C’était il y a longtemps et loin d’ici. Quelque part dans les pas de l’Inca, entre Cajamarca, la ville où Atahualpa rencontra son destin espagnol, et Chiclayo, dont la seule gloire moderne est de se trouver en bordure de l’océan Pacifique.

Nous avions loué un de ces collectivos, antiques paquebots à quatre roues, survivants de l’industrie automobile yankee des années soixante, assurant les liaisons routières à condition de rassembler cinq voyageurs, chèvres et poules en sus. Ah, nous en avons vu du paysage ! Du beau, du grandiose, du sauvage, du tellurique, du désespéré, du prodigieux. Lire la suite


Amélie entre dans la pièce. Sa démarche serait presque sexy, ne serait-ce cette détestable et ostensible habitude de traîner les pieds. Elle salue d’un hochement sec les messieurs assis autour de la table ovale. Tasses de café, bouteilles d’eau plate. Celui qui préside sourit vaguement à la jeune femme. Les autres, sur le quant à soi. Ils sont de noir vêtus, chemise blanche impeccablement repassée.

Ils pensent : « Et c’est cette bonne femme, habillée comme Fifi Brindacier, qui va nous pondre notre campagne ? »

Reconnaissons que l’allure d’Amélie (ah, ce prénom précieusement désuet, qui trahit des parents nés à la fin des sixties !) peut chambouler le confort intellectuel de quadragénaires dont le souffle culturel n’a jamais franchi les portes des Conrad, Hilton et Marriott que dans le sens limousine-lobby. Lire la suite


Chez nous, on parlait peu des guerres. Mes parents avaient connu mille neuf cent quatorze et quarante. Ils en étaient sortis pavloviens. Bruit de bottes (Corée, Budapest…) : stockage de sucre et de pâtes. « Pour le reste, on se débrouillera. Comme en 14 et comme en 40, décrétait ma mère. Après tout, nous sommes toujours vivants, non ? ».

Vivants ? Pas tous. Il y avait François De Baerdemaeker, un des frères de ma grand-mère maternelle.

C’était en août 1954. Ostende. Les quarante ans du début de la Grande Guerre — en ce temps-là, il était très mal vu de dire la Grande Saloperie ; le Déserteur, réduit au silence, et Jacques Brel n’avait pas encore écrit Jaurès. Lire la suite


Je devrais commencer par l’histoire d’un homme jeune. Beau, évidemment. Apollon l’emporte toujours sur Quasimodo. La grâce d’un personnage tout juste post-adolescent séduit d’emblée le lecteur, me dit-on. Et je désire être lu.

Un peu de sueur perle sur sa poitrine. Subtilement hagard, comme on peut l’être après les délicieuses joutes de l’amour. Le délice partagé est chavirant. Épuisant. La femme soupire et gémit d’un souffle. « M’aimes-tu vraiment ? » Elle retrouve les accents précieux et minauderies du cinéma français, années trente — Suzy Delair, Micheline Presle, Danielle Darrieux. « M’aimes-tu vraiment ? », comme si cela induisait une réponse ! Lire la suite