Avec Jacques De Decker, nous avons décidé de publier des fragments du récit auquel Alain Dartevelle consacrait les moments dépourvus de souffrance lors de ses séjours en hôpital. Comme dans les nouvelles rassemblées dans le denier recueil qu’il a publié (Dans les griffes du Doudou, chez Ker), nous retrouvons ici l’humour et le sens de la dérision dont Dartevelle, avec élégance, revêtait la noirceur et la petitesse de ce qui l’accablait.
En guise d’hommage au nouvelliste fidèle à la revue Marginales, il nous a semblé indispensable de faire figurer, une dernière fois, son nom au sommaire de la revue qu’il nourrissait d’un talent singulier qui nous manquera désormais. Ce texte est précédé d’un hommage que j’avais souhaité rendre aux obsèques, très discrètes, de l’écrivain montois et dont une version intégrale a paru dans Le Carnet et les Instants.
Ce que je sais d’Alain Dartevelle est à l’image de sa personnalité littéraire, la seule facette que j’aie eu le privilège de connaître. Comme ces cristaux que l’on découvre en ouvrant la gangue des minéraux, les éclats étaient à la fois multiples, entremêlés et scintillants.
Avec Alain Dartevelle j’ai approché l’homme engagé, membre du Conseil d’Administration de PEN Belgique depuis de nombreuses années avant que je ne sois élu à sa présidence en 2016. Il a toujours été à l’écoute des initiatives que nous menions : défendre le droit à la liberté d’expression et promouvoir la littérature sous toutes ses formes et tous supports. Disponible à chacune des sollicitations que je lui adressais, dès que son intelligence, sa sagesse et sa justesse de perception me devenaient d’indispensables balises avant un engagement dans les chemins escarpés de la défense des libertés fondamentales et de la dignité des artistes.
Avec Alain Dartevelle j’ai aimé l’écrivain sensible et fécond (une dizaine de romans à son actif, de multiples nouvelles et récits, des recensions et articles critiques) à travers l’une ou l’autre interview que j’avais eu le bonheur de réaliser, jusqu’à la dernière de celles-ci, enregistrée dans sa chambre à l’hôpital Érasme lors de ma dernière rencontre avec lui. J’avais dû reporter le premier rendez-vous que nous avions pris, privilégiant idiotement l’urgence de je ne sais plus quelle affaire, à l’importance qu’il attachait à cet enregistrement, qui eut lieu une semaine plus tard. Alain Dartevelle m’avait entre-temps appelé pour me dire son inquiétude quant aux effets sur sa voix des chimiothérapies qui lui étaient administrées. Il ajouta : « Et puis, le temps risque de nous manquer… ». Je me suis précipité alors pour enregistrer ce qui s’avéra être un dernier entretien.
Avec Alain Dartevelle j’ai découvert, chaque trimestre, un nouvelliste inspiré et original répondant à l’invitation de la revue Marginales qu’adresse son directeur Jacques De Decker à chaque saison nouvelle depuis près de vingt années. Il ne sera plus là pour composer une de ces fictions qu’il ciselait à chacune des livraisons de la revue. Dans le prochain numéro, dont le thème évoquera deux autres grands disparus de cette semaine, nous manqueront les pages qu’il n’aurait pas manqué de composer à propos de ceux dont se préparent fébrilement les funérailles parisiennes.
Au nom de PEN Belgique, au nom de la revue Marginales et au nom de cette fraternité généreuse dont il avait tissé des liens fertiles avec celles et ceux qui ont eu, comme moi, le privilège de croiser sa route, je forme le vœu que les manuscrits auxquels il voulait consacrer la liberté que lui octroyait la retraite et les romans et nouvelles qui constituent sa bibliographie trouvent de nouveaux lecteurs que méritent son œuvre et son art.