Cavaglieri pleurait. Cette masse noire prostrée contre ce mur blanc, c’était lui, le ténor, le maestro, celui qui faisait frissonner le public, de l’Albert Hall à la Scala, lorsque sa voix s’élevait comme un envol d’anges. Qui l’aurait reconnu, dans cette ruelle de Biarritz, inondée de soleil, où rien ne venait troubler le silence ? Rien ? Il y avait bien le chant de cette gamine. Une sorte de comptine enjouée que la fillette fredonnait d’une voix aiguë. L’enfant devait se trouver de l’autre côté du mur, dans le parc de cette superbe villa dont on ne voyait que les toits. C’était un rire plus qu’une mélodie. Pas de quoi susciter des larmes chez un professionnel du bel canto, vraiment. Et puis, un costaud comme lui, dans la force de l’âge… Il devait avoir la boisson triste. Oui, c’est cela, il avait dû forcer sur la grappa.

Cavaglieri pleurait mais il n’avait pas bu une goutte d’alcool. D’ailleurs, il n’était pas midi et le ténor ne buvait guère, à part un verre de Brunello à table, de temps à autre. Et puis, pleurer était un bien grand mot pour cette larme pas encore née qui n’avait toujours pas débordé de ses yeux. Lire la suite


Une nuit insolite, impromptue, vient de surgir au cœur du jour. La lune, qui un instant avant se tenait invisible, a jailli en plein ciel, toute de noir, de hâte et de puissance armée. La mer était si paisiblement lisse qu’à peine ourlait-elle les falaises d’un friselis d’écume. Dans la brume, au large, les navires lointains devenaient noirs. Tonalités du paysage : du brun au bronze, ciel abrupt, nuages bas, sol de perle aux ombres nacrées et aux reflets mauves. La silhouette d’un homme se profila ; simultanément des milliers. Il y en avait bien des milliers. La lune émergeait de la mer : c’était la vieille lune que la brume vêtait mi de soie noire et mi de blanche. La mer jusqu’à l’approche de ses limites est une chose simple qui se répète flot par flot. Le vent strie la grande vague de petites vagues obliques. La peau de la grande houle fondamentale est ridée régulièrement par la cause superficielle de la brise, qui irrite légèrement la surface ; et la puissante forme de provenance lointaine se complique, devient une masse à facettes, une figure solide cristalline en transformation incessante, d’où émane la rumeur d’une matière en ébullition par l’infinie quantité de cris intimes, de déchirements et froissements, de plissements et de mélanges entre les eaux. La mer est une épée innombrable et une plénitude de pauvreté. Au-dessus du cap stérile et sablonneux, à l’endroit où la rivière se jette dans la mer, un promontoire, ou falaise, se dresse à pic à des centaines de pieds pour former le dernier avant-poste de terre. Lire la suite