La voisine a ses règles. Le jeu de Monopoly aussi. Le Code de la route impose les mêmes règles à toutes et tous. En 1628, René Descartes, préoccupé de la direction de notre esprit, a rédigé pour celui-ci des Règles. Il existe la Règle d’or, et la règle de calcul. L’écolier souligne en utilisant une règle. Les moines bénédictins observent la règle de saint Benoît. Mais observer n’est pas tout : ils appliquent la règle qu’ils observent. Toute assemblée a son R.O.I. : son Règlement d’Ordre Intérieur. La voisine est par ailleurs réglée comme du papier à musique. Régler la note. Régler son compte. Messieurs ! Réglons nos montres. Yes, Sir ! Tout est réglo. Régulé. Réglé. Tout dans le monde, depuis les planètes qui se meuvent, jusqu’aux étoiles qui fixement nous pointent de leurs milliards d’yeux, tout est naturellement réglé. Lire la suite


Il s’efforce de ne pas manifester son impatience, de demeurer immobile, calé dans son siège. Il crispe à plusieurs reprises le poing droit et sent ses muscles se tendre. Tout se passera bien. Il se sait prêt. Il a choisi avec soin le moindre mot. « Rendre » traduisait-il sa pensée ? « Contrat » est trop fort. « Engagement » est préférable, il recouvre une sorte de dynamique, avec un appel à la cohésion, à l’unité. C’est très bon ça, l’unité. Et à l’oreille, la phrase est plus belle avec « engagement ». « Contrat » est trop brutal, trop bref. Ou alors, il aurait dû utiliser « contrat » au début, et amener « engagement » à la fin. Pour conclure…

Le moteur de la Citroën ronronne. Son jeune collaborateur, Pierre, est dans la librairie, seule devanture éclairée à cette heure matinale. Il en sort, ouvre la portière et lui remet ses journaux quotidiens. « Merci. Pierre, téléphone à Patrick et dis-lui de supprimer à la deuxième page « engagement », et de le remplacer par « contrat ». Et qu’il fasse l’inverse à la fin du texte ! »

Le congrès est annoncé dans chaque quotidien par un article de réflexion. « Conneries ! se dit-il, ils n’ont rien vu venir ! » Son téléphone portable sonne. Lire la suite


Mante est une jolie jeune femme. Elle est moderne — ce qui, il est vrai, ne signifie pas grand-chose. Elle pratique des sports sudatifs, comme courir en rue, soulever des poids, faire des abdominaux. Seule, ou avec le club féminin Beauté et Joie. Contrairement à ce que laisse entendre son prénom, elle n’est guère attirée par la religion. Aussi évite-t-elle le moment de prière qui ouvre chaque heure d’activités physiques organisées par le club. Personne ne le lui reproche. Malgré l’engagement catholique de Beauté et Joie, ses deux animatrices principales acceptent que Mante, on ne sait pourquoi, en soit dispensée. Lire la suite


Margot n’a qu’un œil. Un accident de voiture quand elle était enfant. Chaque homme qui l’a tenue dans ses bras a souhaité soulever le bandeau dissimulant l’œil énucléé. Elle a parfois laissé faire. Tous ont voulu. Sauf Pol.

Il était entré un midi dans le restaurant où elle servait les plats du jour. Elle ne remarqua pas tout de suite qu’il observait ses allées et venues à travers la salle. Quand elle s’était avancée pour débarrasser les restes du repas, il n’y avait pour ainsi dire pas touché.

— Cela ne vous a pas plu ?

— Si, mais je n’ai pas très faim.

— Désirez-vous autre chose ? Un café ?

— Je peux vous demander comment vous vous appelez ?

— Pourquoi ? Vous voulez vous plaindre de moi auprès du patron ?… Je m’appelle Margot. Lire la suite


Sans grand risque de me tromper, je crois qu’il est permis d’affirmer que ma conduite, durant près de trente-neuf ans, fut, si pas irréprochable, du moins largement acceptable. Enfant craintif, je fus un fils aimant, un élève consciencieux, un étudiant doué, un fiancé risible, un mari attentionné et un père exigeant mais juste. Cela est vérifiable pour une part aux archives de l’État, pour une autre part parmi les souvenirs de la famille Fernémont, si tant est que ces souvenirs soient un jour réunis et accessibles au public.

Excepté une déplorable tendance à la colère, mon entourage n’a guère eu à se plaindre de moi. J’ai le sentiment de m’être la plupart du temps effacé devant les autres, de m’être plié à leurs exigences de vie, d’avoir beaucoup travaillé pour favoriser leur existence. Non vraiment, je ne vois que ces colères périodiques, injustifiées, soudaines, puissantes, difficiles à endiguer qui aient pu annoncer comment, en quelques semaines, je suis devenu tel que vous faites aujourd’hui ma connaissance. Lire la suite


 

Un événement, on y entre de plusieurs côtés et pas toujours en même temps. Si plus tard on l’évoque, il se dérobe et fait mélange. Vrai, faux, souvenir et invention se coalisent à notre insu, au fond de nous-même pour, de temps à autre, remonter à la vie.

La session parlementaire touchait à sa fin. Une ambiance diffuse de vacances parcourait l’hémicycle tandis que les débats s’acheminaient vers les votes. Chacun y allait d’une dernière intervention. Pour ma part, je venais de rappeler à la tribune les motivations des lois de régionalisation. De retour à mon banc, je me répétais, comme souvent après un discours, des bribes de phrases : la loi unique… la grande grève… l’hiver 60-61… la trahison du cardinal Van Roey… la FGTB wallonne… Lire la suite