Baraka ou Ourobouros ?

Marianne Gassel,

En voilà un qui est entré. Pas dans la petite Europe, mais dans la Grande Amérique. Mal placé/bien placé : nègre pour les blancs, blanc pour les nègres ; jolie couleur café au lait ; un pied de chaque côté de la barrière pigmentaire. Et il a osé. Il y a cru. Il est entré dans le cercle des sommités.

Aussi grâce à ce cher G.W. Bush qui, avec l’aide de ses précieux conseillers, a presque mis à genoux l’Amérique et le monde.

Grâce à lui, le peuple états-unien a voulu d’urgence trouver un chemin de traverse.

Ils ont appelé Barack.

Et lui, il a parlé juste. Sans peur. Oh, s’il te plaît, continue à parler comme ça ! Que ton verbe Soit, jusqu’à la transformation complète, jusqu’à la renaissance, voire à la seconde naissance de l’Humanité en laquelle l’essence de l’Humain s’épanouit en l’Homme baigné dans la baraka, resplendissant de Baraka…

La sortie, la trouvera-t-il, lui, celui qui porte le nom de Barack ? De son verbe, de son cœur, ouvrira-t-il les portes fermées ? Et, surtout, sera-t-il l’attireur de Baraka ? L’aspirera-t-il pour la répandre sur ses concitoyens ? Sur le monde ?

Cette entrée est-elle un ticket pour la sortie ?

Incarne-t-il le nom lumineux qu’il porte ? Son cœur est-il plein de Baraka ?

Et si son cœur est pur, vraiment, est-il celui qui répandra sur la planète, sur ce qui y vit, sur l’Humanité, la sève de la conscience humaine, de la conscience divine : la Baraka ?

Conquerra-t-il sa Liberté et, avec elle, la Liberté du monde ? Ou ne pourra-t-il être que le porte-drapeau d’un système de mort qui lutte pour sa propre survie ? Un système de serpent qui se mord la queue : qui veut dévorer le petit peuple, le presser comme un citron. Mais le citron est presque épuisé ; mais quand le citron sera vidé de sa chair, il n’y aura plus de jus et le serpent dépérira, comprenant peut-être enfin – trop tard – que c’est le monde qu’il a vidé. Et qu’il en était aussi, lui, du monde et qu’il s’est vidé lui-même.

Ou peut-être est-ce lui, Barack, qui incarne la lumière de cette compréhension ?

Voilà ce qui serait la Baraka. Voilà ce que beaucoup espèrent.

Mais peut-être qu’il ne s’agit là que d’illusion. Qu’il n’est en lait qu’un continuateur de la même politique sous un autre décor (comme, malheureusement, le laissent entendre d’autres paroles qu’il a prononcées). J’espère qu’il ne s’agit pas de cela : j’ai tant envie de rêver et d’espérer.

Quant à (re)construire la Baraka, pour plus de sûreté, je préfère envisager que nous la construisions nous-mêmes, chacun avec ses forces, chacun avec ses talents, chacun avec ses aspirations profondes… D’abord, a-t-elle déjà été construite ? Ou a-t-elle été, tout simplement, jusqu’à ce que nous les Humains, assoiffés de connaissances et d’expériences, nous la détruisions ?

Comme l’enfant qui démonte le réveil (ancien, bien sûr, mécanique) pour voir comment ça marche et puis le remonte en économisant des pièces… Mais hélas, avec ces économies, le réveil ne fonctionne plus.

Alors, comment réveiller le réveil ?

Retrouver les pièces qu’on a perdues lors de nos économies ?

Où sont-elles rangées ?

Ou bien faudrait-il les reconstruire ?

Et si on ne les retrouve pas ? Et si on a oublié le moule ?

Mais tiens ! On pourrait aussi les réinventer, les réarranger : on les disposerait autrement, on se permettrait d’oublier un peu qu’on n’est plus des gosses qui jouent aux Lego. Et on y jouerait, mais aux Lego de la vie. On les arrondirait, ces pièces. On les ferait toutes douces, à l’image de nos cœurs allégés par la Baraka.

Ce qui en sortirait pourrait être une nouvelle manière d’être. D’être avec soi-même, d’être avec les autres. On redonnerait droit de cité à l’aspiration dont l’Être est porteur.

Par exemple sur le plan du travail : quel sens cela a-t-il de travailler juste pour gagner sa vie ? Oui, celui de gagner sa vie, bien sûr. Mais n’est-ce pas faire injure à la vie ? Faire injure à ce qu’elle a déposé en nous comme trésors, que d’user de ses forces juste pour la gagner ?

N’oublions pas que le mot « travailler » vient du latin tripaliare qui signifie « torturer » au moyen d’un tripalium. Qui donc pourrait alors avoir vraiment envie de travailler ?

Et si, plutôt, on pouvait « œuvrer ». Le mot « œuvre » vient du latin opera… Nettement plus chantant, non ? Créer une œuvre, c’est créer quelque chose qui vient de qui on est… De notre intériorité. L’œuvre est un reflet de soi-même. Quel que soit le domaine dans lequel on œuvre, d’ailleurs.

Déjà, si là était l’enjeu : de pouvoir œuvrer, plutôt que travailler… C’est-à-dire découvrir et suivre sa vocation… Ce serait déjà beaucoup plus attrayant me semble-t-il.

Cela impliquerait, bien entendu, une autre vision de l’économie. Une vision dans laquelle chacun œuvrerait au profit de tous plutôt qu’au profit de quelques-uns qui accumulent les plus-values de tous.

Peut-être retrouverions-nous ainsi le goût des vertus que l’on a allègrement remplacé par celui des valeurs. Ces valeurs qui « valent » quelque chose dans ce monde de profit.

Mais pour en arriver là, l’économie se devrait d’être au service de l’homme plutôt que l’inverse, bien entendu.

Ce qui est facile à dire…

Et qui ne se laisse pas – parfois en toute bonne foi – enivrer par le pouvoir, par son impact moral sur la population, par la tentation de l’argent ?

Celui qui est, non seulement, un vrai Homme (au sens de « Humain », bien entendu), mais encore un Homme vrai.

Et cela ne peut qu’être le fruit d’une alchimie intérieure cause et conséquence, en cercle vertueux, d’un plus de conscience, d’un plus d’idéal, d’un plus d’humilité, d’un plus de joie d’accomplir l’œuvre.

Notre « démocratie », dit-on, serait devenue une « loi de la jungle ». Mais quelle insulte ! Quelle insulte à la jungle ! D’aucuns l’assimilent souvent à la « loi du plus fort ». Alors que la jungle, elle, obéit à des lois plus hautes que celle du plus fort, les lois de la vie. Sinon, ça fait belle lurette qu’il n’y aurait plus de jungle : les animaux les plus forts auraient en effet détruit les plus faibles, sans parler des végétaux.

Mais, rien de tel dans la jungle, bien au contraire, un savoir collectif y régule les lois de telle sorte que les espèces puissent y vivre en harmonie.

Et d’aucuns comparent – positivement – à cette régulation de la jungle celle de la loi du marché, estimant qu’elle joue ce même rôle régulateur. Mais là, je crois qu’il y a une confusion de genres : la loi du marché serait dans ce cas un dieu conscient qui gère et qui organise la vie des hommes.

Alors, la Baraka nouvelle préfère-t-elle bénir la loi de la jungle ou celle du marché ?

Je conclurai avec un enseignement du grand Cheikh Nasr Eddin, sorte de frère spirituel (dans les deux sens du terme) oriental de François Rabelais :

L’homme le plus riche de la ville tomba dans la rivière et, ne sachant pas nager, était en train de se noyer quand quelques habitants de la ville essayèrent de le sauver. Ils lui tendirent la main en lui demandant : « Donne-nous la main », mais sans succès. Arriva alors Nasr Eddin qui, Lui aussi, lui tendit la main mais en lui demandant : « Prends ma main ».

À l’étonnement des spectateurs, cette fois le noyé s’y agrippa et il fut sauvé.

Le Cheikh se tourna alors vers les autres sauveurs et leur dit : « Comment sauver quelqu’un sans connaître son âme ? »

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