Et si la Terre perdait la boule ?

Alain Bosquet de Thoran,

Deux personnages sont assis sur un banc, dans un square.

L’un : Que pensez-vous de la catastrophe humanitaire en Asie ?

L’autre : Qu’elle n’est pas humanitaire, mais humaine… Excusez-moi de faire cette précision : c’est une faute à laquelle les médias nous ont hélas habitués.

L’un : C’est l’aide qui est humanitaire, évidemment. Toujours est-il qu’une semaine après, on est encore loin de connaître le nombre des victimes, même approximatif, étant donné l’étendue du phénomène. On parle déjà d’une des catastrophes majeures de l’Histoire…

l’autre, qui feuillette Le Monde : Voyez cet article, signé par Paul Tappenier, directeur du laboratoire de tectonique à l’Institut de physique du globe de Paris. Il s’intitule « Tsunami : je savais tout, je ne savais rien. » L’un : Voilà un expert doté d’une qualité rare : l’humilité.

L’autre : Tout à fait, et il confesse : « Si j’avais été en position de contempler le rivage et de voir la mer se retirer vite et loin de la ligne du ressac habituelle, j’aurais immédiatement pensé : raz de marée… Aurais-je réagi avec la rapidité nécessaire ? Mais quelle rapidité ? Et suivant l’endroit, comment réagir ? Rares sont ceux d’entre nous qui ont vécu ou observé un raz de marée. Je dois confesser que je n’en avais qu’une idée très incomplète… Ce terme français (courant de marée) rend précisément compte du phénomène. On pourrait aussi dire « crue de mer ». Pendant d’interminables minutes, dans un sens puis dans l’autre, les débris massifs charriés par cette crue torrentielle s’entrechoquent, détruisent, blessent et tuent ».

L’un : On vient d’en avoir la tragique illustration sur l’un des films d’amateur ; un immense chaos…

L’autre : Chaos, c’est le terme, tant sur plan des dégâts que sur celui de l’aide, malheureusement… Et Paul Tappenier souligne ensuite : « D’autres cataclysmes sismiques, sans doute encore plus graves, frapperont l’humanité avant la fin de ce siècle ».

L’un : Toute la terre a frémi : les sismographes du monde entier l’ont enregistré.

L’autre, qui dépose son journal : …Trop tard, c’est le propre des tremblements de terre. Nous sommes encore impuissants à les prévoir sur un laps de temps suffisamment court pour donner l’alerte. Songez qu’Istanbul est sur une zone sismique avec quelque 12 millions d’habitants dont bon nombre dans des masures branlantes ou des immeubles construits comme des châteaux de cartes !

L’un : Depuis l’Antiquité, l’homme sait qu’il est impuissant face à la nature… Pensons à Pompéi. Et le dieu du feu, Vulcain était le fils de Jupiter et Junon, c’est dire son pouvoir. Il avait même épousé Vénus, en dépit de sa laideur. Il fournissait la foudre à son père, et avait ses forges sous l’Etna, qu’entretenaient les Cyclopes. Un tremblement de terre était sans doute la pire frayeur qu’aient dû connaître nos ancêtres, depuis que l’homme existe.

L’autre : Vous ne manquez pas de connaissances !

L’un : Je lis beaucoup, et retiens un peu.

L’autre, après un instant d’hésitation : Vous allez peut-être m’aider… voilà. Je suis écrivain, et je suis sollicité par la revue Marginales pour écrire un article ayant le drame que connaît l’Asie en toile de fond, si je puis dire. Et je suis en panne d’inspiration…

L’un : Je comprends maintenant votre intérêt pour l’article de Tappenier ! Vous ne pouvez pas le reproduire en entier ! Mais vous inversez les rôles… en principe les lecteurs ont moins d’imagination que les écrivains ! Mais voici une piste : imaginons (permettez qu’en l’occurrence je dise « nous ») que la terre se redresse sur son axe, suite à un tremblement de terre colossal. Que se passerait-il ?

L’écrivain : Euh… vous me prenez au dépourvu … il n’y aurait plus de saisons, plus d’alternance. On aurait un temps atmosphérique perpétuel, du plus chaud au plus froid, de l’équateur aux pôles. On peut conjecturer d’immenses migrations des populations vers les latitudes tempérées… Un bouleversement du régime des pluies… À coup sûr, une catastrophe majeure à terme…

Le lecteur : Il y a pire. Imaginons maintenant qu’elle se mette à tourner autour du soleil comme la lune autour de la terre ; en présentant toujours la même face, c’est-à-dire en tournant sur elle-même en un an plutôt qu’en 24 heures.

L’écrivain : Pire, en effet : il y aurait une face perpétuellement ensoleillée, et l’autre perpétuellement à l’ombre. Cuire ou geler : tel serait le sort de l’humanité… il y aurait foule à la frontière, entre aube et crépuscule perpétuels, sans doute sous d’effroyables tempêtes ! Du côté soleil, il n’y aurait bien vite plus d’eau.

Le lecteur : On irait chercher de la glace de l’autre côté, et à la couronne il y aurait une bande plus tempérée, d’une soixantaine de kilomètres de large seulement.

L’écrivain : Pourquoi soixante kilomètres ?

Le lecteur : Parce que trente kilomètres est la limite visible de l’horizon. Oui, vous imaginez les bagarres sur cet espace restreint entre les habitants des deux faces. Les uns pour se rafraîchir, les autres pour se réchauffer !

L’écrivain : Et vous ne tenez même pas compte de ce qui arrive à l’atmosphère dans notre cas de figure.

Le lecteur : En effet, ça se complique … imaginons plutôt que la terre se mette à tourner dans l’autre sens… pour faire plus simple. Elle s’arrête un instant, reste immobile sur les douze coups de midi, puis repart en arrière…

L’écrivain : …Si l’on peut dire. Chaque minute de décompte donnerait la fallacieuse impression de rajeunir. On se retrouverait le matin, puis la veille…

Le lecteur : Ce ne serait qu’une impression de courte durée, car le temps continuerait bel et bien d’avancer, et nous de vieillir. Spectacle étrange, en effet de voir le soleil se lever à l’ouest, et se coucher à l’est.

L’écrivain : combien de temps faudra-t-il pour que s’inverse la force de Coriolis, de part et d’autre de l’équateur…

Le lecteur : C’est la force qui fait se vider l’eau du lavabo vers la droite chez nous et dans l’autre sens en Australie, dit-on ?

L’écrivain : Il paraît, je n’ai pas eu l’occasion de le vérifier. Elle est la conséquence de la circulation atmosphérique provoquée par la rotation de la Terre. C’est une grande régulatrice du climat. Les vents, comme les alizés et les vents d’ouest dépendent d’elle, ainsi que les courants marins, d’autant plus violents qu’on se rapproche des pôles : les 4es grondants et 5es hurlants redoutés des marins en sont l’illustration.

Le lecteur : On assisterait vite à des changements radicaux de climat. Pensons pour nous, par exemple, que le Gulf Stream ne tempère plus notre pays ! Le climat serait bouleversé. La première année surtout serait terrible, je crois…

L’écrivain : Car, dans cette hypothèse la terre continuerait sa révolution autour du soleil dans le même sens ?

Le lecteur : C’est une hypothèse aussi valable que l’inverse.

L’écrivain : Ce n’est qu’un jeu ; alors continuons à jouer ! Je reconnais que le jeu devient de plus en plus difficile. Alors, comme disait à peu près Cocteau : « Quand les événements vous échappent, feignons de les organiser ».

Le lecteur : Joli !

L’écrivain : Changeons plutôt de cataclysme… souvenons-nous de Tintin – Létoile mystérieuse. Un météore infiniment plus lourd et grand se dirige vers la terre. Il est repéré depuis quelques semaines par des astronomes de plus en plus fébriles, et fonce droit sur nous. Irrémédiablement.

Le lecteur : … Le seul espoir est qu’il passe suffisamment près de la lune pour être dévié par sa force d’attraction, et dès lors traverserait seulement l’atmosphère terrestre…

L’écrivain : … Provoquant au passage un cataclysme atmosphérique soulevant de gigantesques raz de marée car la terre même serait déformée à son passage comme un ballon de rugby, et le météore deviendrait une seconde lune !

Le lecteur : Fantastique… dites, depuis le temps que nous devisons, vous le tenez, votre sujet d’article ! D’ailleurs il se fait tard.

L’écrivain : grand merci ! Vous êtes mon inspirateur !

Le lecteur, se levant : Oh, bien peu. Cependant, n’hésitez pas à m’appeler quand vous serez en panne ! Les écrivains gagneraient à consulter plus fréquemment leurs lecteurs, et je ne vous cache pas que j’ai pris goût à ce rôle… voici ma carte.

Ils s’éloignent chacun de leur côté. La lune apparaît au-dessus des toits, énorme. Ils la contemplent longuement, jusqu’à son occultation par un nuage.

*

Post-scriptum à « Et si la terre perdait la boule ? »

…Devant nous, l’Arche de Noé

Il n’aura fallu guère plus d’un mois pour que le tsunami quitte l’actualité, laissant la place à deux événements de première grandeur : l’atterrissage de la sonde Huygens sur Titan, le satellite de Saturne, à quelque 1 200 milliards de kilomètres, qui nous envoie des photos de sa surface caillouteuse en gros plan, comme le premier photographe venu en balade ; et quelques jours plus tard le lancement réussi de la fusée Ariane 5.

Ainsi, incapable de prévoir les frémissements de la peau de la terre, l’homme prouve, malgré lui, qu’il est plus aisé de créer que de prévoir. Paul Tappenier concluait son article ainsi (Le Monde du 5 janvier) « là, pour l’instant, l’histoire se résume à un constat bien mince : aucun grand séisme n’a été bien décrit depuis l’arrivée de Christophe Colomb en 1492 ! Il faut en savoir plus. Répétons-le sans relâche : c’est possible. C’est de la recherche fondamentale.

La tâche qui reste est immense, mais les chercheurs sont là, vibrants de motivations et d’idées nouvelles… ». Ce sont les mêmes chercheurs et techniciens qui ont mis au point les composants de la sonde Huygens et de la fusée Ariane, illustrant eux aussi ce beau mot : motivation.

Comme sont aussi motivés les équipes et les habitants qui reconstruisent déjà ce que le tsunami a détruit.

Je me souviens avoir visité le laboratoire de l’ETCA, ex-ACEC, devenu filiale d’ALCATEL. Aux murs des vestiaires des techniciennes, (choisies entre autres qualités pour leurs petites mains plus aptes à ces travaux ultrafins), les traditionnelles photos de famille et d’enfants étaient remplacées par des photos de la fusée Ariane, leur fusée. Cela illustrait de manière particulièrement émouvante cet autre beau mot : fierté. Avec, en constante ligne de mire, le triomphe toujours recommencé de l’homme sur la nature qui lui, se résume en un mot : espoir. Dont l’Arche de Noé est le symbole.

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