Bollywood dreams : la fête est finie

Chantal Boedts,

« L’amour est un long voyage, Miss Univers, un siècle que je vous contemple sur une colline américaine, j’ai changé d’avis, de cœur, de pays.

Lu Portnoy, vu Godard, ravalé les dinosaures de Spielberg, la dernière tasse était la plus brûlante et pourtant je les aime chaudes.

Certaines musiques n’empruntent pas les mêmes octaves et le cerveau humain met parfois longtemps à déchiffrer des portées étrangères. »

American Productor referme son calepin, son Bic tinte sur le chrome de sa Ranger et va se perdre à jamais dans le foin des collines du Maharashtra.

Il a le ventre ballonné, la veille, à Bombay, il a longuement hésité entre l’Euro Pudding qui lui semblait trop coriace et l’Indian Khicdi aux saveurs de coco et d’épices.

Une vague, mêlée d’oppressante chaleur et de soleil vibrant, glucose de comédies d’amour fond sur lui irrémédiablement.

Ce soir, pleine lune, la queue leu leu des pianos Bugsby Berklay style croise une nuée de danseuses en sari et dans le tintement oriental de leurs parures multicolores il pressent craquer les permanentes platine Elnett.

Plus de Bic, plus de contrat à signer, dans la torpeur des plateaux hollywoodiens désertés pour la pause, American Productor décapsule un Indian Tonic, se réveiller…

Il aurait pu choisir Venise pour noyer sa rupture, la grande blonde lui avait arraché un premier rôle en décroisant parcimonieusement les jambes, laissant son cœur fripé de tétons avares et de croupes perpétuellement réglées dans un état semi-honteux mêlé d’ivresse malsaine.

Il faisait des rêves étranges qu’il auto-qualifiait de prémonitoires en ces temps socio-économiques incertains : dans la cour d’honneur d’un Palais des Papes qu’il connaissait par carte postale interposée, des artistes importants s’arrachaient des énormes touffes de cheveux, se dévoraient les doigts et mastiquaient avec colère des piles entières de programmes.

Une rumeur enflait sous la Voie lactée si lisible dans le nocturne de juillet, l’Ogre avait crunché les fils du téléphone, plus de dialogue !!!

L’effrayante créature était soulevée d’étranges spasmes intermittents provoquant une stupeur muette chez les journalistes du monde entier venus se récréer aux frais de l’exception culturelle française.

Lassés d’attendre la fin de ce curieux dérangement les artistes importants se mettaient à plier tréteaux et bagages sous l’œil oblique des aubergistes et limonadiers de la ville.

Le grand chef, Vieil Aigle d’Acier, prenait une pose forcée dans la cour d’honneur démontée, c’était son anniversaire et dans ces troubles circonstances personne n’avait pensé à lui offrir des petits fours et des bougies.

Pour se faire plaisir il ordonna un pique-nique géant qui dura plusieurs jours et plusieurs nuits, certains artistes moins importants et une foule hétéroclite se bousculèrent autour d’un buffet fin dernière, d’autres préférèrent chercher le diable pour lui tirer la queue et continuèrent leurs jeux dans leurs coins mal aérés devant un public rare mais concerné.

L’Ogre ruminait sans relâche ses kilomètres de câblage.

Il fit quelques pets salvateurs pour rétablir la circulation dans son cerveau : une idée transcendantale dénoua ses colites, après la digestion

du fil téléphonique, il achèverait ses agapes en croquant ce peuple braillard qui lui échauffait les oreilles et le portefeuille depuis trop longtemps.

Il les laissa s’engraisser, se vautrer, se fumer, s’étaler jusqu’à l’écœurement et alla faire un tour réparateur en péniche autour de l’île de la Barthelasse.

Il était isolé du monde depuis trop longtemps, revigoré par son nouveau câblage interne, il descendit triomphal sur les berges du Rhône, les pattes baguées d’or fin et de rutilants cabochons.

Après une courte balade, il s’effondra d’un coup devant une cabine de haute tension, trop d’air pur d’un coup, il avait dépassé les bornes.

American Productor se réveillait toujours à ce moment précis du rêve, le sens lui échappait mais il avait conscience de quelque chose de grave et d’imminent, il refermait les yeux pour ne plus voir.

Une balle lui traversait la tête, comme une petite pomme verte, il voyait deux raquettes de chaque côté du lit, Kim, Justine, elles frappaient fort et dur.

Il entendit un énorme tintamarre de pièces nickelées derrière la porte de sa chambre d’hôtel, enfin le jackpot à portée de main.

Il courut vers la porte, pas moyen de l’ouvrir, il s’acharna violent et rubicond d’avidité à en déboîter le chambranle ; une petite voix rude et hermétique lui rentra définitivement dans le crâne : « La fête est finie, la fête est finie… »

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