Ces Îles lointaines

Roger Foulon,

Voici vingt ans, il s’était envolé pour l’Indonésie avec un petit groupe de touristes. Il avait toujours rêvé de découvrir ces îles lointaines qui, durant son enfance et son adolescence, le fascinaient. Un voyage en Boeing 747 au départ de Paris. Des escales en Arabie, à Abu Dhabi, puis à Singapour et, enfin, l’arrivée à Jakarta. Que de souvenirs ! Et voici qu’en cette fin 2004, un tsunami venait de labourer toute la région, balayant des plages, des espaces, des pays qu’il avait découverts, ne serait-ce que par le hublot de l’avion. À cette nouvelle, il avait éprouvé un grand choc car, en fait, c’était un peu de son passé que le raz-de-marée avait, en quelques instants, complètement saccagé.

Certes, il n’avait vu ni la Thaïlande, ni le Sri Lanka, pas plus que la Malaisie ni le Bangladesh : mais ces sonorités d’Extrême-Orient éveillaient en lui, en écho, d’autres îles de là-bas qu’il avait abordées : Bali et Sulawesi, par exemple.

Les victimes que la télévision et les journaux révélaient au monde ressemblaient, à n’en pas douter, aux gens qu’il avait côtoyés avec un émerveillement chaque jour renouvelé.

Lors de ces lointains voyages – à l’époque, il en effectuait au moins trois chaque année – il avait pris l’habitude d’écrire, in situ, l’un ou l’autre poème, imitant ceux qui, pratiquant le dessin, prennent plaisir à revenir chez eux avec un carnet plein de croquis ou de pochades bien enlevées.

Aussitôt connue la catastrophe, il reprit ses menus textes griffonnés là-bas, aux antipodes. Il les relut avec beaucoup d’émotion. Les uns évoquaient les abords de Borobudur, d’autres parlaient d’un marché d’oiseaux à Jogjakarta, d’un artisan au pays des Torajas. Il retrouva avec contentement ces phrases que lui avaient inspirées les rizières de Bali et, surtout, une scène observée un soir, sur une plage complètement déserte à quelque distance de son hôtel. Il les murmura à plusieurs reprises.

À Bali, dieu, que les femmes sont belles !

Mais ce n’était pas ici la beauté

Qu’on voyait, de la femme, sur le sable.

Face à la mer qui parte, à l’infini

Qui fomente sans fin notre désir

De savoir, de comprendre, d’expliquer

Elle avait traversé la plage, seule.

Pour déposer simplement son offrande

(Quelques fleurs, un peu de riz, de l’encens)

Face aux vagues qui respiraient dans l’ombre.

Et le parfum brûlait près des pétales

Comme une luciole un soir de mai.

Et voici que, malgré son offrande, le dieu omniprésent qu’on avait voulu invoquer venait, dans une étrange fureur, de détruire, si pas la plage de Bali, d’autres rivages, d’autres lieux où, jusqu’ici, la joie régnait, où la vie apportait aux êtres félicité et contentement.

Alors s’abîma ce grand bonheur qu’il portait en lui, envers et contre tout. Qui pouvait affirmer que des cataclysmes aussi terribles n’allaient pas venir, bientôt, ravager d’autres endroits de la planète ? Qui oserait assurer que des apprentis sorciers ne déclencheraient pas un jour par leurs découvertes mal contrôlées des séismes plus meurtriers ? Ne voyait-on pas, un peu partout, des puissances refusant d’appliquer les directives proposées à Kyoto ou ailleurs ?

Durant des jours et des jours, il fut perturbé grandement. Il ne retrouva un peu de quiétude qu’en relisant un autre poème écrit en ces temps près d’un temple hindou à Besarik, un sanctuaire envahi par une foule de fidèles. Il parlait de confiance et de paix…

Qui prie-t-on ? Qui accepte le don

De ces présents que la ferveur invente ?

Où habite Celui dont la clémence

Est sans fin demandée ? Existe-t-il ?

Sous quelle forme ? Et pour nous, étrangers.

A-t-il quelque rigueur ? Ou sa bonté

Est-elle semblable pour tout le monde ?

Fleurs, fruits, parfums ne sont que des paroles

Que ceux d’ici, sans savoir, balbutient.

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