (scandaleusement) criante la misère des dirigés. Dans ce beau pays, les consultations populaires (et toutes les autres formes de dialogue national) n’étaient de mise que lorsqu’elles servaient le pouvoir, et les élections étaient toujours renvoyées aux calendes grecques. Dans ce beau pays, les référendums, c’était la bouée de sauvetage des autorités qui, même lorsqu’elles étaient aux abois, avaient néanmoins le pouvoir de truquer le vote et d’en proclamer les résultats… au nom du peuple qui, paraît-il, s’était exprimé !

« C’est ça, l’indépendance ? » se demandait encore et toujours ce peuple, constitué désormais de ceux dont les parents et les grands-parents, jadis, s’étaient posé la même question. Mais rien ne changeait… Tyrans et dictateurs se succédaient sans trêve, et l’avenir radieux ou tout simplement paisible dont chacun s’obstinait à rêver continuait de reculer…

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