An 2050. La belle génération que voici ! Vivace, révoltée au-delà de toutes déceptions. Sourde aux promesses éculées, opposant la sève aux tisanes. Sans la moindre pitié pour les conformismes. Acclamant le délitement de la société de l’émotion. Foin de l’instantanéité, du viscéral, des geignements suivis de la plus déroutante passivité.

Place à la raison ! Retour de la réflexion, de la philosophie en son essence, de l’érudition tonique, seul rempart contre la fascination des aventures guerrières terminées en regrets et repentirs. Lire la suite


Cela devait arriver. Tôt ou tard. Le livre devint suspect. Dans son opiniâtre détermination à trouver le coupable de l’épidémie dite du Coronavirus, la communauté scientifique avait désigné successivement le pangolin, les pittoresques coutumes alimentaires des Chinois, les mystérieux laboratoires de la même nationalité, les Chinois dans leur ensemble et leurs restaurants en particulier, des docteurs Folamour à l’éprouvette faustienne, des souches malintentionnées jouant les filles de l’air, les bistrots, l’air conditionné un peu trop laxiste à l’égard des pestes agressives, les boîtes aussi bien de nuit que d’emballage, les poignées de portes, le bisou, les postillons en transports en commun, les mains sales et pas seulement sartriennes, les crottes de nez abandonnées au hasard des escalators, le grand âge décidément emmerdeur, les facteurs et les lettres passées par toutes les mains, la monnaie papier, les pièces d’un cent, les opéras en mal de désinfection, les samedis et dimanches périlleux pour le petit commerce, les grands-messes en l’honneur de Jésus, Mahomet, Jéhovah et Greta, l’inconséquence du petit peuple, les salles de classe manquant de techniciennes de surface, les bananes importées, les touristes et l’artisanat exotique, les pianoteurs du smartphone, les bavards coincés du Wi-Fi, les enragés du distributeur de billets, les auteurs de dédicaces en page de garde, les robinets publics et privés, automobiles, trottinettes et vélos partagés, les gestes machinaux de la vie quotidienne – en somme, tout ce qui donnait l’illusion d’avancées majeures dans le mode de vie bâti par l’homo sapiens depuis qu’il avait quitté les cavernes et troqué chasse et cueillette pour la bombe atomique et les hypermarchés. Lire la suite


Tout soudain, cela se produisit. Comme une flamme déchirant les entrailles. La jeune fille n’en doutait point. Voici venu le moment. Elle se dirigea vers le centre du village, là où somnolait l’arbre sacré, le lien avec les ancêtres, ceux-là mêmes qui discourent avec les dieux.

Elle s’accroupit et les femmes comprirent. Elles vaquèrent aux travaux du jour, se gardant bien d’échanger des regards entendus. Toutes savaient. L’air grésillant de midi porta la chanson : Lire la suite


Il s’appelait Oscar (correction : c’est toujours son nom, étant encore de ce monde, au moment d’écrire ces lignes). Naissance, enfance, adolescence, âge adulte, déclin, vieillesse à Molenbeek-Saint-Jean, commune paisible connue à l’international, mais pas pour cette qualité. Lire la suite


L’autre jour, juste pour le fun, comme on dit aujourd’hui, j’ai pointé ma pomme, comme on disait autrefois, au Cygne, Grand Place. Clientèle select, additions purgatives, personnel faussement stylé, cuisine or et oripeaux. Pour l’arrivant inconnu, Dieu se transforme en maître d’hôtel. Constatation immédiate : il ne peut que vous regarder de haut. Toiser avec une feinte indifférence. L’œil évalue : longueur réglementaire du cheveu shampooiné, rasage de près et de frais, distinction stricte de la cravate, repassage imparfait de la chemise, origine chinoise ou italienne de sa popeline, le pli du pantalon, la qualité du cuir de chaussure. Les mains : ongles manucurés, dos lissé aux savons à l’huile d’argan, nourri aux huiles essentielles – le tout noyé dans un Niagara de points d’interrogation. Lire la suite


Je fête aujourd’hui mes 100 ans. Mais je ne l’avoue pas. Non par coquetterie, mais parce qu’il est d’usage de réclamer l’euthanasie à 80 ans, le jour où l’on quitte la vie active. Que de souvenirs accumulés depuis 1946 ! L’âge aidant, les souvenirs chaleureux submergent tout ce qui fut contraire ou affligeant. En ce moment, assis à la terrasse de « La Cyberauberge du Cheval blanc », je vois défiler des images de l’Expo 58. Il n’est pourtant pas si loin ce temps où nous ne portions pas de puce, résumant notre personnalité. Il y avait encore des serveuses prenant les commandes, passant un torchon sur la table, ramassant l’argent (encore une victime collatérale du progrès), l’amabilité généreuse. Aujourd’hui, il suffit de s’asseoir pour qu’un robot japonais vous apporte votre bière, après analyse de vos données, de vos préférences et de votre état d’esprit. Je n’ai jamais aimé la bière. Je le dis à la serveuse de plastique, de rouages et de clés USB et commande un jus d’orange. Elle se met en mode « perplexité », lance le programme « alternatives », cligne des yeux (comment s’habituer à ce ronflement suivi d’un clac, au moment du clin d’œil ?), dit « bien enregistré », emporte la bière et revient, porteuse d’un verre de jus d’oranges garanties bio et MAO (Mise À l’Orangeraie). Elle semble grogner, mais ce n’est que la mise en route de sa fonction vocale : Lire la suite


— C’est ici !

Tout visiteur de la ville de Prague se doit de parcourir l’ancien quartier juif, en quête des vestiges du ghetto, d’un personnage légendaire (Mordechaï Meisel, le généreux, ou Schime, le martyr silencieux, dont l’ombre rôde encore dans le fantôme de la ruelle Beleles) ou plus prosaïquement à la recherche d’une synagogue transformée en salle de concert.

À l’ombre de l’église hussite Saint-Nicolas, le café Kafka apparaît comme la guérite de Josefov, le secteur réservé autrefois aux Israélites. La rue Parizska vous mène tout droit à la synagogue Vieille-Nouvelle, repérable aux vertigineux versants de son toit.

— C’est bien ici ! Lire la suite


En avons-nous passé d’inoubliables moments, mon gentil lama, sur ce sommet pelé des Andes, au-dessus des nuages languissant dans les vallées, emprisonnés par les cirques montagneux…

Curieux de tout, tu es venu vers moi, au moment où je déboulais sur un sol rocailleux, chiche en végétation, le ciel glacé, le vent fantasque. Tu m’as dévisagé, tes longs cils papillonnant, puis tu as pris le galop. Désirais-tu une vue d’ensemble ? Lire la suite


Le 1er mars 2016 parut le numéro 351 de « Mickey Parade Géant », célébrant les 50 ans de ce périodique pour la jeunesse américanisée à la sauce Disney.

Ils étaient tous présents à la Une : Mickey Mouse, bien sûr, Donald Duck, Donald Junior et même le Fantôme Noir ! À la page 6 débutait la rétrospective du cinquantenaire, avec la reproduction de la première couverture, datée du 3 avril 1966. On y voit Mickey éclater d’un rire franc et joyeux, se découvrant dans un miroir, affublé d’une couronne sortie d’un conte de fées, sous le regard admiratif de son neveu Mitsou.

Comme ils ont l’air heureux, l’oncle et le souriceau ! Souriants, joyeux et naïfs. Quelle différence avec le Mickey, version 2016, moue batailleuse, rictus sans équivoque « Attends un peu que je m’occupe de toi, mon salaud, ça va être ta fête ». Le Fantôme Noir déroule la même hilarité grinçante et cynique, revenu de tout et prêt à tout. Présageant le pire. Lire la suite


« Attraper un chat noir dans l’obscurité est la chose la plus difficile qui soit. Surtout s’il n’est pas là ». À l’inverse de tout ce que nous consommons (sauf les kiwis, bien sûr, qui viennent du sud de la France), les proverbes chinois ne peuvent pas porter le label « made in China ». Souvent. À peu près tous les peuples de la terre ont inventé des proverbes chinois qui ont l’air presque chinois. Je ne connais pas l’origine de celui-ci, mais admettons qu’il remonte à Lao-Tseu, prodigieusement disert depuis son décès, six siècles avant l’ère commune.

Il se fait que je suis l’heureux compagnon d’un chat noir – on ne dit pas « propriétaire », les amateurs de félins me comprendront. Félix, son nom. J’ai voulu vérifier la pertinence de la maxime susmentionnée, d’autant plus qu’en plein jour Félix s’entend comme pas deux pour fuir les effusions et les tentatives de l’attraper. Lire la suite